De Genève à New York, Sarah Chiche explore l’amour qui défie le temps
« Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve » ou prendre le risque d’aimer ? Margaux et Alexis au mitan de leur vie s’interrogent dans une fresque aussi audacieuse que romanesque.

Bellevue, commune aux portes de Genève où vivent en toute tranquillité des familles bien établies, certaines depuis toujours, d’autres expatriées. Sarah Chiche croque ce microcosme avec malice et nous entraîne à la découverte de plusieurs d’entre elles pour lesquelles le temps s’écoule paisiblement, en apparence, et où chacun aspire à «une existence calme, linéaire, sans trop de surprises». Un déjeuner amical est pourtant perturbé par la chute d’une enfant dans le Léman. Alexis, 9 ans, sonne l’alerte, sauvant ainsi la vie de Margaux. Lorsque les deux enfants se frôlent ensuite, «ce fut comme un court-circuit dans l’ordre établi des choses». Un coup de foudre? Une complicité naissante à tout le moins, des jeux partagés puis un baiser à peine échangé et la petite fille quitte soudainement la région avec sa mère sans explication, laissant Alexis désemparé. Les années passent, chacun poursuit son chemin entre Paris et New York et construit sa vie loin de l’autre. Unions et désunions, enfants, échecs et réussites professionnels, maladies…
Un environnement qui vacille chaque jour davantage. Les décennies se succèdent avec leur lot de chagrins et de joies, les pages se tournent pour parvenir à ce jour, bien longtemps après leur première rencontre, où Margaux et Alexis se croisent par hasard. S’ils se reconnaissent dans l’instant, si leur lien semble être une évidence, peuvent-ils enfin s’aimer? Souhaitent-ils surtout en prendre le risque et s’exposer à souffrir alors qu’ils sont l’un et l’autre parvenus à un point de leur vie où, forts de toutes les expériences vécues, ils aspirent avant tout à une tranquillité certaine? Un sentiment exploré dans toutes ses nuances et l’autrice de reconnaître qu’«aimer est le plus beau paradoxe. (…) Comme si certaines rencontres portaient en elles, dès le premier regard échangé, le plan d’un édifice invisible, patient et muet, ce que l’on nomme parfois, faute de mieux, l’éternité». Superbe!
Sarah Chiche, «Aimer», éd. Julliard, 2025, 384 p., lelivresurlesquais.ch
