Mardi, sous l’éclairage d’Olivier Rousteing, la vénérable maison française s’est imprégnée de ce que le Berceau de l’humanité a de plus « sapologique » à offrir pour insuffler sa nouvelle vision hivernale de l’élégance masculine. Une ode poétique aux racines du directeur artistique, qui ont simultanément regénéré la scène, encore énigmatiquement égocentrée, du luxe occidental.
L’opulence et l’extravagance à la merci de la culture subsaharienne. Voilà comment mardi 23 janvier Balmain a défini le vestiaire des hommes pour l’hiver 2024. Certes, les premières minutes ont conforté ce à quoi les préposés à la mode de la griffe française s’attendaient: du noir, du blanc, de la brillance et de la structure consacrés à une signature historique qui, depuis sa genèse en 1945, s’épanouit dans l’ombre et la lumière la plus sophistiquée. Mais ceux s’étant arrogés le pouvoir de continuer à anticiper l’imagination prolifique d’Olivier Rousteing se sont rapidement fourvoyés. En un battement de cils, le deuxième acte de ce spectacle grandiose a pris vie, insufflant une nouvelle énergie au patrimoine de la Maison française: célébrer la diversité dans son acception la plus colorée.
L’Afrique en guide suprême
Hyperchromie et coupes protéiformes ont majoritairement diffusé leur éclat sur des silhouettes noires triomphantes. A régné en guide la fashionisation de la tradition africaine, du durag au boubou repensés jusqu’aux bijoux de visage illustrant les maquillages traditionnels des hommes Wodaabe, une tribu nomade du Sahel. L’hommage s’est étendu aux éminents artisans du continent, parmi lesquels se distinguent le plasticien ghanéen Prince Gyasi, dont les photographies ont inspiré les imprimés, et les éminents designers anglo-camerounais Ibby Njoya et sud-africain Nika Mtwana, qui ont contribué à l’élaboration de cette collection singulière.
L’envoûtant amapiano des virtuoses nigérians, Wizkid et Wande Coal, s’est révélé être le protagoniste sonore d’un hymne à une mode trouvant ses racines en République démocratique du Congo: la « sapologie ». Un néologisme échafaudé par les « sapeurs », ces dandys new generation dont le style kaléidoscopique gouverne, depuis les années 1960, les rues animées de Kinshasa. Bien plus qu’une simple tendance vestimentaire, cet art de vivre, perpétué par sa diaspora franco-européenne, se veut repousser les frontières de la modestie et de l’éphémère grâce à une philosophie aussi artistique que révolutionnaire. Des principes que le directeur artistique a fusionné mardi avec brio à la signature de la Maison Balmain, mais qu’il pérennise depuis quelque temps déjà.
Retour aux racines
L’attraction manifeste d’Olivier Rousteing envers la culture africaine n’est ni nouvelle ni étonnante. Le Français de 38 ans a grandi auprès de Bordelais l’ayant adopté durant sa prime enfance. Élevé dans l’énigme de son origine, cet artiste né sous X avait partagé, lors d’une entrevue accordée à CNN en 2015, quatre ans après son intronisation en tant que premier homme de couleur à la tête de Balmain, son désir de retrouver une part majeure de son identité en érigeant la diversité comme son combat le plus intime.
J’espère vraiment, vraiment changer d’une certaine manière certaines mentalités, car je suis un designer noir [dans] une ancienne maison de luxe traditionnelle.
En s’alliant à des titans de la musique afro-américaine tels que Rihanna, Beyoncé et Kanye West, en accordant une préférence aux mannequins à la peau ébène sur les passerelles de ses défilés, et en faisant désormais la lumière sur quelques uns des pans les plus prodigieux de la culture africaine, celui qui a récemment découvert ses origines éthiopiennes et somaliennes s’engage, depuis ses débuts dans la mode, inlassablement à renouer avec ces racines. Ces dernières étant, selon ses dires dans un entretien avec le Financial Times, la meilleure manière de faire la part belle à ce qu’il juge être la nouvelle définition de la masculinité: une mode vibrante, non-genrée, assumée: « l’homme d’aujourd’hui se sent fier et confiant d’avoir une garde-robe proche de sa petite amie », déclarait-il au magazine d’économie.
Révolution pérenne?
Olivier Rousteing n’est pas le premier à réinventer la mode sous le prisme sapologique. Des maisons prestigieuses telles que Christian Louboutin, Paul Smith, ou plus récemment Chanel, lors de son défilé Métiers d’art 2022-2023, se sont également pliées aux codes centenaires de cet art de vivre congolais par le passé. Toutefois, le mariage de cette esthétisme avec la couture occidental n’a jamais trouvé une représentation plus éloquente et crédible que sous l’égide de l’iconoclaste métissé. En érigeant la multiculturalité en étendard sur des collections consécutives et en conférant une légitimité renouvelée aux acteurs afro-descendants, Olivier Rousteing parvient à échapper aux soupçons d’appropriation culturelle qui assombrissent trop souvent les tentatives de ses rivaux dans le milieu.
Force est de constater que la longévité du directeur artistique au sein de Balmain, marquée depuis 13 ans par une créativité sans limites, offre une ouverture inédite vers une mode luxe plus diversifiée. Une question cruciale réside ceoendant dans la mesure où cette révolution créative ouvrira la voie à d’autres directeurs artistiques d’origine africaine sur le marché du luxe occidental. Ces esprits créatifs, prêts à transcender les frontières culturelles, ont-ils l’opportunité et le soutien nécessaires pour écrire leur propre chapitre sur ce prestigieux podium? En répondant à cette interrogation, l’industrie globale pourrait non seulement s’enrichir de perspectives variées mais également consolider un mouvement en faveur d’une représentation plus authentique et inclusive de ses consommateurs dans le monde de la Haute couture.