Rencontre avec Pierre de Maere

24 octobre 2023 · Modifié · Julie Vasa

Tout juste sacré Révélation masculine aux Victoires de la musique, Pierre de Maere sera présent à Genève le 25 mars 2023 à l’occasion des 25 ans du Festival Voix de fête. Autodidacte, original et talentueux, ce jeune artiste belge s’est très vite imposé sur la scène francophone. Impressionnant!

ELLE SUISSE. Vous serez bientôt à Genève, nouveau déplacement en Suisse. Vous y plaisez-vous?

Pierre de Maere. Tout à fait. Je suis déjà venu à l’occasion du Festival de Montreux: une expérience assez folle. Le cadre est tellement beau et le public si agréable, j’avais adoré !

ELLE SUISSE. Rêviez-vous, enfant, d’être chanteur?

PM. Tout ce que je vis est un rêve d’enfant. C’est d’ailleurs le premier rêve que j’ai eu, je pense, en termes de carrière. J’avais huit ans et je me souviens avoir découvert Lady Gaga: un pilier dans ma vie d’artiste. Elle m’a fasciné dès le plus jeune âge. Je ne peux pas expliquer pourquoi exactement.

ELLE SUISSE. Qu’est-ce qui vous le plus séduit chez elle?

PM. Pas ses textes car, à l’époque, j’étais trop jeune pour les comprendre. Mais le personnage m’a subjugué. J’en suis d’abord tombé amoureux comme on peut l’être à huit ans. Et puis, peu à peu, elle est devenue une sorte de mère, presque spirituelle. J’aime le discours, le personnage, l’extravagance, cette manière d’affronter le business… Elle arrive les deux pieds dans le plat et elle ne s’excuse pas d’exister: je trouve cela beau et courageux. Et puis il y a une générosité dans le propos artistique aussi, un enthousiasme, une sorte de côté baroque qui me plaît beaucoup, au-delà des tubes. Lady Gaga m’a permis d’entrevoir le monde musical, celui de la célébrité aussi qui me fascine, même si c’est parfois kitsch.

ELLE SUISSE. Et à part Lady Gaga, d’autres vous ont-ils inspiré quand vous étiez enfant?

PM. J’ai un grand frère qui fait de la musique aussi et qui m’a initié à l’art de la production musicale. Je me suis retrouvé avec un iPod dans les mains vers onze ans et c’est comme ça que j’ai fait mes premières compo, que j’ai écrit mes premiers textes. Bref, c’est comme ça que la musique arrive à moi : Lady Gaga, un iPod et mon frère!

ELLE SUISSE. Vous vous êtes pourtant orienté d’abord vers des études de photographie. Pourquoi pas la musique immédiatement?

PM. Je me suis retrouvé à 18 ans avec mon bac et je ne savais pas exactement quoi faire. J’avais deux ou trois passions à l’époque, que j’ai toujours en fait: la musique – centrale – la photo et la mode. La photographie de mode me permettait d’allier deux de mes centres d’intérêt. Anvers m’est alors apparue comme la ville la plus évoluée à ce niveau-là en Belgique. J’y suis donc allé dans l’idée de prendre des photos mais, surtout, de rencontrer des créateurs. Et au final, j’ai été un peu déçu par mon année sur place. Je me suis rendu compte que toutes les écoles d’art aujourd’hui développaient davantage une approche intellectuelle au détriment d’une recherche esthétique. À mon sens, elles cherchent à tout prix à raconter une histoire mais ça manque de fond.

ELLE SUISSE. Vous ne vous y êtes donc pas retrouvé?

PM. Pas vraiment: la philosophie sur place ne me parlait pas trop. J’ai donc quand même terminé mon année. Je suis rentré chez mes parents lors du premier confinement et comme je m’ennuyais un peu, je me suis remis à faire de la musique. Cela faisait un moment que je n’en avais pas joué. Et puis j’avais très envie de séduire aussi: c’était la première fois que je tombais amoureux. Je me suis dit qu’écrire un texte et une chanson étaient plus séduisants que prendre des mannequins en photo! Je me suis donc remis à la musique et pour la première fois, j’ai chanté en français, ma langue, et j’ai publié mes morceaux sur les plateformes, Spotify et compagnie. Ça coûte 10 € par mois, chacun peut le faire. Un morceau a atterri tout à fait par hasard dans les oreilles d’un directeur artistique qui s’appelle Théo et travaille chez Wagram: la maison de disques où je suis. C’est dingue! Le label et Théo ont été conquis non par le morceau en tant que tel qui n’est pas génial, mais par ma proposition dans sa globalité je pense. On a signé pour quatre albums!

