Pourquoi Chanel haïssait Dior? La véritable histoire de leur rivalité

Une des plus grandes rivalités de la mode est mise en scène dans The New look, nouvelle série historique révélée au public mercredi. Mais comment cela s’est-il réellement déroulé ?

Personne ne mettait aussi bien en avant ses rivalités, et son mépris des autres, que Gabrielle « Coco » Chanel. Lorsque cette dernière parlait de sa première adversaire en matière de mode, Elsa Schiaparelli, qui n’avait aucune formation formelle en couture, elle l’appelait toujours de façon cinglante « cette petite artiste italienne qui fait des vêtements ». Quand le designer Paul Poiret remarqua Chanel portant du noir et lui demanda ironiquement pour qui elle était en deuil, la couturière répliqua: « Pour vous, monsieur. » Mais personne n’a plus durement subi les coups du verbe de Chanel que Christian Dior, lequel fit une entrée remarquée sur la scène parisienne en 1947 et bouleversa le monde de la mode.

Le différend entre les deux couturiers dans le Paris déchiré par la guerre est au cœur d’une nouvelle mini-série glamour, intitulée The New Look, diffusé depuis mardi 14 février sur Apple TV. Mais en regardant le drame se dérouler à travers chacun des dix épisodes, une question taraude bien des spectateurs: que s’est-il réellement passé entre ces deux icônes de la mode? Voici ce que nous savons.

A lire aussi: Les nouvelles séries et documentaires sur la mode à voir en 2024

Comment a débuté la rivalité entre Coco Chanel et Christian Dior?

Dior (interprété dans la série par Ben Mendelsohn) a présenté sa première collection en février 1947 au 30 Avenue Montaigne à Paris. Il s’agissait d’une série de looks très vite considérée comme une leçon magistrale sur les silouhettes structurées – tailles cintrées, hanches rembourrées et des couches et des couches de tulle, de taffetas et d’organza de soie décadents sans aucune retenue. « Une véritable révolution », avait à l’époque commenté Carmel Snow, l’ancienne rédactrice en chef de l’édition américaine de Harper’s Bazaar, qualifiant alors cette silhouette de « New look ». A 31 ans, le fils d’industriels a explosé sur la scène de la mode et transformé la garde-robe de la femme contemporaine presque du jour au lendemain, entraînant un rejet de la praticité des années de guerre dans la confection féminine.

Chanel (interprétée par Juliette Binoche), quant à elle, avait des opinions bien tranchées sur cette nouveauté. « Regardez à quel point ces femmes sont ridicules », déclara-t-elle face aux créations de celui qui avait 22 ans son cadet:

[Ces femmes] portent des vêtements conçus par un homme qui ne connaît pas les femmes, n’en a jamais eu et rêve d’en être une.

Coco Chanel

Ainsi a commencé un différend qui durera deux décennies entre ce qui deviendrait deux des maisons de couture les plus estimées au monde.

Sur quoi Coco Chanel et Christian Dior étaient-ils en désaccord?

Coco Chanel a ouvert sa première boutique indépendante au 31 Rue Cambon à Paris en 1910, à l’âge de 27 ans. Et ce qu’elle y a fait était révolutionnaire. Visant à libérer les femmes, la jeune femme a rompu avec les styles typiques de la Haute couture en mettant l’accent sur la fonctionnalité des vêtements de sport et de l’habillement masculin. Ses jupes n’avaient pas de ceintures, ses vestes en tweed carrées avaient deux à quatre poches extérieures, et des poignets tressés accompagnaient des boutons de style militaire. Ses vêtements étaient pragmatiques, adaptables, masculins et conçus au profit de l’indépendance féminine. Le début de Dior en 1947 (à ce moment-là, Chanel était une marque de mode puissante avec 310 boutiques dans le monde entier) ne pouvait pas être plus différent.

Dans un monde d’après la Seconde Guerre mondiale, le couturier a répondu à un désir refoulé d’opulence à l’aide d’une abondance de jupes en tulle ondoyant, de robes en soie allongées, et de tailles de guêpe minuscules inspirées par sa passion pour la Belle Époque. Certains styles, comme la célèbre robe Junon, faisaient écho aux plumes de paon, ornées de perles et de broderies irisées. D’autres, comme la robe ultra féminine Eugénie, étaient composés de couches de tulle illimité imitant l’épanouissement d’une fleur. Ils n’étaient pas nécessairement les vêtements les plus confortables à porter, certaines de ses robes de soirée pesaient même jusqu’à 28 kilogrammes, mais leur capacité à apporter de la fantaisie à un monde moderne a conféré à celui qu’on appela désormais « Le prince de la mode » une voix dominante dans l’univers du luxe.

