Yasmine Char

2 février 2018 · Modifié · Nathalie Brignoli

Écrivain, dramaturge, directrice du théâtre de l’octogone, Yasmine Char ne vit pas à 100 à l’heure mais à 200. Son carburant ? Une passion qui s’auto-régénère.

Elle marche comme une danseuse étoile. Elle pense comme une artiste subtile et amusée. Et quand elle aime une fois c’est pour la vie. Et puis son regard porte l’empreinte de l’Orient. Née d’un père libanais et d’une mère française, Yasmine Char a vécu au Liban jusqu’à 25 ans. C’est là-bas, dans ce berceau multiculturel, qu’elle a obtenu sa licence en lettres. Et ensuite? Elle a découvert la Suisse. Les mots. Le théâtre. Sa pièce, Souviens-toi de m’oublier, avait aussitôt été portée sur les planches parisiennes. Devenue administratrice du théâtre vaudois, l’Octogone, elle en a repris la direction, il y a six ans. «Six déjà, relève-t-elle. Je n’ai pas vu le temps passer». Comment aurait-elle fait d’ailleurs tant il est vrai que depuis sa prise de fonction, ses journées sont des tourbillons. Parce qu’il lui faut, comme disait Rimbaud, puiser sans cesse dans l’inconnu pour trouver du nouveau. Alors, elle lit, elle écoute, elle cherche en vérité des créations d’ici ou d’ailleurs pour que les dévoreurs de mots comme elle ou les amateurs de danse soient toujours comblés. Elle veut que les spectateurs soient heureux. Souvent d’ailleurs, elle se glisse dans la salle de spectacles. «J’aime ces moments privilégiés où les gens interrompent un instant leur course quotidienne pour étancher leur soif de beauté», confie-t-elle.

Aujourd’hui, elle a ajouté deux projets à la longue liste de ses envies professionnelles. Une pièce tirée d’un monologue dont elle est l’auteur, qui devrait voir le jour en 2019. Non, on ne peut pas dire de quoi il est question, on ne peut raconter un peu de l’histoire. Les créateurs sont souvent superstitieux. Et puis, elle a déjà écrit les dix premières pages de son nouveau roman qui devrait paraître chez Gallimard. L’éditeur français avait déjà publié La Main de Dieu et Le Palais des autres jours, tous deux plusieurs fois distingués.

Sans compter que l’an prochain, l’institution va célébrer ses quarante ans. Yasmine Char rassemble déjà des idées pour que cet anniversaire soit à la hauteur d’un théâtre qui a vu défiler autant de talents.   

Elle a de belles rencontres dans la tête, Yasmine Char. Comme Colum McCann, un écrivain irlandais installé aux Etats-Unis, maintes fois primé pour son livre Et que le vaste monde poursuive sa course folle. Je l’ai rencontré à Sarajevo lors d’un salon littéraire. Il m’a fait penser à Kerouac, sans doute parce que comme lui, Colum avait sillonné les Etats-Unis. Mais j’étais séduite surtout par son approche de l’existence autant que par sa plume. Par son engagement aussi. Pour soutenir son association caritative, il avait réuni autour de lui 75 auteurs qui tous ont accepté d’écrire un texte inédit répondant à cette question: qu’est-ce qu’être un homme?»

 » Je crois à la légende du colibri. Le minuscule oiseau qui voulait éteindre l’incendie »

Yasmine Char

Parce que Yasmine Char aime autant les actes que les mots. Pour elle, s’engager, être solidaire n’est ni un choix ni une forme contemporaine d’opportunisme. Car c’est dans ce qu’elle fait rejaillir sur les autres que se trouve, elle en est certaine, le sens de sa propre vie. Alors, elle soutient des créations restées dans l’ombre, elle propulse des artistes encore peu connus sous les feux de la rampe. Elle est aux côtés d’une fondation qui construit des puits au Maroc pour éviter que les villages ne soient désertés, faute d’eau. «Ce sont des toutes petites choses. Mais moi je crois à la légende du colibri de Pierre Rabhi. Je crois à l’histoire du petit oiseau pris au piège d’un incendie de forêt et qui pour éteindre les flammes remplissait inlassablement son minuscule bec d’eau. Je crois que chacun de nous doit faire sa part». Il y a quelque temps, elle a lu un reportage sur une jeune réfugiée syrienne de 19 ans qui crée des écoles dans des camps de réfugiés. Elle aussi se battra bientôt pour le pays qui la vue naître. Elle veut être utile à ceux qui, à force d’être bafoués, ont tout perdu jusqu’au respect d’eux-mêmes. 