ELLE SUISSE. Magnifique! Et votre frère était-il déjà dans l’aventure à ce moment-là?

PM. Il terminait ses études d’ingénieur du son et donc c’est lui qui a mixé les morceaux. Il était encore peu impliqué dans la prod dont je m’occupais. Je le fais toujours mais maintenant, il m’aide de plus en plus. On est hyper ravis et très excités par cette nouvelle aventure et la chance d’avoir ce label. Nous sommes très reconnaissants vis-à-vis de cette équipe. En fait, rien n’a changé en termes de processus créatif. Mis à part le fait qu’on a un budget plus important pour enregistrer dans de meilleures conditions évidemment, nous faisons absolument tout ce que nous voulons !

ELLE SUISSE. C’est formidable effectivement!

PM. J’écris tous mes textes et ça c’est une chance inouïe. Je compose toutes mes chansons, je les produis. Mon frère m’aide, mais mise à part la question de moyens, rien n’a changé et c’est hyper agréable. Nous nous sommes donc lancés dans une belle aventure en 2020, premier EP et premier album il y a un mois.

ELLE SUISSE. Comment vivez-vous ce succès fulgurant?

PM. Je suis dans une période un peu spéciale, une sorte de transition charnière entre le rien du tout et le peut-être beaucoup si ça marche. Par exemple, je n’ai pas encore touché mes royalties, droits d’auteur etc. Je n’ai pas un mode de vie luxueux démesuré même si j’aimerais ça! Je suis un gros flambeur, mais je peux pas me le permettre!

ELLE SUISSE. Vous vivez d’ailleurs toujours en colocation je crois, à Paris?

PM. Oui,je suis en coloc avec ma claviériste, ma meilleure copine à Paris. On est à trois avec un autre garçon. Je travaille beaucoup plus qu’auparavant, mais sinon, je n’ai pas l’impression de connaître un changement de vie vraiment drastique. On ne me reconnaît pas tant que ça dans la rue!

ELLE SUISSE. Je ne peux pas le croire! Ca ne durera pas en tous cas!

PM. Je vous assure:j’ai pris cinq métros aujourd’hui et personne ne m’a reconnu. Je suis très différent dans la vie de tous les jours que lorsque je suis médiatisé, apprêté, maquillé dans des costumes merveilleux. Donc pas de quoi péter un câble et c’est très bien comme ça. Et si un grand succès arrivait, je pense qu’en réalité, ça n’aurait pas un impact immense sur mon mental. Parce que j’ai la chance d’avoir quand même des bases hyper solides avec mon frère, très terre-à-terre, et des parents qui le sont aussi. On n’est pas du genre à s’emballer à mort. Je peux m’emballer en amour, mais c’est différent!

ELLE SUISSE. Que représente pour vous la Victoire de la musique «Révélation masculine» que vous venez d’obtenir?

PM. C’est le début de quelque chose. Je ne pense pas que l’on puisse parler de consécration: cela signifierait que c’est la fin! Cette victoire est un début, elle signe un démarrage. J’ai très envie de lui faire honneur à cette Victoire et de lui donner du sens à travers mes concerts, un futur disque. J’ai été très touché de recevoir cette récompense, surtout des mains de Stromae bien sûr, que j’admire autant que Gaga! Je trouve qu’il a remis au goût du jour la chanson en français. Il a réussi à la rendre cool à une époque où elle ne me faisait pas rêver: quand j’écoutais de la chanson française, j’imaginais un petit chanteur, une guitare sèche et un chapeau affreux! Lui est arrivé avec une ambition dans ses prods à l’américaine, dans ses visuels aussi. Mon héros musical! J’ai vécu la remise de cette Victoire de la musique comme un rêve éveillé, c’était trop beau pour être vrai: la cérémonie, le tapis rouge, le costume Saint-Laurent, Stromae… Je suis aussi ravi pour les personnes qui travaillent avec moi, à commencer par mon frère. Mais aussi ce label qui permet beaucoup de liberté.

ELLE SUISSE. Vous avez interprété «Un jour je marierai un ange» lors des Victoires de la musique, le titre qui vous a propulsé sur les réseaux. Dans le même temps, vous y avez rencontré des haters. Quel rapport vous entretenez avec les réseaux sociaux?

