Qui sont ces Suissesses qui ne veulent plus avoir d’enfants?

28 novembre 2023 · Modifié · Melissa N'Dila

De récents chiffres publiés par la Confédération font état d’une baisse historique de la natalité en Suisse. Une situation qui amène à se demander, entre autres, pourquoi nombre de femmes dans le pays retardent ou renoncent à l’envie de fonder une famille. Inflation, relations, injonctions… Une trentaine de Suissesses sorties des sentiers battus, tantôt par défaut, tantôt par conviction, se livrent dans un entretien touchant de courage et de sincérité.

C’est un sujet sensible, parfois tabou. Mais désormais bien trop considérable pour ne point le décanter. Fin octobre, un rapport de l’Office fédérale de la santé (OFS) concernant les natalités en Suisse a été publié: en 2022, 82’371 bébés ont vu le jour. Si ce nombre s’avère important, le département fédéral note qu’en réalité, il n’a jamais été aussi bas qu’au cours de ces dix dernières années. Parmi les causes principales, est indiquée en premier lieu la hausse de la mortalité infantile, avec environ 60 % des décès survenant le premier jour.

Mais d’autres facteurs y jouent également un rôle substantiel. Ils concernent une part toujours plus importante de femmes aux profils quelque peu stigmatisés. Ces Suissesses qui se tâtent toujours davantage sur leur désir d’un jour donner la vie, mais aussi celles qui en sont désormais sûres: s’aventurer dans le terrain de la maternité ne leur suscite plus aucune envie. Etudiantes, professionnalisées ou sans activité, âgées de 23 à 39 ans, une trentaine d’entre elles a accepté de s’épancher plus longuement auprès de ELLE Suisse sur les raisons qui les ont amenées à ces choix, encore aujourd’hui, parfois incompris.

Désir de riche

A commencer par Virginie. Si la Genevoise de 31 ans concède parfois s’imaginer avoir des enfants, elle souligne cependant la nécessité de vouloir d’abord terminer ses études. Diplômée d’un bachelor, l’étudiante en archéologie termine actuellement un master, à l’issue duquel elle compte poursuivre avec un doctorat. Selon ses estimations: « Je ne pense pas avoir des enfants avant au moins six ans ». Elle aurait alors presque 40 ans, au moment où elle commencerait à y penser. Erin, Estelle et Bérénice*, âgées de 24 à 29 ans, comprennent pleinement son point de vue:

Une partie de moi me dit que réussir ma vie avant d’en mettre une autre au monde est plus important.

Estelle, 25 ans

Pour elles, s’accomplir dans le travail leur permet de ne pas s’oublier, d’avoir le temps de se trouver, et donc de pleinement se réaliser. D’autres femmes s’étant confiées à ELLE ponctuent dans le même sens avec, par ailleurs, l’importance de s’assurer un train de vie aisé dans une époque toujours plus frappée par l’inflation.

Le manque d’argent est en effet une cause largement pointée du doigt par celles qui hésitent de plus en plus à avoir des enfants. Elles expliquent regretter de ne plus avoir les moyens de se le permettre. Pour cause, « même avec deux salaires, les couples peinent à payer leurs factures. Alors, qu’est-ce que cela donnerait avec une troisième bouche à nourrir? », s’interroge Sarah, 29 ans, qui prétend à l’instar de Pauline*, de trois ans sa cadette, que:

Vouloir un enfant demande désormais d’être une personne financièrement aisée.

Pauline*, 26 ans

Argument similaire formulé par Mathilde, 30 ans, qui accuse le coup de l’augmentation des prix alors qu’elle détient un poste de responsable senior dans le secteur de la communication: « Si la vie coûtait moins cher », indique la jeune femme, son compagnon et elle auraient déjà eu des enfants. Un paradoxe qui amène à se demander combien fonder une famille en Suisse coute-t-il réellement.

