Fin 2023, la clinique psychiatrique de Cery (VD) offrait un cadre unique à la première exposition du designer tessinois désormais basé à Lausanne. Une analyse artistique saisissante dessillant les yeux du public sur la mémoire des corps emportés par le SIDA et qui se poursuit désormais en galerie jusqu’à l’été 2024.
« Comment les corps peuvent-ils acquérir une nouvelle symbolique? » Dans l’exploration des significations corporelles, Rafael Kouto se laisse guider par son meilleur allié, le tissu. C’est ainsi que s’éveille le récit de sa première résidence artistique ayant pris ses quartiers jusqu’en décembre 2023, dans un lieu peu conventionnel: un hôpital. Celui de Cery, à Prilly (VD). En investissant la clinique psychiatrique vaudoise, le couturier lauréat à trois reprises du Prix suisse de design avait établi un pont entre l’univers médical et celui de la mode, deux domaines travaillant inlassablement un noyau commun: le corps humain.
La mémoire de la mort
L’idée novatrice d’intégrer l’art au sein même des enceintes hospitalières a émergé grâce à Vu.ch, qui a ainsi convié Rafael Kouto. Le projet culturel du CHUV (Centre hospitalier universitaire vaudois) érige depuis 1991 des expositions éphémères dans le hall de son édifice central et sa centaine de bâtiments romands qui offrent alors une vitrine reflétant les diverses réalités de la société.
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Pour le talentueux trentenaire, le projet artistique qu’il a conçu, et qui s’apprécie désormais à l’Espace Cery 2, revêt un caractère d’autant plus important qu’il incarne une réflexion sur les souvenirs que le corps humain recèle. Plus que ça, Lean on the memories of my disappearing bodies (2024), telle que se nomme son œuvre, explore la mémoire résiduelle émanant de corps emportés par le fléau du SIDA: « Ma question est de savoir si, au-delà de la dimension délimitée par les quatre côtés du rectangle de tissu, il existe une extension possible de la mémoire d’un corps absent, qu’il soit mort, désiré ou rêvé », s’interroge-t-il, en collaboration avec le Positive Life Festival, un festival culturel visant à créer de nouvelles représentations de la vie avec le VIH.
La vérité des corps colonisés
Pour répondre à ces interrogations, l’artisan spécialisé dans l’upcycling a entrepris de transformer des pantalons dénichés dans la boutique de seconde main de l’établissement en de somptueuses robes. Guidé par l’appareil photo d’Ayomide Tejuoso « Plantation », Rafael Kouto a ensuite donné vie à une installation singulière, façonnée à partir d’un textile non tissé. La « couture communautaire » , type de design qui résonne au plus profond de ses aspirations, l’a naturellement amené à symboliser cette démarche à travers la figure d’une personne racisée, enveloppée dans un tissu orné de l’image d’un corps. Une mise en abyme qui, d’après ce Suisse d’origine togolaise, reflète « l’état de porter son propre corps ou un autre, tel le processus de la mémoire ou la construction identitaire notamment à travers l’histoire du corps colonisé et exploité ».
Lean on the memories of my disappearing bodies est un hommage vibrant aux communautés marginalisées qui invite avec une puissance émotionnelle et une vérité nécessaire à méditer sur le corps, l’identité, et la profondeur des récits passés ou oubliés. A découvrir à l’Espace Cery 2 jusqu’au jeudi 9 juin 2024.
Et dès le 18 mai une partie de sa production textile sera visible jusqu’au 30 juin 2024 au lieu d’art lausannois, Bad Posture.
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