Dans un cycle de tendances effréné, où la pression de toujours arborer une tenue inédite se fait sentir, Emilia Petrarca explore combien il peut être libérateur de répéter les mêmes looks. Opinion.
Dans le monde de la mode, l’obsession de ce qui vient après s’avère être un sport national. Avant même de commencer à travailler dans l’industrie, je passais déjà mon temps, mon énergie et mon argent à renouveler sans cesse ma garde-robe, dans l’espoir qu’elle reflète cette frénésie des tendances et ce qui était jugé « pertinent » par mes proches. Au fil des années, cette habitude s’est exacerbée. Chaque jour, je clique frénétiquement sur l’onglet « Nouveautés » de mes sites favoris. Si je laisse passer un matin ou un soir sans vérifier les dernières mises à jour de TheRealReal, c’est que je suis probablement alitée, dans un état de santé critique.
Durant les Fashion Weeks, je me laisse engloutir par les nouvelles collections et prends mentalement des notes sur ce que je pourrais vouloir dans l’avenir. Et désormais, sur Substack, je m’abonne à une multitude de newsletters shopping qui ne font qu’alimenter davantage ma dépendance. Ces femmes qui les rédigent ? Elles sont devenues les nouvelles influenceuses. Chaque semaine, parfois toutes les deux semaines, je vois une pièce qu’elles portent et, sans surprise, elle atterrit directement dans mon panier. Mais soyons honnêtes, tout ça n’est absolument pas bon pour mon compte en banque, ma conscience – et peut-être même pas pour mon sens du style.
Etre vraiment soi-même
Il suffit de jeter un œil au défilé Prada SS25 pour comprendre que la répétition de tenues mérite d’être prise plus au sérieux. En plus des nouveaux styles, les directeurs créatifs Miuccia Prada et Raf Simons ont envoyé sur le podium des rééditions de pièces d’archives, dont des chaussures datant de 1996, 2008, 2011 et 2012. Ils ont même fait référence à un manteau léopard de 2003 et à une jupe de 1999. En plein mois dédié à la nouveauté, cela a semblé radical, et ironie du sort, assez avant-gardiste.
Il semble que ce soient les algorithmes qui nous dirigent, tout ce que l’on aime ou que l’on connaît, c’est parce que d’autres nous l’ont instillé.
« Ce que nous voulions faire, c’était voir si nous pouvions organiser un défilé où chaque individu pourrait devenir vraiment lui-même, presque comme un super-héros », a de son côté ajouté Raf Simons. Autrement dit, pour être vraiment soi-même, il faudrait fouiller dans son propre placard. Certes, on peut y ajouter un peu de nouveauté, mais au fond, il n’y a qu’une personne qui possède exactement votre garde-robe : vous.
Réalités économiques et écologiques
Emily Schuman, autrice de la newsletter Fwd: from a friend, partage un sentiment similaire. Dans un article intitulé Pourquoi je reporte (un peu) mes tenues cet automne, elle explique : « La plupart des pièces que je suis impatiente de porter ne sont pas nouvelles. Ce sont simplement des variations d’articles que je possède déjà, sagement en attente de leur moment. » Elle a été inspirée par une amie qui, pour un mariage, avait fouillé dans son propre placard, comme dans une réserve bien garnie. De son côté, Sissy Chacon, la styliste derrière la newsletter The Sort, évoque ce phénomène « Recessioncore » comme une des raisons qui l’ont poussée à revisiter ses tenues. La réalité économique, avec des prix de luxe de plus en plus absurdes, l’a forcée à réinventer ses looks à partir des pièces déjà présentes dans sa garde-robe. « Quelle nouvelle énergie puis-je accueillir en arrêtant d’accumuler toujours plus de choses ? » s’est-elle questionnée, révélant se sentir à la fois plus éclairée et légère après cet exercice.
Et les célébrités ne sont pas en reste : de Cate Blanchett à la Princesse de Galles, nombreuses sont celles qui semblent avoir pris goût à la répétition. La Duchesse de Sussex a réinventé sa robe rouge Carolina Herrera lors d’une récente soirée à Los Angeles, en enlevant la traîne et en modifiant la façon dont elle la portait, trois ans après l’avoir déjà portée. L’actrice Claudia Jessie n’a pas laissé de temps entre les deux : lors de la promotion de la troisième saison de Bridgerton ce printemps, elle a porté deux fois le même costume Stella McCartney en l’espace de quelques jours. « Je tiens vraiment à être aussi écologique que possible, donc vous allez me voir porter ce costume assez souvent », a-t-elle confié aux journalistes sur le tapis rouge. « J’espère que ça vous plaît, parce que vous allez le revoir. »
Goût affiné
Pour ce qui me concerne, ce que j’ai découvert, c’est que, au-delà des bénéfices financiers et écologiques, mon sens du style s’est véritablement amélioré. On apprend à mieux se connaître et à affiner son goût quand on passe plus de temps avec ce que l’on aime vraiment. Pour ma part, porter les mêmes choses m’a aidée à accepter quelque chose que je n’avais pas pleinement intégré avant d’atteindre la trentaine : j’aime ce que j’aime – et c’est très bien ainsi ! En fait, c’est même génial.
Ça ne sera peut-être pas toujours la nouveauté ou la pièce la plus cool, mais ce sera moi. Lorsque je fais du shopping, cette idée m’aide à faire abstraction du bruit ambiant. Je me demande : « Est-ce vraiment moi ? » et je fais mes achats (ou pas) plus sereinement. Pour reprendre la métaphore de l’épicerie bien garnie de Schuman, vous avez probablement déjà tous les ingrédients – c’est l’assaisonnement que vous y ajoutez qui donne du piquant.
Autrice: Emilia Petrarca
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur elle.com/uk. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.