A lire aussi: Audrey Leuba, première femme à la tête de l’Université de Genève

Un récent article de l’assurance AXA rapportait, d’après les chiffres du département zurichois de la jeunesse, qu’en moyenne, les dépenses sont de l’ordre de 18’500 francs par an, soit un total de 370’000 francs jusqu’au 20e anniversaire de l’enfant. Un montant qui ne compte même pas la garde externe des enfants ou la baisse des revenus lorsque l’un des parents se retrouve mère ou père au foyer. Ainsi, en intégrant ces éléments:

Une étude publiée il y a un certain temps par l’OFS parvenait à une facture totale d’environ un million de francs par enfant.

AXA Suisse, assurance

Une somme importante qu’AXA tempère néanmoins: l’assurance soutient que l’arrivée d’un deuxième, voire d’un troisième enfant, réduit substantiellement les coûts mensuels par enfant. Manière de dire que la solution pour s’en sortir se trouverait dans l’établissement d’une famille nombreuse. Mais est-ce que tout le monde en est réellement prêt?

Angoisse « archaïque »

A cette question, de plus en plus de témoins expliquent préférer décélérer leurs ambitions familiales au profit d’une carrière fructueuse. Et elles ne sont pas les seules. Les chiffres publiés fin juin 2022 par l’Office fédéral de la statistique (OFS) corroborent la tendance en dévoilant une augmentation des taux d’activité des Suissesses, âgées de 25 à 54 ans, de 82 % à 87 % depuis 2010.

Et ce nombre n’inclut pas seulement celles qui repoussent à plus tard leur désir d’enfanter dans l’attente de meilleures ressources financières. Il implique également celles qui, comme Raïssa, 26 ans, choisissent, sans l’ombre d’un doute, « de prioriser la stabilité financière face aux cliquetis de mon horloge biologique ». Se réaliser autrement que par le fait de devenir maman: un choix encore mal perçu dans une société que nombre des témoins jugent être toujours encline à satisfaire les injonctions malgré des discours progressistes qui pullulent dans les médias. Pour Edith Vallée, docteure en psychologie et pionnière des recherches sur la non-maternité qui a abordé la problématique en 2021 sur le site de la Fédération suisse des psychologues (FSP), cela s’explique:

Il y a une angoisse très archaïque, qui date du temps où il fallait des enfants pour que l’humanité survive. Ce sentiment provoque des réactions d’une violence démesurée par rapport à l’enjeu réel. À travers le choix de ne pas vouloir d’enfant, le statut de la maternité redescend aussi de son piédestal. Ce qui n’est pas toujours facile à comprendre et à accepter.

Edith Vallée, docteure en psychologie, pionnière des recherches sur la non-maternité | Fédération suisse des psychologues

Se soumettre aux diktats sociétaux, Lysa, 39 ans, ne l’entend pas de cette oreille non plus. Elle en souligne d’ailleurs ses contradictions: « Alors qu’avoir un enfant s’avère être un acte purement égoïste, la société essaie de nous faire croire que c’est de ne pas en avoir qui l’est. Puis, le jour où une femme en a, celle-ci se retrouve soudainement stigmatisée de prendre un temps d’arrêt pour accueillir et s’occuper de son enfant. Cela n’a pas de sens. »

Nouveaux codes relationnels

Mais avant de se poser la question de la parentalité, vient d’abord celle de savoir avec qui se concrétisera cette trajectoire de vie. Or, outre les injonctions sociétales, les relations (hétérosexuelles dans la majorité des cas partagés à ELLE Suisse) semblent également impacter les choix de nos témoins. Une dizaine d’entre elles déclarent en effet « subir » les nouveaux codes relationnels: « Les réseaux sociaux et toutes les applications de rencontres ont changé la donne, observe Zoé, 26 ans, qui, comme de nombreux Suisses, a découvert l’univers des rencontres en ligne durant la pandémie de Covid. Lorsque quelqu’un n’est pas satisfait de son partenaire, il peut en trouver un autre en un seul clic. Difficile d’envisager un enfant quand on ne parvient même pas à envisager une relation stable. »

Souvent, même trouver la bonne personne ne suffit plus, si l’on en croit Jaya*, 32 ans:

Aujourd’hui, être en couple, être marié, ou même avoir un enfant avec un homme ne vous garantit plus qu’il voudra rester dans la relation pour toujours. Et s’occuper d’un enfant seule – lorsque ce n’est pas désiré – n’est vraiment pas facile tant mentalement que financièrement.

