« Babygirl »: Nicole Kidman électrise un drame érotique sans tension

Actuellement en salles, le drame érotique signé par Halina Reijn permet à Nicole Kidman et Harris Dickinson de briller. Dommage qu’ils le fassent dans un film manquant d’éclat.

Intriguant, divertissant, sans pour autant être surprenant: le film Babygirl (2024) de la réalisatrice et actrice néerlandaise Halina Reijn navigue en eaux tièdes, oscillant entre les écueils de la frustration sexuelle de son héroïne Romy Mathis (Nicole Kidman) et ceux de sa vie bien rangée. Un drame érotique au final sans remous comme l’image de femme parfaite qu’elle cultive: épouse dévouée de Jacob (Antonio Banderas), mère modèle de deux filles (Vaughan Reilly et Esther McGregor, fille d’Ewan McGregor) et PDG respectée d’une grande entreprise de robotique. Lisse comme ce visage qu’elle soumet à moult traitements et injections pour supprimer toute trace de vécu. Sans coup d’éclat comme ses tenues, toujours élégantes de beiges, comme une toile vierge sur laquelle Samuel (Harris Dickinson), le jeune stagiaire avec lequel elle entame une liaison, pourra imprimer son pouvoir, contant un nouveau chapitre de sa vie, en mode cinquante nuances de beige.

Car sous le vernis de la perfection, Romy retient depuis toujours ses fantasmes de soumission et d’humiliation. Samuel le comprend et va lui permettre de les exprimer. Au risque de tout perdre, s’il le décide: mariage, carrière, contrôle. « Ce film explore une crise existentielle: celle d’une femme qui semble avoir accompli tout ce qu’elle voulait. Elle tient tous les rôles parfaitement: elle a des enfants, un mari, un superbe appartement à New York, une carrière florissante. Mais malgré tout cela, elle ressent une agitation intérieure. Et je pense que beaucoup de gens peuvent se reconnaître dans ce sentiment. Puis, soudain, entre dans sa vie une personne, Samuel, qui est là pour perturber cet équilibre. Et s’il réussit à le faire, c’est parce qu’au fond, elle est prête, elle veut être déstabilisée », explique Nicole Kidman au cours d’une conférence de presse à laquelle participent également Harris Dickinson et la réalisatrice Halina Reijn. « C’était une opportunité inédite pour moi, cette exploration féminine de la sexualité et des désirs lors d’un parcours en montagnes russes. On assiste à ce constant va-et-vient intérieur: Qui suis-je? Qu’est-ce que je veux vraiment? Est-ce que je veux me saboter? Qu’est-ce qui me plaît, qu’est-ce qui ne me plaît pas? »

Verre de lait et biscuits

La première rencontre des futurs amants se déroule devant l’entreprise de Romy. Une chienne lâchée dans la rue fonce droit sur la PDG. Samuel parvient à amadouer le canidé avec une poignée de biscuits. Revenant sur cet épisode, sa cheffe lui demandera par la suite s’il a toujours des biscuits sur lui. Ce à quoi il répliquera: « Pourquoi, vous en voulez un? » À chacune de leurs interactions, il lui parlera avec ce même ton irrespectueux, lui lançant notamment: « Je crois que vous aimez qu’on vous dise quoi faire! »

Face à sa patronne, réceptive à ses allusions, mais hésitante, ne sachant pas réellement définir ses fantasmes tant elle se les est toute sa vie interdits, il posera rapidement le cadre: si elle consent à une liaison avec lui, elle devra obéir, sans exception, à toutes ses demandes. Un premier test – ne craignant pas les clichés – a lieu lors d’un dîner d’entreprise. À distance et d’un simple regard, Samuel ordonne à Romy de boire un grand verre de lait qu’il lui a fait servir. Elle se soumet, l’avalant d’un trait sous le regard de ses employés. « C’est vraiment lui qui la provoque dès le début, qui l’observe et cherche à voir ce qui pourrait émerger de cette femme apparemment impeccable, remarque Harris Dickinson. Je pense qu’il est attiré par elle, mais qu’il ne sait pas vraiment comment se comporter dans une telle situation. En réalité, ils jouent tous les deux un rôle. »

Accepter ses zones d’ombre

L’histoire devient alors une quête de libération à travers les maladresses de l’expérimentation et l’acceptation de ses propres zones d’ombre. « En tant que femme, il y a des parties de moi que j’apprécie et que j’aime montrer au monde extérieur, mais il y en a d’autres dont j’ai extrêmement honte ou qui me rendent nerveuse», confie Halina Reijn, qui signe avec Babygirl son troisième long-métrage après Instinct en 2019 et Bodies Bodies Bodies en 2022. « J’ai donc voulu faire un film qui pose cette question: est-il possible d’aimer et d’accepter toutes les facettes de soi-même? »