Chanel n’avait pas peur d’exprimer son désaccord. Elle a d’ailleurs accusé Dior de ramener les femmes aux idéaux de féminité du 19e siècle misogynes qui soutenaient l’idée selon laquelle celles-ci n’étaient que de simples objets à admirer par les hommes. On sait qu’elle pensait que « Dior n’habille pas les femmes, mais les rembourre », ajoutant qu’une femme assise dans une robe de cette marque ressemblait tout bonnement à « un vieux fauteuil ». De son côté, Dior s’est toujours abstenu d’exprimer publiquement ses pensées sur sa rivale. Dans ses mémoires, il a étonnamment écrit que la personnalité de Chanel ainsi que son goût avaient du style et une élégante autorité.

Comment leur rivalité se déroule-t-elle dans la série?

The New Look offre une perspective perspicace sur l’histoire de chaque atelier, fortement influencée par la tension politique d’un Paris déchiré par la guerre. On assiste à une interprétation de la première collection de Dior au 30 Avenue Montaigne à Paris, mais on a également un accès privilégié à l’histoire de la sœur de Dior, Catherine. Cette dernière est devenue une figure de proue de la Résistance française après avoir été torturée à plusieurs reprises par la Gestapo et envoyée dans une prison française réquisitionnée par les Allemands, puis dans une série de camps de concentration de laquelle elle a miraculeusement survécu.

La mini-série explore par ailleurs les sympathies de Chanel envers les nazis. La célèbre couturière française s’était éprise d’un des officié nommé Hans Günther von Dincklage et est par la suite devenue une espionne nazie, dont le nom de code était Westminster. On y apprend qu’elle a alors effectué des missions à travers l’Europe pour recruter des agents pour le Troisième Reich. Elle a également été interrogée sous prétexte d’être une opératrice du renseignement nazi avant de s’enfuir en Suisse pour échapper aux accusations criminelles.

La longue querelle entre ces deux icônes est davantage mise en lumière à travers le travail qu’ils produisaient et leurs commentaires indirects que par des moments vécus face à face. Mais qu’importe la liberté éditoriale que les scénaristes de la série ont choisie de prendre, l’oeuvre cinématographique créée par Todd A. Kessler se déguste avec chips et popcorn en s’amusant à anticiper les remarques délicieusement piquantes de Chanel.

Autrice: Rachel Silva
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur 
elledecor.com. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.

Tags : haute couture · série · designer · histoire · paris · Luxe

Une des plus grandes rivalités de la mode est mise en scène dans The New look, nouvelle série historique révélée au public mercredi. Mais comment cela s’est-il réellement déroulé ?

Personne ne mettait aussi bien en avant ses rivalités, et son mépris des autres, que Gabrielle « Coco » Chanel. Lorsque cette dernière parlait de sa première adversaire en matière de mode, Elsa Schiaparelli, qui n’avait aucune formation formelle en couture, elle l’appelait toujours de façon cinglante « cette petite artiste italienne qui fait des vêtements ». Quand le designer Paul Poiret remarqua Chanel portant du noir et lui demanda ironiquement pour qui elle était en deuil, la couturière répliqua: « Pour vous, monsieur. » Mais personne n’a plus durement subi les coups du verbe de Chanel que Christian Dior, lequel fit une entrée remarquée sur la scène parisienne en 1947 et bouleversa le monde de la mode.

Le différend entre les deux couturiers dans le Paris déchiré par la guerre est au cœur d’une nouvelle mini-série glamour, intitulée The New Look, diffusé depuis mardi 14 février sur Apple TV. Mais en regardant le drame se dérouler à travers chacun des dix épisodes, une question taraude bien des spectateurs: que s’est-il réellement passé entre ces deux icônes de la mode? Voici ce que nous savons.

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Comment a débuté la rivalité entre Coco Chanel et Christian Dior?

Dior (interprété dans la série par Ben Mendelsohn) a présenté sa première collection en février 1947 au 30 Avenue Montaigne à Paris. Il s’agissait d’une série de looks très vite considérée comme une leçon magistrale sur les silouhettes structurées – tailles cintrées, hanches rembourrées et des couches et des couches de tulle, de taffetas et d’organza de soie décadents sans aucune retenue. « Une véritable révolution », avait à l’époque commenté Carmel Snow, l’ancienne rédactrice en chef de l’édition américaine de Harper’s Bazaar, qualifiant alors cette silhouette de « New look ». A 31 ans, le fils d’industriels a explosé sur la scène de la mode et transformé la garde-robe de la femme contemporaine presque du jour au lendemain, entraînant un rejet de la praticité des années de guerre dans la confection féminine.