Jaya*, 32 ans.

Lysa, de son côté, va encore plus loin. Pour la Zürichoise, deux personnes qui s’aiment et se disent prêtes à avoir un enfant ne signent pas la condition d’être de bons parents: « Ce n’est pas tout de trouver un bon partenaire. Dans l’idéal, il faudrait qu’il soit un bon parent aussi. Et cela va au-delà de vouloir ou d’être prêt à avoir un enfant. Il y a, surtout si c’est désiré, des prérequis à mettre en place, comme guérir de ses blessures d’enfance ou de ses traumas afin d’éviter au plus possible de les transférer à sa progéniture. »

A lire aussi: Pour la première fois, une femme à la direction générale de Logitech

Actualité anxiogène

Finalement, parmi les causes qui réfrènent les Suissesses, l’actualité. De la situation géopolitique mondiale aux perturbations environnementales jusqu’aux relais des médias, ces dernières déplorent un monde profondément anxiogène qu’elles avouent ne pas avoir envie « d’imposer à quelqu’un qui n’a rien demandé », pour citer Sarah. « Comment garantir une sécurité et une stabilité à un enfant dans une telle situation? », renchérit alors Egzona, 29 ans. Eléa, étudiante en psychologie âgée de 23 ans, appose cette même interrogation aux plateformes internet, lesquelles ont pourtant été spécialement pensées pour plaire à sa génération, la Z:

Quand je vois de très jeunes internautes sur Tiktok et la mauvaise utilisation qu’ils en font, avec tous ces challenges dangereux, cela me fait peur pour mon futur enfant.

Eléa, 23 ans.

Une crainte justifiée puisqu’en 2021, Tiktok publiait effectivement un long rapport sur l’impact de ses nombreux challenges viraux sur les adolescents. Au terme de ces recherches réalisées auprès de 10’000 d’entre eux, la célèbre application chinoise a affirmé que 17 % des adolescents interrogés considéraient ces challenges risqués et dangereux. 3 % avaient opté pour l’option « très dangereux » et 0,3 % des adolescents interrogés affirment avoir pris part à ces challenges dits « très dangereux ».

A contraio, 48 % des adolescents interrogés considéraient cependant que les challenges auxquels ils avaient récemment été exposés étaient « amusants » et « légers ». Tiktok avait également annoncé notamment faire appel à des professionnels tels que des psychiatres pour enfants, des spécialistes de la sécurité des adolescents, comme l’agence indépendante Praedisio Safeguarding, spécialisée dans le bien-être, la santé et la sécurité pour assurer une meilleure régulation du contenu.

Une certaine forme de respect

La prise de conscience de ces femmes n’est, d’après la psychologue Edith Vallée, pas nouvelle. Cette spécialiste de la non-maternité a débuté à travailler sur le sujet dans les années 1970, période où les femmes ont commencé « à se rendre compte qu’il était possible de cesser d’obéir aux projets des parents et de la société ». Selon elle, même si celles qui choisissaient une autre voie étaient « considérées comme des monstres »:

Il y a ensuite, dans les années 1980, une certaine forme de curiosité et un intérêt pour ces femmes qui maîtrisent leur vie et contrôlent leur corps. On leur accorde le respect. 

Edith Vallée, docteure en psychologie, pionnière des recherches sur la non-maternité | Fédération suisse des psychologues

Le site de la FSP, qui se base sur une enquête de l’OFS, indique finalement que le nombre de femmes restant sans enfant en Suisse est d’ailleurs loin d’être une marginalité: en 2021, 19,7 % des femmes entre 50 et 59 ans déclaraient n’avoir pas eu d’enfant. Un taux qui atteignait 30,5 % chez celles ayant fait des études supérieures.

