Vendredi, une cinquantaine de talents se sont hissés en final de l’un des concours culturels les plus importants du pays. Parmi eux, dix noms de la scène textile ont éclos, tel un nouveau souffle créatif redéfinissant l’élégance helvétique. Portraits.
Beige
L’artisanat empli de caractère
A bas le Quiet Luxury : la mode expressive, colorée et audacieusement engagée a encore de beaux jours devant elle, notamment à travers Manuela Helg et Karin Maurer. Depuis 1996, les fondatrices de Beige explorent, depuis leur atelier zurichois, les possibilités infinies de la forme textile. Travaillant en circuits courts et en éditions limitées, leur démarche artisanale a dernièrement pris tout son sens dans Vivid (2024), leur nouvelle collection hivernale. Une proposition forte, pleine de sens, saluée par une nomination aux Prix suisses du design 2025. Le beige ? Un clin d’œil, peut-être. Leur univers et leurs valeurs étant, eux, tout sauf neutres.

Common Goods
La solution élégante à la surenchère
Au départ, Common Goods était un terrain de réflexion questionnant nos habitudes de consommation textile. Très vite, le projet initié par Sara Liz Marty et Nadja Zürcher est devenu un manifeste : ciao l’achat compulsif, bonjour la location éclairée. Au cœur de cette démarche, un trésor patrimonial s’est alors immiscé : le bleu tessinois. Cette technique d’impression sur textile, issue de la Suisse italienne, mêle planches de bois gravées et bains d’indigo, pour un processus pouvant s’étendre sur dix mois. De cette patience sont nés huit vestes, toutes conçues à partir de motifs historiques réinterprétés. Il n’en fallait pas plus pour que cette série-limitée vale à Common Goods une place parmi les nommés dans la course aux Prix suisses du design 2025.

DidierAngelo
Le dialogue créatif avec Yohji Yamamoto
Installée à Paris depuis 1993, la marque DidierAngelo porte en elle l’élégance discrète d’une mode pensée comme une conversation au long cours. A l’origine du label, le duo bâlois Didier Cometti et Angelo Buonomo, dont la collaboration avec le maître japonais Yohji Yamamoto constitue l’un des chapitres les plus fascinants de leur trajectoire. C’est cette relation créative, forgée au fil des années, que le duo a dernièrement consigné dans Preparatory (2024), ouvrage qui a retenu l’attention de la Confédération pour la sélection des Prix suisses du design. Parmi les projets présentés dans ce livre, « Letter to the Future » qui documente la récupération, la restauration et la réinterprétation par le tandem de pièces emblématiques du couturier japonais.

Elias Al-Ameri
L’exil en inspiration
281 millions de personnes ont quitté leur pays en 2023, si l’on en croit le dernier rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (IOM). « Un record », étaye l’IOM, qui a résonné comme un appel pour Elias Al-Ameri. Il l’affirme lui-même : depuis Zurich, le photographe de mode a alors temporairement troqué son objectif contre l’aiguille, afin de mieux « attirer l’attention » sur la situation. En est née Vanishing Point (2021-2022), une collection confectionnée à partir de matériaux récupérés sur les plages de Lesbos main dans la main avec Mushreq Jabbar, un réfugié rencontré durant son voyage sur l’île grecque, ainsi que la designer zurichoise Naïma Naas. Sur la Toile, celui désormais nominé aux Prix suisses du design 2025 revendique une volonté claire : ne travailler qu’avec des matériaux porteurs d’un passé, pour une mode-récit viscéralement humaine et résolument résistante.

Hippolyte Laporte
La virilité à l’épreuve de la modernité
En 2024, la Haute école d’art et de design de Genève (HEAD) avait déjà vu en cette collection une signature notable. Ce qui avait valu à son créateur Hippolyte Laporte le Prix Image et Direction Artistique du Bal des Créateurs. Seulement quelques mois plus tard, l’Helvétie pourrait désormais également s’incliner devant ce vestiaire qui a récemment été nominé pour un Prix suisse du design 2025. Behind the Curtain part à contre-courant des représentations dominantes en opérant un démontage subtil de la virilité contemporaine. Sous son regard, les archétypes masculines se déconstruisent au profit d’une silhouette nourrie d’emprunts au burlesque et à l’univers du strip-tease féminin.