Pour y répondre, la cinéaste a choisi de réinterpréter le fantasme, à contre-courant du cinéma post-#MeToo, d’une femme rêvant de domination masculine. « Le tabou ultime en ce moment », estimait-elle même dans une interview accordée à Vogue: « Nous sommes censées être féministes, et être féministe, aujourd’hui, c’est être une “femme forte”. Quoi que cela veuille dire… Parce que je suis féministe, je devrais me comporter comme un homme? C’est de la pure connerie. »

Féminiser le thriller érotique

Pour construire le personnage de Romy, la réalisatrice a puisé dans des figures de théâtre tiraillées par leur soif de liberté, mais presque toujours punies par une mort prématurée, comme Hedda Gabler (1890), qu’elle a longtemps incarnée sur les planches. Son film dialogue également avec La Pianiste (2001) ou La Secrétaire (2002), ainsi qu’avec des thrillers érotiques des années 1980-90 comme Basic Instinct de Paul Verhoeven (pour lequel Halina Reijn avait joué dans Black Book en 2006), Neuf semaines et demi, Liaison fatale ou encore Harcèlement, énumère-t-elle lors de la conférence de presse. Elle a voulu rendre hommage à ce genre qu’elle apprécie, mais en y insufflant son female gaze, notamment à travers l’absence de punition: « Mon film est une réponse féminine à tous ces récits écrits par des hommes. »

Pourtant, malgré la volonté affichée de casser les codes, le film ne révolutionne pas le genre, se baladant parfois sur des terrains déjà conquis. La relation sexuelle entre Romy et Samuel débute par exemple dans une chambre d’hôtel miteuse, où la femme d’affaires rejoue, à quatre pattes, la scène initiale de la chienne dominée par son stagiaire. Le tout suivi d’un long plan-séquence face caméra, où elle atteint l’orgasme.

Prendre le contrepied du schéma mille fois décliné à Hollywood du PDG d’un certain âge entretenant une relation avec une toute jeune employée, présenter une héroïne qui n’hésite pas à abuser de sa position hiérarchique, obnubilée par son désir et qui, surtout, devient maîtresse de son plaisir: c’est là, la force du scénario. Dommage que Babygirl peine à suivre son ambition et que l’intrigue se dégonfle peu à peu. À l’inverse de sa magnifique bande-son, signée Cristóbal Tapia de Veer (The White Lotus), qui gagne en puissance, de la valse à cadence militaire, rappelant l’existence parfaitement orchestrée de Romy, aux morceaux puissants harmonisant subtilement tempos entêtants, gémissements et grognements d’animaux, en écho aux tensions constantes entre contrôle et instinct.

L’un des moments les plus forts de sa carrière

On regardera donc Babygirl avant tout pour Nicole Kidman, émouvante de vulnérabilité (également lorsqu’elle se met en scène en recevant ses injections de botox) dans ce rôle qui lui a valu le prix d’interprétation féminine à la Mostra de Venise, où l’œuvre avait été dévoilée en compétition officielle en août 2024. On appréciera également son alchimie avec Harris Dickinson et la performance de ce dernier, qui joue avec finesse le manipulateur un peu paumé: « Samuel cherche encore à comprendre qui il est, à trouver sa place et à se définir dans une dynamique sexuelle, précise son interprète. Il existe tant de manières d’être un homme moderne, et dans le climat actuel, c’est très déroutant. »

Un climat de confiance essentiel avait été instauré dès le début, poursuit Nicole Kidman: « Dès notre première rencontre, je me suis sentie à l’aise. Harris, Antonio et Halina sont très attentionnés. Je n’avais jamais tourné ce genre de film sous la direction d’une femme. Soudainement, j’avais cette réalisatrice qui était aussi scénariste et actrice, et cela rendait l’expérience incroyablement sûre, car elle nous comprenait et elle était aussi prête à réécrire des passages si nécessaire. »

Les scènes de sexe, réalisées avec l’aide d’une coordinatrice d’intimité, ont de plus été filmées uniquement en présence d’Halina Reijn et de son chef opérateur Jasper Wolf: «Parfois, la caméra était à quelques centimètres de moi, mais grâce à la confiance et à la compréhension mutuelles que nous avions construites, je ne la remarquais même pas. Je n’ai jamais regardé les prises, je préférais rester dans le personnage. Ce n’est qu’en voyant le film fini que j’ai réalisé!, rigole Nicole Kidman. Puis à Venise, quand je l’ai vu pour la première fois sur grand écran, j’étais effrayée et exaltée à la fois. J’avais peur, mais la réponse du public a été incroyable. En fait, voir ce film à Venise, a été l’un des moments les plus forts de ma carrière.»