A lire aussi: Fanny Leeb, en marche vers la guérison

Tags : famille · indépendance · Femme

De récents chiffres publiés par la Confédération font état d’une baisse historique de la natalité en Suisse. Une situation qui amène à se demander, entre autres, pourquoi nombre de femmes dans le pays retardent ou renoncent à l’envie de fonder une famille. Inflation, relations, injonctions… Une trentaine de Suissesses sorties des sentiers battus, tantôt par défaut, tantôt par conviction, se livrent dans un entretien touchant de courage et de sincérité.

C’est un sujet sensible, parfois tabou. Mais désormais bien trop considérable pour ne point le décanter. Fin octobre, un rapport de l’Office fédérale de la santé (OFS) concernant les natalités en Suisse a été publié: en 2022, 82’371 bébés ont vu le jour. Si ce nombre s’avère important, le département fédéral note qu’en réalité, il n’a jamais été aussi bas qu’au cours de ces dix dernières années. Parmi les causes principales, est indiquée en premier lieu la hausse de la mortalité infantile, avec environ 60 % des décès survenant le premier jour.

Mais d’autres facteurs y jouent également un rôle substantiel. Ils concernent une part toujours plus importante de femmes aux profils quelque peu stigmatisés. Ces Suissesses qui se tâtent toujours davantage sur leur désir d’un jour donner la vie, mais aussi celles qui en sont désormais sûres: s’aventurer dans le terrain de la maternité ne leur suscite plus aucune envie. Etudiantes, professionnalisées ou sans activité, âgées de 23 à 39 ans, une trentaine d’entre elles a accepté de s’épancher plus longuement auprès de ELLE Suisse sur les raisons qui les ont amenées à ces choix, encore aujourd’hui, parfois incompris.

Désir de riche

A commencer par Virginie. Si la Genevoise de 31 ans concède parfois s’imaginer avoir des enfants, elle souligne cependant la nécessité de vouloir d’abord terminer ses études. Diplômée d’un bachelor, l’étudiante en archéologie termine actuellement un master, à l’issue duquel elle compte poursuivre avec un doctorat. Selon ses estimations: « Je ne pense pas avoir des enfants avant au moins six ans ». Elle aurait alors presque 40 ans, au moment où elle commencerait à y penser. Erin, Estelle et Bérénice*, âgées de 24 à 29 ans, comprennent pleinement son point de vue:

Une partie de moi me dit que réussir ma vie avant d’en mettre une autre au monde est plus important.

Estelle, 25 ans

Pour elles, s’accomplir dans le travail leur permet de ne pas s’oublier, d’avoir le temps de se trouver, et donc de pleinement se réaliser. D’autres femmes s’étant confiées à ELLE ponctuent dans le même sens avec, par ailleurs, l’importance de s’assurer un train de vie aisé dans une époque toujours plus frappée par l’inflation.

Le manque d’argent est en effet une cause largement pointée du doigt par celles qui hésitent de plus en plus à avoir des enfants. Elles expliquent regretter de ne plus avoir les moyens de se le permettre. Pour cause, « même avec deux salaires, les couples peinent à payer leurs factures. Alors, qu’est-ce que cela donnerait avec une troisième bouche à nourrir? », s’interroge Sarah, 29 ans, qui prétend à l’instar de Pauline*, de trois ans sa cadette, que:

Vouloir un enfant demande désormais d’être une personne financièrement aisée.

Pauline*, 26 ans

Argument similaire formulé par Mathilde, 30 ans, qui accuse le coup de l’augmentation des prix alors qu’elle détient un poste de responsable senior dans le secteur de la communication: « Si la vie coûtait moins cher », indique la jeune femme, son compagnon et elle auraient déjà eu des enfants. Un paradoxe qui amène à se demander combien fonder une famille en Suisse coute-t-il réellement.