PM. Un rapport particulier en fait. A la fois je leur dois beaucoup, ça a été un tremplin énorme. Mais ce qui m’a réellement lancé, c’est le beau travail de mon label vis-à-vis des médias. TikTok, Instagram… ont pris une place incroyable dans l’industrie musicale et, à mon stade, il est clair que je ne peux m’en affranchir. Si je suis reconnaissant, je commence tout doucement, dans le même temps, à développer une sorte d’overdose vis-à-vis de tout ça. En tant qu’artiste, on vous demande constamment aujourd’hui d’alimenter ces réseaux. C’est devenu une sorte de nécessité. Or je trouve qu’ils cassent un peu le mystère de l’artiste. Ces pratiques nous rendent moins désirables parce qu’on doit en permanence s’afficher. Et puis si je fais des stories où je cuisine, j’aurais beaucoup plus de réactions que si je fais une story musicale… Cela commence à m’irriter un peu. J’aime les artistes qui me vendent du rêve, qui conservent une certaine part de mystère. Et puis les versions accélérées des chansons m’énervent. C’est tout de même un peu bizarre de se dire qu’on a conçu une chanson d’une certaine manière et que son remix, accéléré, connaît du succès. On a l’impression de devoir tout faire plus vite, plus court.

ELLE SUISSE. Comment vous avez vécu les commentaires élogieux de Booba à votre égard sur les réseaux?

PM. Ils m’ont énormément surpris et beaucoup fait rire aussi. Je ne sais pas à quel point c’était du second degré… c’est énorme! Je n’ai pas échangé avec lui directement.

ELLE SUISSE. Pensez-vous qu’il soit nécessaire et incontournable d’être clivant pour percer?

PM. Etre clivant permet de créer une discussion et un débat. C’est très bon pour la visibilité et pour fédérer un public. Il me semble que c’est un facteur qui permet en tout cas de se faire entendre. Je me rends bien compte que je suis clivant. Certains ne me supportent pas, d’autres m’adorent et je suis très content de ça. Après l’émission Quotidien par exemple, j’ai fait l’objet d’un torrent de méchants commentaires, mais aussi de défenseurs et de soldats de l’extrême qui m’ont fait plaisir. Au final, c’est, je pense, l’un des posts les plus commentés de l’histoire des Quotidiens. Et cela m’a sans doute été très bénéfique.

ELLE SUISSE. Nous avons cité Stromae, Lady Gaga. Outre ces artistes, d’autres vous font-ils rêver pour de prochains featuring?

PM. Rien n’est en cours encore pour le moment. Mais j’ai des rêves bien sûr. J’ai envie de créer justement un truc improbable, pas quelque chose d’attendu. Le rêve absolu, ce serait Rosalia, parce que je suis vraiment un grand fan.

ELLE SUISSE. Rien d’impossible!

PM. Cela me paraît tout de même compliqué dans l’immédiat mais dans cinq ans, si vraiment je venais à percer très fort, on ne sait jamais… J’aime les artistes qui se démarquent complètement. J’aimerais bien travailler avec un rappeur aussi.

ELLE SUISSE. Vous composez et écrivez vos textes. Par quoi commencez-vous en général?

PM. Quand j’écoute un titre, je fais plus attention aux mélodies qu’à son texte. La priorité est donc pour moi la musicalité. Et puis j’adore la prod! Je préfère produire qu’écrire, que d’enregistrer les voix. Et donc je prends beaucoup de plaisir à commencer les morceaux par la prod, ou alors être bêtement en piano voix. J’écris les mélodies et ensuite vient le texte. C’est une façon de faire un peu particulière. Les premières phrases qui me viennent sont purement musicales. Très souvent, j’entame un texte, écris dix lignes et je ne sais pas de quoi je parle: elles sonnent joliment à l’oreille et ça me suffit. Et puis à un moment donné, il y a un déclic et je sais de quoi je vais parler. Ce qui fait que mes textes sont parfois incompréhensibles à la première écoute!

ELLE SUISSE. Pensez-vous à la scène quand vous composez?

PM. Très peu, sauf sur un titre en particulier qui s’appelle «Les animaux». Autant je ne suis pas sûr qu’il ait sa place sur l’album autant il l’a en concert. Et quand je l’ai écrit, composé, surtout produit, je ne pensais qu’à une chose: le jouer à fond dans une cave et danser à mort dessus! Ce n’est pas la scène, mais c’est un peu la même chose. Je pense donc en général d’abord au disque studio. J’essaie de faire les choses le mieux possible et que les titres sonnent parfaitement. Et puis lorsque je prépare les concerts, je me réapproprie les morceaux, les redécouvre et leur donne une seconde vie qui est qui est un peu différente. J’essaie de ne pas trop m’éloigner non plus du studio car je ne voudrais pas décevoir les gens qui viennent écouter les morceaux qu’ils connaissent.

