La sixième et ultime saison de La servante écarlate est arrivée. Mais comment en est-on arrivé là, alors que toute la série repose sur la mise en scène de la souffrance des femmes ?

« La vie imite bien plus l’art que l’art n’imite la vie » , écrivait Oscar Wilde dans son essai visionnaire The Decay of Lying en 1891, où il explorait la relation déséquilibrée entre fiction et réalité. Une frontière aussi fine que troublante, tant elle semble constamment prête à se brouiller.

Il aura fallu près de 130 ans pour que l’affirmation d’Oscar Wilde trouve une résonance aussi percutante : la sortie de La servante écarlate en 2017 coïncide avec le regain de la vague #MeToo. Une année marquante, aussi, par l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Dès ses premiers épisodes, la série dystopique au ton sombre séduit le public et s’impose comme un phénomène. Les saisons s’enchaînent alors à un rythme soutenu — chacune plus noire, plus oppressante que la précédente.

La sixième et dernière saison de la série est désormais disponible. Mais dans un monde secoué par une vague insidieuse d’autoritarisme, un recul alarmant des droits des femmes et un grondement sourd de répression politique qui fissure déjà nos sociétés, qui a encore envie de regarder — sous forme de fiction et d’« entertainment » — ce qui ressemble de plus en plus à une réalité terrifiante pour tant de femmes ?

Faut-il donc tourner la page de La servante écarlate?

– ELLE Rédaction

Le roman visionnaire de Margaret Atwood, publié en 1985 et à l’origine de la série, avait prédit avec une troublante justesse bien des bouleversements que le monde connaît aujourd’hui. Adaptée en 2017, La servante écarlate s’est d’abord inspirée fidèlement de l’univers d’Atwood — avant que les scénaristes n’allongent l’intrigue au-delà du récit original pour prolonger la série. Le résultat ? Une expérience télévisuelle d’une noirceur extrême, que nous avons abandonné après la première saison… et que nous ne comptons pas reprendre, malgré son grand retour.
Une question nous hantait alors — et nous hante encore : comment a-t-on pu, un jour, considérer la torture des femmes comme une forme de divertissement ? Pourquoi une série qui banalise une violence aussi insoutenable continue-t-elle d’être autant encensée ?

Le monde semble, ces derniers temps, être devenu un endroit sombre et pesant pour les femmes. Nos corps, nos droits, nos paroles sont disséqués à loisir par des hommes puissants, vexés d’avoir été pris pour cibles par le mouvement #MeToo. La réalité est déjà suffisamment complexe, violente et épuisante — avons-nous vraiment besoin de voir ces mêmes douleurs rejouées, scénarisées, dramatisées sous nos yeux, au nom de la fiction ?

Le premier épisode de cette sixième saison reste prisonnier du même cercle vicieux dans lequel la série s’enlise depuis plusieurs saisons. On y retrouve June (interprétée par Elisabeth Moss) à bord d’un train transportant des réfugié·es fuyant un Canada devenu de plus en plus hostile, en direction de l’une des dernières zones sûres des États-Unis. Dans une tentative de réconciliation avec son voisin autoritaire, le Canada commence à céder face à Gilead. Un détail troublant mérite d’être souligné : alors que les États-Unis traversaient une vague de déportations massives sous l’administration Trump, la série faisait son retour sur les écrans… pile dans les cent premiers jours de sa présidence. Une coïncidence glaçante, presque prophétique.

À la fin de la saison 2, quand June a choisi de ne pas monter dans le bus pour fuir Gilead — ce bus que l’on avait attendu toute l’épisode avec une tension insoutenable — nous avons senti quelque chose se briser en nous

– confie la rédactrice senior mode et beauté e-commerce chez ELLE UK.

Comment continuer à suivre une série qui semblait désormais plus motivée par les revenus que par l’art de raconter une bonne histoire ? Trois mois plus tard, quand nous avons tenté de regarder la suite, nous avons eu la sensation que La servante écarlate avait irrémédiablement changé. C’était devenu spectaculaire, presque façon Harry Potter, avec des effets spéciaux dignes d’un film fantastique. La série avait perdu de sa brutalité originelle — le budget faramineux transparaissait trop. Depuis, nous avons lâché la série… et nous n’avons aucune intention d’y revenir.

Et pourtant, La servante écarlate continue de rencontrer un succès retentissant. Rhiannon Evans, directrice du digital chez ELLE UK, partage elle aussi le sentiment que la saison 3 a marqué un tournant dans son attachement à la série. 

Le début de cette saison, et les premiers épisodes en particulier, étaient d’une noirceur implacable

– explique la directrice du digital ELLE UK

Margaret Atwood a toujours affirmé que le roman (qui a inspiré la première saison) s’appuyait sur des faits bien réels vécus par des femmes. Mais une fois le matériel original dépassé, on a eu l’impression qu’une décision consciente avait été prise : infliger, encore et encore, des souffrances gratuites à June.

[…] Alors j’ai attrapé la télécommande… et j’ai éteint la télévision. »

– dit la directrice du digital ELLE UK

Malgré un sujet aussi dérangeant, la dernière saison de La servante écarlate continue de captiver le public. La cinquième saison avait attiré en moyenne 581 millions de spectateur·rice·s dans le monde dès sa première semaine de diffusion en 2022. Et selon Parrot Analytics, la demande autour de la série est aujourd’hui 38,6 fois plus élevée que celle d’une série télé américaine classique sur les 30 derniers jours.
Le premier épisode de la sixième saison vient à peine d’être diffusé au Royaume-Uni, et il affiche déjà un impressionnant taux d’approbation de 95 % sur Rotten Tomatoes. Le message est clair : le public reste fasciné par la représentation, à l’écran, de la perte d’autonomie corporelle et des droits reproductifs des femmes. Mais la vraie question est ailleurs : pourquoi ce besoin de le voir rejoué en fiction… alors qu’on le vit déjà, en direct, tout autour de nous ?

Autrices : Rédaction ELLE
Cet article a été traduit et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur elle.com/nl
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