Tags : Cinéma · hollywood

Actuellement en salles, le drame érotique signé par Halina Reijn permet à Nicole Kidman et Harris Dickinson de briller. Dommage qu’ils le fassent dans un film manquant d’éclat.

Intriguant, divertissant, sans pour autant être surprenant: le film Babygirl (2024) de la réalisatrice et actrice néerlandaise Halina Reijn navigue en eaux tièdes, oscillant entre les écueils de la frustration sexuelle de son héroïne Romy Mathis (Nicole Kidman) et ceux de sa vie bien rangée. Un drame érotique au final sans remous comme l’image de femme parfaite qu’elle cultive: épouse dévouée de Jacob (Antonio Banderas), mère modèle de deux filles (Vaughan Reilly et Esther McGregor, fille d’Ewan McGregor) et PDG respectée d’une grande entreprise de robotique. Lisse comme ce visage qu’elle soumet à moult traitements et injections pour supprimer toute trace de vécu. Sans coup d’éclat comme ses tenues, toujours élégantes de beiges, comme une toile vierge sur laquelle Samuel (Harris Dickinson), le jeune stagiaire avec lequel elle entame une liaison, pourra imprimer son pouvoir, contant un nouveau chapitre de sa vie, en mode cinquante nuances de beige.

Car sous le vernis de la perfection, Romy retient depuis toujours ses fantasmes de soumission et d’humiliation. Samuel le comprend et va lui permettre de les exprimer. Au risque de tout perdre, s’il le décide: mariage, carrière, contrôle. « Ce film explore une crise existentielle: celle d’une femme qui semble avoir accompli tout ce qu’elle voulait. Elle tient tous les rôles parfaitement: elle a des enfants, un mari, un superbe appartement à New York, une carrière florissante. Mais malgré tout cela, elle ressent une agitation intérieure. Et je pense que beaucoup de gens peuvent se reconnaître dans ce sentiment. Puis, soudain, entre dans sa vie une personne, Samuel, qui est là pour perturber cet équilibre. Et s’il réussit à le faire, c’est parce qu’au fond, elle est prête, elle veut être déstabilisée », explique Nicole Kidman au cours d’une conférence de presse à laquelle participent également Harris Dickinson et la réalisatrice Halina Reijn. « C’était une opportunité inédite pour moi, cette exploration féminine de la sexualité et des désirs lors d’un parcours en montagnes russes. On assiste à ce constant va-et-vient intérieur: Qui suis-je? Qu’est-ce que je veux vraiment? Est-ce que je veux me saboter? Qu’est-ce qui me plaît, qu’est-ce qui ne me plaît pas? »

Verre de lait et biscuits

La première rencontre des futurs amants se déroule devant l’entreprise de Romy. Une chienne lâchée dans la rue fonce droit sur la PDG. Samuel parvient à amadouer le canidé avec une poignée de biscuits. Revenant sur cet épisode, sa cheffe lui demandera par la suite s’il a toujours des biscuits sur lui. Ce à quoi il répliquera: « Pourquoi, vous en voulez un? » À chacune de leurs interactions, il lui parlera avec ce même ton irrespectueux, lui lançant notamment: « Je crois que vous aimez qu’on vous dise quoi faire! »

Face à sa patronne, réceptive à ses allusions, mais hésitante, ne sachant pas réellement définir ses fantasmes tant elle se les est toute sa vie interdits, il posera rapidement le cadre: si elle consent à une liaison avec lui, elle devra obéir, sans exception, à toutes ses demandes. Un premier test – ne craignant pas les clichés – a lieu lors d’un dîner d’entreprise. À distance et d’un simple regard, Samuel ordonne à Romy de boire un grand verre de lait qu’il lui a fait servir. Elle se soumet, l’avalant d’un trait sous le regard de ses employés. « C’est vraiment lui qui la provoque dès le début, qui l’observe et cherche à voir ce qui pourrait émerger de cette femme apparemment impeccable, remarque Harris Dickinson. Je pense qu’il est attiré par elle, mais qu’il ne sait pas vraiment comment se comporter dans une telle situation. En réalité, ils jouent tous les deux un rôle. »

Accepter ses zones d’ombre

L’histoire devient alors une quête de libération à travers les maladresses de l’expérimentation et l’acceptation de ses propres zones d’ombre. « En tant que femme, il y a des parties de moi que j’apprécie et que j’aime montrer au monde extérieur, mais il y en a d’autres dont j’ai extrêmement honte ou qui me rendent nerveuse», confie Halina Reijn, qui signe avec Babygirl son troisième long-métrage après Instinct en 2019 et Bodies Bodies Bodies en 2022. « J’ai donc voulu faire un film qui pose cette question: est-il possible d’aimer et d’accepter toutes les facettes de soi-même? »