ELLE SUISSE. A quoi reconnaissez-vous qu’un concert a été réussi?

PM. Si on est rappelé d’abord, c’est un bon indice! L’applaudimètre est aussi un bon signe. Et surtout, un concert me paraît réussi quand il s’est passé un accident heureux, quand il y a eu une sorte d’interaction particulière avec le public, quand on improvise un moment fort. C’est à cela que l’on reconnait un bon concert, je pense. En fait, j’improvise beaucoup lors des concerts. Rien n’est véritablement écrit dans les interactions, les non-dits, les pauses entre les morceaux. Cela permet justement cette liberté de donner lieu à des accidents heureux et de belles choses.

ELLE SUISSE. Vous avez dit rencontrer pas mal de succès auprès des daronnes! Comment l’expliquez-vous?

PM. Les daronnes verraient en moi, parait-il, un fils idéal. Elles projetteraient quelque chose sur moi, mais je ne sais pas exactement quoi ! C’est très drôle. Je les adore d’ailleurs. Je suis un peu leur chouchou

ELLE SUISSE. Nous verrons si les daronnes suisses ont le même faible pour vous que les belges ou les ou les françaises! Vous semblez être à l’aise en toutes circonstances, vous montrez beaucoup d’assurance. Certaines situations vous stressent-elles?

PM. Dans la vie de tous les jours, bien sûr, plein de choses me stressent. Mais ce n’est pas le cas de la promo, des plateaux télés en direct… Je n’appréhende pas tellement les interviews, j’essaie d’être le plus sincère possible. Je n’ai rien à cacher et j’essaie de prendre du plaisir dans cet exercice. Avant de monter sur scène, j’ai aussi le trac pas mais plus autant qu’à mes débuts où je pouvais être complètement paralysé. Je commence à me détendre. La tranquillité vient avec le temps et l’expérience. Toutes les premières fois sont souvent, flippantes.

ELLE SUISSE. Vous contrôlez votre image de manière très précise et, dans le même temps, vous appréciez laisser de la place à l’improvisation. Comment gérez-vous ces envies a priori contradictoires?

PM. C’est une question d’équilibre. Il me paraît important de parvenir à un certain contrôle: on ne peut pas dire et faire n’importe quoi. Mais en fait, je n’en peux plus des interdits, des pensées très lisses que l’on voit partout chez des artistes qui craignent les réseaux sociaux prêts à brandir un drapeau à n’importe quel moment! Je sais que l’on est attendu au tournant et on ne peut pas se permettre de dire tout un tas de choses mais, du coup, cela empêche de créer des moments magiques. J’essaie de ne pas tomber là-dedans mais cela devient plus compliqué avec une notoriété grandissante. Je souhaite demeurer pleinement naturel et détendu et ne pas devenir complètement parano et maniaque dans mes interventions.

ELLE SUISSE. Comment est venue l’idée assez originale d’intégrer à votre album une notice d’utilisation?

PM. C’est une bonne question. J’écoutais l’album un jour avec mon frère en voiture, sur une autoroute. Au moment du titre « Les oiseaux », il faisait assez noir et frais. Plusieurs éléments qui ont rendu cette écoute privilégiée. L’idée m’est alors venue de le suggérer aux personnes qui allaient écouter le disque, avec ensuite toute une série de recommandations. Rien d’obligatoire bien sûr. Mais j’ai éprouvé l’envie de conseiller l’auditeur dans son écoute, dans son expérience musicale.

ELLE SUISSE. Quels sont vos objectifs pour 2023?

PM. Déjà faire un très bel Olympia, une belle tournée des festivals, créer un show qui soit à la hauteur des attentes du public. J’aimerais bien aussi me remettre à composer. Donc, si je pouvais être un peu inspiré et faire un nouveau tube, cela me plairait. Trouver l’amour, peut-être aussi… Et encore, ce n’est peut-être pas le moment, mais voilà, cela fait partie des objectifs d’une vie!