A lire aussi: Audrey Leuba, première femme à la tête de l’Université de Genève

Un récent article de l’assurance AXA rapportait, d’après les chiffres du département zurichois de la jeunesse, qu’en moyenne, les dépenses sont de l’ordre de 18’500 francs par an, soit un total de 370’000 francs jusqu’au 20e anniversaire de l’enfant. Un montant qui ne compte même pas la garde externe des enfants ou la baisse des revenus lorsque l’un des parents se retrouve mère ou père au foyer. Ainsi, en intégrant ces éléments:

Une étude publiée il y a un certain temps par l’OFS parvenait à une facture totale d’environ un million de francs par enfant.

AXA Suisse, assurance

Une somme importante qu’AXA tempère néanmoins: l’assurance soutient que l’arrivée d’un deuxième, voire d’un troisième enfant, réduit substantiellement les coûts mensuels par enfant. Manière de dire que la solution pour s’en sortir se trouverait dans l’établissement d’une famille nombreuse. Mais est-ce que tout le monde en est réellement prêt?

Angoisse « archaïque »

A cette question, de plus en plus de témoins expliquent préférer décélérer leurs ambitions familiales au profit d’une carrière fructueuse. Et elles ne sont pas les seules. Les chiffres publiés fin juin 2022 par l’Office fédéral de la statistique (OFS) corroborent la tendance en dévoilant une augmentation des taux d’activité des Suissesses, âgées de 25 à 54 ans, de 82 % à 87 % depuis 2010.

Et ce nombre n’inclut pas seulement celles qui repoussent à plus tard leur désir d’enfanter dans l’attente de meilleures ressources financières. Il implique également celles qui, comme Raïssa, 26 ans, choisissent, sans l’ombre d’un doute, « de prioriser la stabilité financière face aux cliquetis de mon horloge biologique ». Se réaliser autrement que par le fait de devenir maman: un choix encore mal perçu dans une société que nombre des témoins jugent être toujours encline à satisfaire les injonctions malgré des discours progressistes qui pullulent dans les médias. Pour Edith Vallée, docteure en psychologie et pionnière des recherches sur la non-maternité qui a abordé la problématique en 2021 sur le site de la Fédération suisse des psychologues (FSP), cela s’explique:

Il y a une angoisse très archaïque, qui date du temps où il fallait des enfants pour que l’humanité survive. Ce sentiment provoque des réactions d’une violence démesurée par rapport à l’enjeu réel. À travers le choix de ne pas vouloir d’enfant, le statut de la maternité redescend aussi de son piédestal. Ce qui n’est pas toujours facile à comprendre et à accepter.

Edith Vallée, docteure en psychologie, pionnière des recherches sur la non-maternité | Fédération suisse des psychologues

Se soumettre aux diktats sociétaux, Lysa, 39 ans, ne l’entend pas de cette oreille non plus. Elle en souligne d’ailleurs ses contradictions: « Alors qu’avoir un enfant s’avère être un acte purement égoïste, la société essaie de nous faire croire que c’est de ne pas en avoir qui l’est. Puis, le jour où une femme en a, celle-ci se retrouve soudainement stigmatisée de prendre un temps d’arrêt pour accueillir et s’occuper de son enfant. Cela n’a pas de sens. »

Nouveaux codes relationnels

Mais avant de se poser la question de la parentalité, vient d’abord celle de savoir avec qui se concrétisera cette trajectoire de vie. Or, outre les injonctions sociétales, les relations (hétérosexuelles dans la majorité des cas partagés à ELLE Suisse) semblent également impacter les choix de nos témoins. Une dizaine d’entre elles déclarent en effet « subir » les nouveaux codes relationnels: « Les réseaux sociaux et toutes les applications de rencontres ont changé la donne, observe Zoé, 26 ans, qui, comme de nombreux Suisses, a découvert l’univers des rencontres en ligne durant la pandémie de Covid. Lorsque quelqu’un n’est pas satisfait de son partenaire, il peut en trouver un autre en un seul clic. Difficile d’envisager un enfant quand on ne parvient même pas à envisager une relation stable. »

Souvent, même trouver la bonne personne ne suffit plus, si l’on en croit Jaya*, 32 ans:

Aujourd’hui, être en couple, être marié, ou même avoir un enfant avec un homme ne vous garantit plus qu’il voudra rester dans la relation pour toujours. Et s’occuper d’un enfant seule – lorsque ce n’est pas désiré – n’est vraiment pas facile tant mentalement que financièrement.