Pour y répondre, la cinéaste a choisi de réinterpréter le fantasme, à contre-courant du cinéma post-#MeToo, d’une femme rêvant de domination masculine. « Le tabou ultime en ce moment », estimait-elle même dans une interview accordée à Vogue: « Nous sommes censées être féministes, et être féministe, aujourd’hui, c’est être une “femme forte”. Quoi que cela veuille dire… Parce que je suis féministe, je devrais me comporter comme un homme? C’est de la pure connerie. »

Féminiser le thriller érotique

Pour construire le personnage de Romy, la réalisatrice a puisé dans des figures de théâtre tiraillées par leur soif de liberté, mais presque toujours punies par une mort prématurée, comme Hedda Gabler (1890), qu’elle a longtemps incarnée sur les planches. Son film dialogue également avec La Pianiste (2001) ou La Secrétaire (2002), ainsi qu’avec des thrillers érotiques des années 1980-90 comme Basic Instinct de Paul Verhoeven (pour lequel Halina Reijn avait joué dans Black Book en 2006), Neuf semaines et demi, Liaison fatale ou encore Harcèlement, énumère-t-elle lors de la conférence de presse. Elle a voulu rendre hommage à ce genre qu’elle apprécie, mais en y insufflant son female gaze, notamment à travers l’absence de punition: « Mon film est une réponse féminine à tous ces récits écrits par des hommes. »

Pourtant, malgré la volonté affichée de casser les codes, le film ne révolutionne pas le genre, se baladant parfois sur des terrains déjà conquis. La relation sexuelle entre Romy et Samuel débute par exemple dans une chambre d’hôtel miteuse, où la femme d’affaires rejoue, à quatre pattes, la scène initiale de la chienne dominée par son stagiaire. Le tout suivi d’un long plan-séquence face caméra, où elle atteint l’orgasme.

Prendre le contrepied du schéma mille fois décliné à Hollywood du PDG d’un certain âge entretenant une relation avec une toute jeune employée, présenter une héroïne qui n’hésite pas à abuser de sa position hiérarchique, obnubilée par son désir et qui, surtout, devient maîtresse de son plaisir: c’est là, la force du scénario. Dommage que Babygirl peine à suivre son ambition et que l’intrigue se dégonfle peu à peu. À l’inverse de sa magnifique bande-son, signée Cristóbal Tapia de Veer (The White Lotus), qui gagne en puissance, de la valse à cadence militaire, rappelant l’existence parfaitement orchestrée de Romy, aux morceaux puissants harmonisant subtilement tempos entêtants, gémissements et grognements d’animaux, en écho aux tensions constantes entre contrôle et instinct.

L’un des moments les plus forts de sa carrière

On regardera donc Babygirl avant tout pour Nicole Kidman, émouvante de vulnérabilité (également lorsqu’elle se met en scène en recevant ses injections de botox) dans ce rôle qui lui a valu le prix d’interprétation féminine à la Mostra de Venise, où l’œuvre avait été dévoilée en compétition officielle en août 2024. On appréciera également son alchimie avec Harris Dickinson et la performance de ce dernier, qui joue avec finesse le manipulateur un peu paumé: « Samuel cherche encore à comprendre qui il est, à trouver sa place et à se définir dans une dynamique sexuelle, précise son interprète. Il existe tant de manières d’être un homme moderne, et dans le climat actuel, c’est très déroutant. »

Un climat de confiance essentiel avait été instauré dès le début, poursuit Nicole Kidman: « Dès notre première rencontre, je me suis sentie à l’aise. Harris, Antonio et Halina sont très attentionnés. Je n’avais jamais tourné ce genre de film sous la direction d’une femme. Soudainement, j’avais cette réalisatrice qui était aussi scénariste et actrice, et cela rendait l’expérience incroyablement sûre, car elle nous comprenait et elle était aussi prête à réécrire des passages si nécessaire. »

Les scènes de sexe, réalisées avec l’aide d’une coordinatrice d’intimité, ont de plus été filmées uniquement en présence d’Halina Reijn et de son chef opérateur Jasper Wolf: «Parfois, la caméra était à quelques centimètres de moi, mais grâce à la confiance et à la compréhension mutuelles que nous avions construites, je ne la remarquais même pas. Je n’ai jamais regardé les prises, je préférais rester dans le personnage. Ce n’est qu’en voyant le film fini que j’ai réalisé!, rigole Nicole Kidman. Puis à Venise, quand je l’ai vu pour la première fois sur grand écran, j’étais effrayée et exaltée à la fois. J’avais peur, mais la réponse du public a été incroyable. En fait, voir ce film à Venise, a été l’un des moments les plus forts de ma carrière.»

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