Pierre de Maere, « Regarde moi », 25 mars 2023, Lieu Central, Genève ; Festival Voix de fête, 20 au 26 mars 2023, Genève. Informations et billetterie: voixdefete.com

Tout juste sacré Révélation masculine aux Victoires de la musique, Pierre de Maere sera présent à Genève le 25 mars 2023 à l’occasion des 25 ans du Festival Voix de fête. Autodidacte, original et talentueux, ce jeune artiste belge s’est très vite imposé sur la scène francophone. Impressionnant!

ELLE SUISSE. Vous serez bientôt à Genève, nouveau déplacement en Suisse. Vous y plaisez-vous?

Pierre de Maere. Tout à fait. Je suis déjà venu à l’occasion du Festival de Montreux: une expérience assez folle. Le cadre est tellement beau et le public si agréable, j’avais adoré !

ELLE SUISSE. Rêviez-vous, enfant, d’être chanteur?

PM. Tout ce que je vis est un rêve d’enfant. C’est d’ailleurs le premier rêve que j’ai eu, je pense, en termes de carrière. J’avais huit ans et je me souviens avoir découvert Lady Gaga: un pilier dans ma vie d’artiste. Elle m’a fasciné dès le plus jeune âge. Je ne peux pas expliquer pourquoi exactement.

ELLE SUISSE. Qu’est-ce qui vous le plus séduit chez elle?

PM. Pas ses textes car, à l’époque, j’étais trop jeune pour les comprendre. Mais le personnage m’a subjugué. J’en suis d’abord tombé amoureux comme on peut l’être à huit ans. Et puis, peu à peu, elle est devenue une sorte de mère, presque spirituelle. J’aime le discours, le personnage, l’extravagance, cette manière d’affronter le business… Elle arrive les deux pieds dans le plat et elle ne s’excuse pas d’exister: je trouve cela beau et courageux. Et puis il y a une générosité dans le propos artistique aussi, un enthousiasme, une sorte de côté baroque qui me plaît beaucoup, au-delà des tubes. Lady Gaga m’a permis d’entrevoir le monde musical, celui de la célébrité aussi qui me fascine, même si c’est parfois kitsch.

ELLE SUISSE. Et à part Lady Gaga, d’autres vous ont-ils inspiré quand vous étiez enfant?

PM. J’ai un grand frère qui fait de la musique aussi et qui m’a initié à l’art de la production musicale. Je me suis retrouvé avec un iPod dans les mains vers onze ans et c’est comme ça que j’ai fait mes premières compo, que j’ai écrit mes premiers textes. Bref, c’est comme ça que la musique arrive à moi : Lady Gaga, un iPod et mon frère!

ELLE SUISSE. Vous vous êtes pourtant orienté d’abord vers des études de photographie. Pourquoi pas la musique immédiatement?

PM. Je me suis retrouvé à 18 ans avec mon bac et je ne savais pas exactement quoi faire. J’avais deux ou trois passions à l’époque, que j’ai toujours en fait: la musique – centrale – la photo et la mode. La photographie de mode me permettait d’allier deux de mes centres d’intérêt. Anvers m’est alors apparue comme la ville la plus évoluée à ce niveau-là en Belgique. J’y suis donc allé dans l’idée de prendre des photos mais, surtout, de rencontrer des créateurs. Et au final, j’ai été un peu déçu par mon année sur place. Je me suis rendu compte que toutes les écoles d’art aujourd’hui développaient davantage une approche intellectuelle au détriment d’une recherche esthétique. À mon sens, elles cherchent à tout prix à raconter une histoire mais ça manque de fond.

ELLE SUISSE. Vous ne vous y êtes donc pas retrouvé?

PM. Pas vraiment: la philosophie sur place ne me parlait pas trop. J’ai donc quand même terminé mon année. Je suis rentré chez mes parents lors du premier confinement et comme je m’ennuyais un peu, je me suis remis à faire de la musique. Cela faisait un moment que je n’en avais pas joué. Et puis j’avais très envie de séduire aussi: c’était la première fois que je tombais amoureux. Je me suis dit qu’écrire un texte et une chanson étaient plus séduisants que prendre des mannequins en photo! Je me suis donc remis à la musique et pour la première fois, j’ai chanté en français, ma langue, et j’ai publié mes morceaux sur les plateformes, Spotify et compagnie. Ça coûte 10 € par mois, chacun peut le faire. Un morceau a atterri tout à fait par hasard dans les oreilles d’un directeur artistique qui s’appelle Théo et travaille chez Wagram: la maison de disques où je suis. C’est dingue! Le label et Théo ont été conquis non par le morceau en tant que tel qui n’est pas génial, mais par ma proposition dans sa globalité je pense. On a signé pour quatre albums!

