Les designs spectaculaires générés par IA peuvent-ils réellement exister?

Les concepteurs qui ouvrent la voie à la nouvelle frontière créative de l’intelligence artificielle (IA) partagent leurs visions de l’avenir.

L’une des premières images d’IA à être entrer dans la conscience publique est une vision aussi surréaliste que cauchemardesque dans laquelle les yeux et les têtes de plusieurs chiens se mêlaient dans de grotesques nébuleuses. Nous étions en 2015, et Google venait de publier la création de son outil d’IA générative, Deep Dream.

Aujourd’hui, presque une décennie plus tard, Dall-E, Midjourney ou Stable Diffusion, en collaboration avec leurs instructeurs humains, peuvent tout autant créer des images à la différence que les leurs sont plus convaincantes; les « photographie » d’intérieurs étant les plus réalistes, les plus désirables au point parfois d’être dignes de couvertures de magazines.

Aucune référence stylistique n’est trop geek, aucun mouvement de design n’est trop obscur et aucun mash-up n’est impossible, mais où se trouve la limite à partir de laquelle cela concurrence les idées des architectes ou des designers? En 2023, l’architecte et illustratrice Anna Gibbs a moult fois été citée en déclarant notamment qu’il est « naturel pour les architectes de se sentir mal à l’aise face à un outil qui, à première vue, semble placer sa tasse sur votre bureau et s’installer sur votre chaise ».

Mais tous les studios d’architecture ne sont pas sceptiques. En avril dernier, Patrik Schumacher, directeur de Zaha Hadid Architects, a admis lors d’une interview que son studio utilisait une IA générative afin d’itérer des images et inspirer des solutions de conception. Il a expliqué comment son équipe utilisait des instructions et des références à des projets antérieurs, puis développaient ce qui en découle.

Pendant longtemps, des limites

Tim Fu, qui a quitté Zaha Hadid Architects afin de créer son propre studio en 2023, continue de travailler avec des outils d’IA qui – il l’explique – malgré leurs promesses, présentent également leurs limites: « Lorsque nous explorons la nature créative de l’IA, nous avons tendance à laisser la machine halluciner à sa guise », soulignant que les images résultantes nécessitent toujours une « implication humaine intense pour faire fonctionner une idée dans son contexte ». Le travail de Tim Fu peut l’emmener dans des envols fantaisistes, mais il fait également partie des concepteurs pionniers transformant son travail théorique en réalité – bien que, jusqu’à présent, à une échelle plus modeste.

Travaillant aux côtés du fabricant italien Mavimatt, Tim Fu a conçu la chaise « Chromatic ». Ressemblant aux designs spatiaux d’Eero Aarnio, avec une généreuse dose de radicalisme italien, le produit semi-sphérique résultant est autant le produit de l’IA et des compétences avancées en fabrication que de l’artisanat italien. Les « Colonnes de pierre AI » de Tim Fu, une série de chapiteaux en pierre (le sommet décoratif d’une colonne) inspirés par les courbes sinueuses de l’architecture paramétrique, ont été conçues dans Midjourney puis traduites en plans utilisables avant d’être sculptées par le tailleur de pierre Till Apfel. « Lorsque l’IA prend en charge une partie de la conception, peut-être que les humains peuvent réintroduire de l’art dans la fabrication, estime-t-il. C’est finalement à nous de décider où l’art humain demeure précieux lorsque les machines prennent en charge davantage de rôles ».

Juul van den Heuvel, diplômé de la Design Academy d’Eindhoven, a travaillé avec Dall-E 4 et Midjourney pour développer sa thèse, « (A)I Designed a Chair », qu’il a présentée lors de la Dutch Design Week 2023. « Lorsque je travaillais sur mon projet, l’IA ne pouvait pas encore analyser les images », explique Juul van den Heuvel, tout en précisant qu’il avait généré plus de 500 images de chaises qui ont progressivement affiné ses instructions avant de choisir celle qui, selon lui, démontrait le mieux le processus de conception. « Je voulais raconter l’histoire de la conception par l’IA – c’est pourquoi j’ai choisi cette chaise au look étrange », se souvient-il. Son design inhabituel présente un dossier double sur une base ovale asymétrique, rendu dans une teinte uniforme d’outremer.