Josiane Martinho
La poésie de la déconstruction
Ce n’est pas le vêtement porté qui fascine Josiane Martinho. C’est tout ce qu’il devient ensuite, une fois retiré du corps. Designer diplomée de la HEAD et directrice mode de la revue L’idiot utile, cet éternel esprit qui téléscope les simplismes interroge avec une poésie radicale les multiples statuts de la fringue. Etendues, découpées, muées en objets, ses créations défient sculpturalement, théoriquement, les codes traditionnels du design textile. Ce qui lui a permis d’être nominée pour les Prix suisses du design 2025, plus spécifiquement grâce à L’habit comme réceptacle. Amorcée en 2018 et prolongée jusqu’en 2024, la collection de la Suissesse se porte en étandard de la rupture face à une époque selon elle toujours trop obsédée par le fonctionnalisme.

Léanne Claude
La beauté du collectif
« Mettre en lumière et honorer les artisans en révélant leur contribution au sein de la chaîne de production » : telle est la mission que se donne Léanne Claude depuis qu’elle s’est lancée dans la mode. Formée à la HEAD, la jeune designer sait à quel point les petites mains, trop souvent éclipsées au profit de figures surmédiatisées, sont essentielles à la confection d’une collection sans pareil. A travers Afterski, son label cofondé avec Nicolas Daven, mais aussi via sa marque éponyme, elle œuvre à redonner à la matière et à ceux qui la travaillent ses lettres de noblesse. Weaving Connections (2023-2024), son projet sélectionné pour l’un des Prix suisses du design 2025, célèbre ainsi la laine dans toute sa splendeur, magnifiée par une démarche durable et une recherche plastique sensible. Bref, plus qu’une collection, c’est une ode à l’intelligence collective du geste.

Lundi Piscine
L’émotion en eaux profondes
En octobre 2024, cette marque genevoise présentait au coeur de sa ville une nouvelle collection de vêtements. C’était sans savoir que, six mois plus tard, A Better World, comme s’intitule cette dernière, lui permettrait de rafler une nomination aux Prix suisses du design 2025. Portée par Lucie Guiragossian, la griffe de cette diplômée de la HEAD, déjà lauréate de ce titre en 2016, prouve, une fois encore, qu’esthétique et conscience peuvent cohabiter avec émotion. Collection non genrée, 100 % upcyclée et confectionnée localement, A Better World est bien plus qu’un vestiaire engagé. C’est un « hommage aux enfants, aux femmes et aux hommes qui risquent leur vie chaque jour en Méditerranée, à la recherche d’un monde meilleur », affirme-t-elle.

Rappaz
L’irrévérence chargée de sens
C’est sensuel, c’est irrévérencieux, et plus que jamais ancré dans son époque. Au point que la griffe éponyme fondée par Adeline Rappaz a, en 2024, séduit la chanteuse Wejdene qui s’est emparée d’un manteau signature de la créatrice neuchâteloise installée à Paris. Mais derrière l’allure provocante, un fondement éthique : des teintures végétales élaborées artisanalement, des matières recyclées, des techniques de patchwork maîtrisées. Chaque pièce incarnant en somme une mode punk aux allures rebelles, mais foncièrement responsables. Sa dernière collection tout bonnement dénommée Rappaz, et sélectionnée pour la course aux Prix suisses du design 2025, est peut-être ce qui la représente le mieux : une mode qui ne joue pas seulement avec les codes, mais les réécrit avec ferveur.

Plisseebrennerei Textilatelier
Ses créations captivent comme un sortilège. La spécialité d’Eva Ott : explorer les possibilités infinies du plissage, technique que la Bâloise estime encore trop peu célébrée, quand bien même elle irrigue en silence les veines les plus profondes du design de mode. A travers son studio Plisseebrennerei Textilatelier, cette enseignante, qui justifie de plus de vingt ans d’expérience dans la mode et le théâtre, redonne vie à un savoir-faire ancestral. Un hommage maîtrisé qui n’a pas échappé à la Confédération qui l’a naturellement fait figurer parmi les nommés des Prix suisses du design 2025.

Ouverts aux designers de nationalité helvétique ou résidant sur le territoire, les prestigieux Prix suisses du design ont dévoilé vendredi 11 avril une sélection de 53 projets en compétition. Lundi 16 juin, à Bâle, 17 d’entre eux seront couronnés, chacun recevant une récompense de 25’000 francs.
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