ELLE SUISSE. Magnifique! Et votre frère était-il déjà dans l’aventure à ce moment-là?

PM. Il terminait ses études d’ingénieur du son et donc c’est lui qui a mixé les morceaux. Il était encore peu impliqué dans la prod dont je m’occupais. Je le fais toujours mais maintenant, il m’aide de plus en plus. On est hyper ravis et très excités par cette nouvelle aventure et la chance d’avoir ce label. Nous sommes très reconnaissants vis-à-vis de cette équipe. En fait, rien n’a changé en termes de processus créatif. Mis à part le fait qu’on a un budget plus important pour enregistrer dans de meilleures conditions évidemment, nous faisons absolument tout ce que nous voulons !

ELLE SUISSE. C’est formidable effectivement!

PM. J’écris tous mes textes et ça c’est une chance inouïe. Je compose toutes mes chansons, je les produis. Mon frère m’aide, mais mise à part la question de moyens, rien n’a changé et c’est hyper agréable. Nous nous sommes donc lancés dans une belle aventure en 2020, premier EP et premier album il y a un mois.

ELLE SUISSE. Comment vivez-vous ce succès fulgurant?

PM. Je suis dans une période un peu spéciale, une sorte de transition charnière entre le rien du tout et le peut-être beaucoup si ça marche. Par exemple, je n’ai pas encore touché mes royalties, droits d’auteur etc. Je n’ai pas un mode de vie luxueux démesuré même si j’aimerais ça! Je suis un gros flambeur, mais je peux pas me le permettre!

ELLE SUISSE. Vous vivez d’ailleurs toujours en colocation je crois, à Paris?

PM. Oui,je suis en coloc avec ma claviériste, ma meilleure copine à Paris. On est à trois avec un autre garçon. Je travaille beaucoup plus qu’auparavant, mais sinon, je n’ai pas l’impression de connaître un changement de vie vraiment drastique. On ne me reconnaît pas tant que ça dans la rue!

ELLE SUISSE. Je ne peux pas le croire! Ca ne durera pas en tous cas!

PM. Je vous assure:j’ai pris cinq métros aujourd’hui et personne ne m’a reconnu. Je suis très différent dans la vie de tous les jours que lorsque je suis médiatisé, apprêté, maquillé dans des costumes merveilleux. Donc pas de quoi péter un câble et c’est très bien comme ça. Et si un grand succès arrivait, je pense qu’en réalité, ça n’aurait pas un impact immense sur mon mental. Parce que j’ai la chance d’avoir quand même des bases hyper solides avec mon frère, très terre-à-terre, et des parents qui le sont aussi. On n’est pas du genre à s’emballer à mort. Je peux m’emballer en amour, mais c’est différent!

ELLE SUISSE. Que représente pour vous la Victoire de la musique «Révélation masculine» que vous venez d’obtenir?

PM. C’est le début de quelque chose. Je ne pense pas que l’on puisse parler de consécration: cela signifierait que c’est la fin! Cette victoire est un début, elle signe un démarrage. J’ai très envie de lui faire honneur à cette Victoire et de lui donner du sens à travers mes concerts, un futur disque. J’ai été très touché de recevoir cette récompense, surtout des mains de Stromae bien sûr, que j’admire autant que Gaga! Je trouve qu’il a remis au goût du jour la chanson en français. Il a réussi à la rendre cool à une époque où elle ne me faisait pas rêver: quand j’écoutais de la chanson française, j’imaginais un petit chanteur, une guitare sèche et un chapeau affreux! Lui est arrivé avec une ambition dans ses prods à l’américaine, dans ses visuels aussi. Mon héros musical! J’ai vécu la remise de cette Victoire de la musique comme un rêve éveillé, c’était trop beau pour être vrai: la cérémonie, le tapis rouge, le costume Saint-Laurent, Stromae… Je suis aussi ravi pour les personnes qui travaillent avec moi, à commencer par mon frère. Mais aussi ce label qui permet beaucoup de liberté.

ELLE SUISSE. Vous avez interprété «Un jour je marierai un ange» lors des Victoires de la musique, le titre qui vous a propulsé sur les réseaux. Dans le même temps, vous y avez rencontré des haters. Quel rapport vous entretenez avec les réseaux sociaux?