En attendant, elle a des anecdotes plein ses souvenirs, Yasmine Char. William Sheller que tout le monde cherchait dans un restaurant de Pully et que l’on a retrouvé partageant un en-cas avec l’équipe de l’Octogone dans un local technique. Philippe Decouflé qui a fait irruption dans son bureau une heure avant la représentation et pour lui annoncer sans trembler qu’il ne monterait pas sur cette scène. «C’était tellement incroyable que j’ai éclaté de rire. Je crois que mon attitude l’a tellement surpris que le tract qui le paralysait s’est évanoui. Elle se rappelle aussi André Dussollier, très sensible au bruit, pour qui elle avait aménagé, elle-même, une loge dans le studio de danse du théâtre complètement insonorisé. Elle parle encore de Christophe débarquant de sa limousine en lunettes noires et santiags, accompagné par ses deux assistantes pareillement accoutrées. Ou de Jean-François Balmer, qui dérangé par le cliquetis d’un appareil photo était descendu dans la salle à l’issue de la représentation pour faire la peau au photographe. Lequel avait pris ses jambes à son cou. L’acteur avait si bien joué l’homme exaspéré que tout le monde avait été bluffé. Ce qui l’avait beaucoup amusé.

Yasmine Char adore la folie des artistes. Elle passe toujours beaucoup de temps à les écouter. Ils sont des sources inépuisables et inépuisées d’inspiration. Ils sont des conteurs incroyables, imaginatifs, fantaisistes parfois. En vérité, Yasmine Char n’aurait rien pu faire d’autre que d’écrire des pièces et des romans, que de diriger un théâtre. Oui même en cherchant bien. Elle ne voudrait pas d’une autre vie.

Tags : Culture · Femme · Inspiration · Livre · Théâtre · Art

Écrivain, dramaturge, directrice du théâtre de l’octogone, Yasmine Char ne vit pas à 100 à l’heure mais à 200. Son carburant ? Une passion qui s’auto-régénère.

Elle marche comme une danseuse étoile. Elle pense comme une artiste subtile et amusée. Et quand elle aime une fois c’est pour la vie. Et puis son regard porte l’empreinte de l’Orient. Née d’un père libanais et d’une mère française, Yasmine Char a vécu au Liban jusqu’à 25 ans. C’est là-bas, dans ce berceau multiculturel, qu’elle a obtenu sa licence en lettres. Et ensuite? Elle a découvert la Suisse. Les mots. Le théâtre. Sa pièce, Souviens-toi de m’oublier, avait aussitôt été portée sur les planches parisiennes. Devenue administratrice du théâtre vaudois, l’Octogone, elle en a repris la direction, il y a six ans. «Six déjà, relève-t-elle. Je n’ai pas vu le temps passer». Comment aurait-elle fait d’ailleurs tant il est vrai que depuis sa prise de fonction, ses journées sont des tourbillons. Parce qu’il lui faut, comme disait Rimbaud, puiser sans cesse dans l’inconnu pour trouver du nouveau. Alors, elle lit, elle écoute, elle cherche en vérité des créations d’ici ou d’ailleurs pour que les dévoreurs de mots comme elle ou les amateurs de danse soient toujours comblés. Elle veut que les spectateurs soient heureux. Souvent d’ailleurs, elle se glisse dans la salle de spectacles. «J’aime ces moments privilégiés où les gens interrompent un instant leur course quotidienne pour étancher leur soif de beauté», confie-t-elle.

Aujourd’hui, elle a ajouté deux projets à la longue liste de ses envies professionnelles. Une pièce tirée d’un monologue dont elle est l’auteur, qui devrait voir le jour en 2019. Non, on ne peut pas dire de quoi il est question, on ne peut raconter un peu de l’histoire. Les créateurs sont souvent superstitieux. Et puis, elle a déjà écrit les dix premières pages de son nouveau roman qui devrait paraître chez Gallimard. L’éditeur français avait déjà publié La Main de Dieu et Le Palais des autres jours, tous deux plusieurs fois distingués.