Jaya*, 32 ans.

Lysa, de son côté, va encore plus loin. Pour la Zürichoise, deux personnes qui s’aiment et se disent prêtes à avoir un enfant ne signent pas la condition d’être de bons parents: « Ce n’est pas tout de trouver un bon partenaire. Dans l’idéal, il faudrait qu’il soit un bon parent aussi. Et cela va au-delà de vouloir ou d’être prêt à avoir un enfant. Il y a, surtout si c’est désiré, des prérequis à mettre en place, comme guérir de ses blessures d’enfance ou de ses traumas afin d’éviter au plus possible de les transférer à sa progéniture. »

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Actualité anxiogène

Finalement, parmi les causes qui réfrènent les Suissesses, l’actualité. De la situation géopolitique mondiale aux perturbations environnementales jusqu’aux relais des médias, ces dernières déplorent un monde profondément anxiogène qu’elles avouent ne pas avoir envie « d’imposer à quelqu’un qui n’a rien demandé », pour citer Sarah. « Comment garantir une sécurité et une stabilité à un enfant dans une telle situation? », renchérit alors Egzona, 29 ans. Eléa, étudiante en psychologie âgée de 23 ans, appose cette même interrogation aux plateformes internet, lesquelles ont pourtant été spécialement pensées pour plaire à sa génération, la Z:

Quand je vois de très jeunes internautes sur Tiktok et la mauvaise utilisation qu’ils en font, avec tous ces challenges dangereux, cela me fait peur pour mon futur enfant.

Eléa, 23 ans.

Une crainte justifiée puisqu’en 2021, Tiktok publiait effectivement un long rapport sur l’impact de ses nombreux challenges viraux sur les adolescents. Au terme de ces recherches réalisées auprès de 10’000 d’entre eux, la célèbre application chinoise a affirmé que 17 % des adolescents interrogés considéraient ces challenges risqués et dangereux. 3 % avaient opté pour l’option « très dangereux » et 0,3 % des adolescents interrogés affirment avoir pris part à ces challenges dits « très dangereux ».

A contraio, 48 % des adolescents interrogés considéraient cependant que les challenges auxquels ils avaient récemment été exposés étaient « amusants » et « légers ». Tiktok avait également annoncé notamment faire appel à des professionnels tels que des psychiatres pour enfants, des spécialistes de la sécurité des adolescents, comme l’agence indépendante Praedisio Safeguarding, spécialisée dans le bien-être, la santé et la sécurité pour assurer une meilleure régulation du contenu.

Une certaine forme de respect

La prise de conscience de ces femmes n’est, d’après la psychologue Edith Vallée, pas nouvelle. Cette spécialiste de la non-maternité a débuté à travailler sur le sujet dans les années 1970, période où les femmes ont commencé « à se rendre compte qu’il était possible de cesser d’obéir aux projets des parents et de la société ». Selon elle, même si celles qui choisissaient une autre voie étaient « considérées comme des monstres »:

Il y a ensuite, dans les années 1980, une certaine forme de curiosité et un intérêt pour ces femmes qui maîtrisent leur vie et contrôlent leur corps. On leur accorde le respect. 

Edith Vallée, docteure en psychologie, pionnière des recherches sur la non-maternité | Fédération suisse des psychologues

Le site de la FSP, qui se base sur une enquête de l’OFS, indique finalement que le nombre de femmes restant sans enfant en Suisse est d’ailleurs loin d’être une marginalité: en 2021, 19,7 % des femmes entre 50 et 59 ans déclaraient n’avoir pas eu d’enfant. Un taux qui atteignait 30,5 % chez celles ayant fait des études supérieures.

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Tags : famille · indépendance · Femme