PM. Un rapport particulier en fait. A la fois je leur dois beaucoup, ça a été un tremplin énorme. Mais ce qui m’a réellement lancé, c’est le beau travail de mon label vis-à-vis des médias. TikTok, Instagram… ont pris une place incroyable dans l’industrie musicale et, à mon stade, il est clair que je ne peux m’en affranchir. Si je suis reconnaissant, je commence tout doucement, dans le même temps, à développer une sorte d’overdose vis-à-vis de tout ça. En tant qu’artiste, on vous demande constamment aujourd’hui d’alimenter ces réseaux. C’est devenu une sorte de nécessité. Or je trouve qu’ils cassent un peu le mystère de l’artiste. Ces pratiques nous rendent moins désirables parce qu’on doit en permanence s’afficher. Et puis si je fais des stories où je cuisine, j’aurais beaucoup plus de réactions que si je fais une story musicale… Cela commence à m’irriter un peu. J’aime les artistes qui me vendent du rêve, qui conservent une certaine part de mystère. Et puis les versions accélérées des chansons m’énervent. C’est tout de même un peu bizarre de se dire qu’on a conçu une chanson d’une certaine manière et que son remix, accéléré, connaît du succès. On a l’impression de devoir tout faire plus vite, plus court.

ELLE SUISSE. Comment vous avez vécu les commentaires élogieux de Booba à votre égard sur les réseaux?

PM. Ils m’ont énormément surpris et beaucoup fait rire aussi. Je ne sais pas à quel point c’était du second degré… c’est énorme! Je n’ai pas échangé avec lui directement.

ELLE SUISSE. Pensez-vous qu’il soit nécessaire et incontournable d’être clivant pour percer?

PM. Etre clivant permet de créer une discussion et un débat. C’est très bon pour la visibilité et pour fédérer un public. Il me semble que c’est un facteur qui permet en tout cas de se faire entendre. Je me rends bien compte que je suis clivant. Certains ne me supportent pas, d’autres m’adorent et je suis très content de ça. Après l’émission Quotidien par exemple, j’ai fait l’objet d’un torrent de méchants commentaires, mais aussi de défenseurs et de soldats de l’extrême qui m’ont fait plaisir. Au final, c’est, je pense, l’un des posts les plus commentés de l’histoire des Quotidiens. Et cela m’a sans doute été très bénéfique.

ELLE SUISSE. Nous avons cité Stromae, Lady Gaga. Outre ces artistes, d’autres vous font-ils rêver pour de prochains featuring?

PM. Rien n’est en cours encore pour le moment. Mais j’ai des rêves bien sûr. J’ai envie de créer justement un truc improbable, pas quelque chose d’attendu. Le rêve absolu, ce serait Rosalia, parce que je suis vraiment un grand fan.

ELLE SUISSE. Rien d’impossible!

PM. Cela me paraît tout de même compliqué dans l’immédiat mais dans cinq ans, si vraiment je venais à percer très fort, on ne sait jamais… J’aime les artistes qui se démarquent complètement. J’aimerais bien travailler avec un rappeur aussi.

ELLE SUISSE. Vous composez et écrivez vos textes. Par quoi commencez-vous en général?

PM. Quand j’écoute un titre, je fais plus attention aux mélodies qu’à son texte. La priorité est donc pour moi la musicalité. Et puis j’adore la prod! Je préfère produire qu’écrire, que d’enregistrer les voix. Et donc je prends beaucoup de plaisir à commencer les morceaux par la prod, ou alors être bêtement en piano voix. J’écris les mélodies et ensuite vient le texte. C’est une façon de faire un peu particulière. Les premières phrases qui me viennent sont purement musicales. Très souvent, j’entame un texte, écris dix lignes et je ne sais pas de quoi je parle: elles sonnent joliment à l’oreille et ça me suffit. Et puis à un moment donné, il y a un déclic et je sais de quoi je vais parler. Ce qui fait que mes textes sont parfois incompréhensibles à la première écoute!

ELLE SUISSE. Pensez-vous à la scène quand vous composez?

PM. Très peu, sauf sur un titre en particulier qui s’appelle «Les animaux». Autant je ne suis pas sûr qu’il ait sa place sur l’album autant il l’a en concert. Et quand je l’ai écrit, composé, surtout produit, je ne pensais qu’à une chose: le jouer à fond dans une cave et danser à mort dessus! Ce n’est pas la scène, mais c’est un peu la même chose. Je pense donc en général d’abord au disque studio. J’essaie de faire les choses le mieux possible et que les titres sonnent parfaitement. Et puis lorsque je prépare les concerts, je me réapproprie les morceaux, les redécouvre et leur donne une seconde vie qui est qui est un peu différente. J’essaie de ne pas trop m’éloigner non plus du studio car je ne voudrais pas décevoir les gens qui viennent écouter les morceaux qu’ils connaissent.

