Vous ne jurez que par le noir, le beige, le gris et le blanc. Les blazers sont votre deuxième peau, les pantalons et jeans droits un état d’esprit. Remerciez Phoebe Philo qui a lancé sa marque ce lundi, mais qui obsède l’univers de la mode depuis déjà près de dix ans. Voici pourquoi.
Rarement dans l’univers ô combien guindé de la mode un retour avait à ce point été sollicité. Puis le lundi 30 octobre a mis fin à l’insoutenable attente: dans la soirée, les premières pages et autres unes des médias les plus suivis du secteur se sont hâtés à la tâche pour annoncer l’une des nouvelles les plus importantes de ce début de semaine: Phoebe Philo a « enfin » lancé sa marque.
A peine le temps de reprendre son souffle que les relais ont pullulé sur les réseaux sociaux. La majorité des comptes encensant la brune au regard océan, dont le style tant discret que mystérieux participe à n’en douter à la puissance de son élégance. Tout cela justifie-t-il cependant l’obsession de la Toile pour la styliste britannique? Spoiler alert: oui, et ce n’est pas tout.
Elle a sauvé Celine
La renaissance de Celine, c’est à Phoebe Philo qu’on la doit. Dès son arrivée en 2008 en tant que directrice artistique, la Londonienne née à Levallois-Perret a accepté d’intégrer la Maison française dont les gammes haute couture étaient, depuis le départ de Michael Kors en 2004, dépourvues de guide créatif.
Pourquoi alors accepter de reprendre l’ensemble des collections d’une griffe visiblement en perte de vitesse? A l’époque, Phoebe Philoe – tout juste partie de la direction artistique de Chloé – le disait elle-même chez Vogue: c’est son désintérêt pour l’histoire de Celine qui a probablement conforté son intrépidité. Objectif pour le moins risqué alors: implanter un style qui n’avait encore jamais été assimilé à la prestigieuse marque lancée près de 90 ans auparavant.
La nouvelle designer en chef propose ainsi un vestiaire qui contrarie allègrement les tendances criardes et tapageuses des années 2000. Et contre toute attente, le pari est gagnant: en une décennie passée en son sein, Phoebe Philo fait passer les ventes de Celine de 200 millions d’euros à plus de 700 millions d’euros, rapporte le Harper’s Bazaar.
Elle a redéfini le chic minimaliste
Phoebe Philo est donc à l’origine de ce qu’est devenu le cultissime « style Celine ». Mais la designer aujourd’hui âgé de 50 ans est plus que cela. C’est une visionnaire. Car son héritage a surpassé la fugacité d’ordinaire si intrinsèque à la mode. Sa vision pensée pour une génération de 2008 a transcendé les garde-robes des fashionistas au moins jusqu’en 2023.
Ce style intemporel où les lignes s’épurent et les tonalité se neutralisent s’orne de noir, de brun, de gris, de blanc et de beige. Les matières tutoient le luxe, mais nient fièrement les logos et toute autre fioriture. On n’a d’yeux que pour les blazers, les pantalons droits ou cargos et les manteaux oversize. C’est le minimalisme dans son acception la plus contemporaine. Les collections de Phoebe Philo sont taillées pour celles qui s’amusent à chiner dans le placard présumé des hommes. Elles ont l’apparence de femme d’affaires désexualisées et pourtant plus que jamais attirantes.
A travers Phoebe Philo, le monde a enfin compris que l’expression de l’opulence ne devait plus nécessairement s’accomplir dans le bruit. C’est ce que la Gen Z appelle de nos jours le « Quiet Luxury » (« Luxe silencieux », en français). Pour les disciples de Phoebe, revendiquant la norme depuis bien plus d’années, on emploiera un néologisme plus précis, celui de « philophie ».
Elle mise tout dans l’attente
Phoebe Philo est désormais officiellement une marque à part entière. Qui-plus-est hautement valorisée puisque LVMH a annoncé y détenir une part minoritaire. Certes, il faudra certainement du temps pour que la jeune griffe acquiert de la reconnaissance au niveau mondial. Reste que ce n’est aucunement le cas de sa fondatrice. A la manière d’un Karl Lagerfeld, d’une Diane von Furstenberg ou d’un Simon Porte de Jacquemus, Phoebe Philo est de ces designers starifiés qui se font désirer tant par leur art que pour leur poire.
Loin de toute surexposition néanmoins: l’entièreté de la notoriété de la Britannique ayant en effet été bâtie sur la rareté. Un levier puissant pour les entreprises désireuses de stimuler la demande. Et du côté de Phoebe Philo, la stratégie paie. Cette dernière a attendu six années après avoir quitté Celine pour avertir le public de son retour dans la couture. Elle n’aura de cesse de repousser le lancement de cette marque éponyme pendant deux années supplémentaires. De quoi faire tressaillir les philophiles qui ont scruté le peu de nouvelles à la recherche de celle qui les avait abandonnés pendant, en sommes, huit ans.
Et la boutique de Phoebe Philo étant maintenant sur les rails, la fondatrice continue de miser sur cette rareté signature. Le premier drop laconiquement intitulé « A1 » a en effet été lancé en édition limitée. Entendez qu’une fois que les 150 pièces par points de vente seront terminées, nous n’aurons plus que nos yeux pour pleurer. Un effet de l’inaccessible qui, de par la frustration qu’elle engendre, permet toutes les folies. Comme vendre un tote bag de 6400 euros (prix que seules des Maisons confirmées comme Chanel peuvent se permettre) en ne redoutant aucunement le choc du consommateur. Lequel ne craint de son côté uniquement le risque de ne pas être des chanceux de la très sélect communauté. Pour preuve, au lendemain du lancement de la première collection de Phoebe Philo, Women’s Wear Daily (WWD) signalait l’épuisement de plus de la moitié du stock. Après près de 10 ans de charme finement pensé, l’ère Philo ne fait visiblement tout juste que commencer.