Sans compter que l’an prochain, l’institution va célébrer ses quarante ans. Yasmine Char rassemble déjà des idées pour que cet anniversaire soit à la hauteur d’un théâtre qui a vu défiler autant de talents.   

Elle a de belles rencontres dans la tête, Yasmine Char. Comme Colum McCann, un écrivain irlandais installé aux Etats-Unis, maintes fois primé pour son livre Et que le vaste monde poursuive sa course folle. Je l’ai rencontré à Sarajevo lors d’un salon littéraire. Il m’a fait penser à Kerouac, sans doute parce que comme lui, Colum avait sillonné les Etats-Unis. Mais j’étais séduite surtout par son approche de l’existence autant que par sa plume. Par son engagement aussi. Pour soutenir son association caritative, il avait réuni autour de lui 75 auteurs qui tous ont accepté d’écrire un texte inédit répondant à cette question: qu’est-ce qu’être un homme?»

 » Je crois à la légende du colibri. Le minuscule oiseau qui voulait éteindre l’incendie »

Yasmine Char

Parce que Yasmine Char aime autant les actes que les mots. Pour elle, s’engager, être solidaire n’est ni un choix ni une forme contemporaine d’opportunisme. Car c’est dans ce qu’elle fait rejaillir sur les autres que se trouve, elle en est certaine, le sens de sa propre vie. Alors, elle soutient des créations restées dans l’ombre, elle propulse des artistes encore peu connus sous les feux de la rampe. Elle est aux côtés d’une fondation qui construit des puits au Maroc pour éviter que les villages ne soient désertés, faute d’eau. «Ce sont des toutes petites choses. Mais moi je crois à la légende du colibri de Pierre Rabhi. Je crois à l’histoire du petit oiseau pris au piège d’un incendie de forêt et qui pour éteindre les flammes remplissait inlassablement son minuscule bec d’eau. Je crois que chacun de nous doit faire sa part». Il y a quelque temps, elle a lu un reportage sur une jeune réfugiée syrienne de 19 ans qui crée des écoles dans des camps de réfugiés. Elle aussi se battra bientôt pour le pays qui la vue naître. Elle veut être utile à ceux qui, à force d’être bafoués, ont tout perdu jusqu’au respect d’eux-mêmes. 

En attendant, elle a des anecdotes plein ses souvenirs, Yasmine Char. William Sheller que tout le monde cherchait dans un restaurant de Pully et que l’on a retrouvé partageant un en-cas avec l’équipe de l’Octogone dans un local technique. Philippe Decouflé qui a fait irruption dans son bureau une heure avant la représentation et pour lui annoncer sans trembler qu’il ne monterait pas sur cette scène. «C’était tellement incroyable que j’ai éclaté de rire. Je crois que mon attitude l’a tellement surpris que le tract qui le paralysait s’est évanoui. Elle se rappelle aussi André Dussollier, très sensible au bruit, pour qui elle avait aménagé, elle-même, une loge dans le studio de danse du théâtre complètement insonorisé. Elle parle encore de Christophe débarquant de sa limousine en lunettes noires et santiags, accompagné par ses deux assistantes pareillement accoutrées. Ou de Jean-François Balmer, qui dérangé par le cliquetis d’un appareil photo était descendu dans la salle à l’issue de la représentation pour faire la peau au photographe. Lequel avait pris ses jambes à son cou. L’acteur avait si bien joué l’homme exaspéré que tout le monde avait été bluffé. Ce qui l’avait beaucoup amusé.

Yasmine Char adore la folie des artistes. Elle passe toujours beaucoup de temps à les écouter. Ils sont des sources inépuisables et inépuisées d’inspiration. Ils sont des conteurs incroyables, imaginatifs, fantaisistes parfois. En vérité, Yasmine Char n’aurait rien pu faire d’autre que d’écrire des pièces et des romans, que de diriger un théâtre. Oui même en cherchant bien. Elle ne voudrait pas d’une autre vie.

Tags : Culture · Femme · Inspiration · Livre · Théâtre · Art