Chanel (interprétée par Juliette Binoche), quant à elle, avait des opinions bien tranchées sur cette nouveauté. « Regardez à quel point ces femmes sont ridicules », déclara-t-elle face aux créations de celui qui avait 22 ans son cadet:

[Ces femmes] portent des vêtements conçus par un homme qui ne connaît pas les femmes, n’en a jamais eu et rêve d’en être une.

Coco Chanel

Ainsi a commencé un différend qui durera deux décennies entre ce qui deviendrait deux des maisons de couture les plus estimées au monde.

Sur quoi Coco Chanel et Christian Dior étaient-ils en désaccord?

Coco Chanel a ouvert sa première boutique indépendante au 31 Rue Cambon à Paris en 1910, à l’âge de 27 ans. Et ce qu’elle y a fait était révolutionnaire. Visant à libérer les femmes, la jeune femme a rompu avec les styles typiques de la Haute couture en mettant l’accent sur la fonctionnalité des vêtements de sport et de l’habillement masculin. Ses jupes n’avaient pas de ceintures, ses vestes en tweed carrées avaient deux à quatre poches extérieures, et des poignets tressés accompagnaient des boutons de style militaire. Ses vêtements étaient pragmatiques, adaptables, masculins et conçus au profit de l’indépendance féminine. Le début de Dior en 1947 (à ce moment-là, Chanel était une marque de mode puissante avec 310 boutiques dans le monde entier) ne pouvait pas être plus différent.

Dans un monde d’après la Seconde Guerre mondiale, le couturier a répondu à un désir refoulé d’opulence à l’aide d’une abondance de jupes en tulle ondoyant, de robes en soie allongées, et de tailles de guêpe minuscules inspirées par sa passion pour la Belle Époque. Certains styles, comme la célèbre robe Junon, faisaient écho aux plumes de paon, ornées de perles et de broderies irisées. D’autres, comme la robe ultra féminine Eugénie, étaient composés de couches de tulle illimité imitant l’épanouissement d’une fleur. Ils n’étaient pas nécessairement les vêtements les plus confortables à porter, certaines de ses robes de soirée pesaient même jusqu’à 28 kilogrammes, mais leur capacité à apporter de la fantaisie à un monde moderne a conféré à celui qu’on appela désormais « Le prince de la mode » une voix dominante dans l’univers du luxe.

Chanel n’avait pas peur d’exprimer son désaccord. Elle a d’ailleurs accusé Dior de ramener les femmes aux idéaux de féminité du 19e siècle misogynes qui soutenaient l’idée selon laquelle celles-ci n’étaient que de simples objets à admirer par les hommes. On sait qu’elle pensait que « Dior n’habille pas les femmes, mais les rembourre », ajoutant qu’une femme assise dans une robe de cette marque ressemblait tout bonnement à « un vieux fauteuil ». De son côté, Dior s’est toujours abstenu d’exprimer publiquement ses pensées sur sa rivale. Dans ses mémoires, il a étonnamment écrit que la personnalité de Chanel ainsi que son goût avaient du style et une élégante autorité.

Comment leur rivalité se déroule-t-elle dans la série?

The New Look offre une perspective perspicace sur l’histoire de chaque atelier, fortement influencée par la tension politique d’un Paris déchiré par la guerre. On assiste à une interprétation de la première collection de Dior au 30 Avenue Montaigne à Paris, mais on a également un accès privilégié à l’histoire de la sœur de Dior, Catherine. Cette dernière est devenue une figure de proue de la Résistance française après avoir été torturée à plusieurs reprises par la Gestapo et envoyée dans une prison française réquisitionnée par les Allemands, puis dans une série de camps de concentration de laquelle elle a miraculeusement survécu.

La mini-série explore par ailleurs les sympathies de Chanel envers les nazis. La célèbre couturière française s’était éprise d’un des officié nommé Hans Günther von Dincklage et est par la suite devenue une espionne nazie, dont le nom de code était Westminster. On y apprend qu’elle a alors effectué des missions à travers l’Europe pour recruter des agents pour le Troisième Reich. Elle a également été interrogée sous prétexte d’être une opératrice du renseignement nazi avant de s’enfuir en Suisse pour échapper aux accusations criminelles.

La longue querelle entre ces deux icônes est davantage mise en lumière à travers le travail qu’ils produisaient et leurs commentaires indirects que par des moments vécus face à face. Mais qu’importe la liberté éditoriale que les scénaristes de la série ont choisie de prendre, l’oeuvre cinématographique créée par Todd A. Kessler se déguste avec chips et popcorn en s’amusant à anticiper les remarques délicieusement piquantes de Chanel.

Autrice: Rachel Silva
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur 
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