ELLE SUISSE. A quoi reconnaissez-vous qu’un concert a été réussi?

PM. Si on est rappelé d’abord, c’est un bon indice! L’applaudimètre est aussi un bon signe. Et surtout, un concert me paraît réussi quand il s’est passé un accident heureux, quand il y a eu une sorte d’interaction particulière avec le public, quand on improvise un moment fort. C’est à cela que l’on reconnait un bon concert, je pense. En fait, j’improvise beaucoup lors des concerts. Rien n’est véritablement écrit dans les interactions, les non-dits, les pauses entre les morceaux. Cela permet justement cette liberté de donner lieu à des accidents heureux et de belles choses.

ELLE SUISSE. Vous avez dit rencontrer pas mal de succès auprès des daronnes! Comment l’expliquez-vous?

PM. Les daronnes verraient en moi, parait-il, un fils idéal. Elles projetteraient quelque chose sur moi, mais je ne sais pas exactement quoi ! C’est très drôle. Je les adore d’ailleurs. Je suis un peu leur chouchou

ELLE SUISSE. Nous verrons si les daronnes suisses ont le même faible pour vous que les belges ou les ou les françaises! Vous semblez être à l’aise en toutes circonstances, vous montrez beaucoup d’assurance. Certaines situations vous stressent-elles?

PM. Dans la vie de tous les jours, bien sûr, plein de choses me stressent. Mais ce n’est pas le cas de la promo, des plateaux télés en direct… Je n’appréhende pas tellement les interviews, j’essaie d’être le plus sincère possible. Je n’ai rien à cacher et j’essaie de prendre du plaisir dans cet exercice. Avant de monter sur scène, j’ai aussi le trac pas mais plus autant qu’à mes débuts où je pouvais être complètement paralysé. Je commence à me détendre. La tranquillité vient avec le temps et l’expérience. Toutes les premières fois sont souvent, flippantes.

ELLE SUISSE. Vous contrôlez votre image de manière très précise et, dans le même temps, vous appréciez laisser de la place à l’improvisation. Comment gérez-vous ces envies a priori contradictoires?

PM. C’est une question d’équilibre. Il me paraît important de parvenir à un certain contrôle: on ne peut pas dire et faire n’importe quoi. Mais en fait, je n’en peux plus des interdits, des pensées très lisses que l’on voit partout chez des artistes qui craignent les réseaux sociaux prêts à brandir un drapeau à n’importe quel moment! Je sais que l’on est attendu au tournant et on ne peut pas se permettre de dire tout un tas de choses mais, du coup, cela empêche de créer des moments magiques. J’essaie de ne pas tomber là-dedans mais cela devient plus compliqué avec une notoriété grandissante. Je souhaite demeurer pleinement naturel et détendu et ne pas devenir complètement parano et maniaque dans mes interventions.

ELLE SUISSE. Comment est venue l’idée assez originale d’intégrer à votre album une notice d’utilisation?

PM. C’est une bonne question. J’écoutais l’album un jour avec mon frère en voiture, sur une autoroute. Au moment du titre « Les oiseaux », il faisait assez noir et frais. Plusieurs éléments qui ont rendu cette écoute privilégiée. L’idée m’est alors venue de le suggérer aux personnes qui allaient écouter le disque, avec ensuite toute une série de recommandations. Rien d’obligatoire bien sûr. Mais j’ai éprouvé l’envie de conseiller l’auditeur dans son écoute, dans son expérience musicale.

ELLE SUISSE. Quels sont vos objectifs pour 2023?

PM. Déjà faire un très bel Olympia, une belle tournée des festivals, créer un show qui soit à la hauteur des attentes du public. J’aimerais bien aussi me remettre à composer. Donc, si je pouvais être un peu inspiré et faire un nouveau tube, cela me plairait. Trouver l’amour, peut-être aussi… Et encore, ce n’est peut-être pas le moment, mais voilà, cela fait partie des objectifs d’une vie!

Pierre de Maere, « Regarde moi », 25 mars 2023, Lieu Central, Genève ; Festival Voix de fête, 20 au 26 mars 2023, Genève. Informations et billetterie: voixdefete.com