Le produit a cependant révélé une limite de l’IA générative. Juul van den Heuvel n’avait qu’une seule image de sa conception finale avec laquelle travailler, car Midjourney ne pouvait pas (encore) fournir des dessins précis avec des dimensions et des vues latérales ou supérieures. « (A)I Designed a Chair » est méticuleusement construit à partir de 11 mètres carrés de bois de 4 mm d’épaisseur et pèse 20 kg. Cela ne veut pas dire qu’il ne pourrait pas éventuellement être adapté à des modes de production plus avancés. Juul van den Heuvel était satisfait du résultat, car la chaise a déclenché un débat sur le rôle potentiel de ces outils dans la conception réelle de meubles. « En tant que concepteurs, c’est notre devoir d’explorer de nouvelles technologies », conclut-il.

2023 pourrait avoir été l’année où l’IA générative a atteint la conscience publique, mais l’intérêt des concepteurs pour ses possibilités précède les gros titres qui mettent en garde contre ses dangers potentiels.

La chaise « A.I. » de Philippe Starck pour Kartell, lancée à la Salone del Mobile de Milan en 2019, résulte de questions (comme « Comment pouvez-vous soutenir notre corps avec le moins de matériau et d’énergie possible? ») que le designer a posées à l’outil d’IA d’Autodesk. Pendant ce temps, Carlos Bañon, architecte, designer et professeur adjoint en design durable à l’Université de Technologie et de Design de Singapour, a créé les pieds de la dalle de marbre lisse de sa « AI Table » de 2021 en utilisant une méthodologie similaire. « Le véritable changement de donne, dit-il à propos des progrès dans la génération d’images par l’IA, a été les dialogues itératifs avec l’IA – il faut apprendre à parler, interagir et transférer des informations ».

Du virtuel à la réalité

La première œuvre majeure d’Andrés Bañon en matière d’IA générative était une série d’escaliers envoûtants et monolithiques qui semblent s’écouler et se tordre entre différents niveaux. Les images sont devenues virales et ont récolté plus de 850 000 likes sur Instagram. L’exposition résultante a attiré un client au Royaume-Uni poussant Andrés Bañon à collaborer avec un autre artiste pour explorer comment des machines CNC à grande échelle pourraient concrétiser cet intérieur de rêve. Son travail actuel avec l’IA explore des options d’assise en forme de fleurs. Transcluents, organiques et éthérés, les sièges « Blossom » mettent en valeur les variations infinies sur un thème que les outils d’IA peuvent générer. Andrés Bañon a l’intention de présenter un prototype 3D imprimé fonctionnel aux autorités singapouriennes. Si tout se déroule comme prévu, ces designs pourraient bientôt être présents dans les parcs de cette région tournée vers l’avenir.

Le travail d’Andrés Bañon témoigne du potentiel pour transformer les « likes » du virtuel en actions concrètes dans le réel. Pour l’artiste numérique et designer argentin Andrés Reisinger, « il est possible et peut-être nécessaire de créer une demande numérique avant de présenter des offres physiques », et il cite les coûts élevés et le gaspillage associés à la création de nouveaux produits qui pourraient ne pas se vendre. Sa chaise « Hortensia », inspirée par les fleurs d’hortensia, a débuté en tant qu’œuvre NFT virale en 2018 avant que lui et l’artiste textile Júlia Esqué ne traduisent le design en une vraie chaise produite par Moooi en 2022.

Andrés Reisinger a intégré l’IA dans son processus de conception et l’utilise, dit-il, pour « aider l’inconscient à se révéler ». Sa dernière série spéculative, « Takeovers », est un autre succès viral sur Instagram. Elle imagine des tissus rose poudré (certains lisses, d’autres étonnamment flous) drapés sur des paysages urbains étrangement familiers. Bien que ces visions ne se traduisent peut-être pas aussi facilement dans la réalité (une récente tentative à Miami a quelque peu échoué), elles remettent en question les notions établies de ce qu’un environnement urbain peut être.

Tremplin d’inspiration

Cette perturbation des attentes est précisément la raison pour laquelle Hannes Peer, architecte et designer d’intérieur basé à Milan, considère l’IA comme un outil précieux. Son travail avait déjà pris une orientation conceptuelle avant même l’avènement de l’IA. Le projet « Marmor » de 2016 imaginait des espaces de vie construits à l’intérieur d’une carrière de marbre abandonnée, et il a fait sensation à sa publication – le studio de Hannes Peer a été inondé de demandes d’achat d’appartements dans le cadre fictif. « Créer des espaces imaginatifs, dit-il, nous empêche de tomber dans un simple processus d’essais et erreurs esthétiques guidé uniquement par des préférences Instagrammables. » Pour lui, les images générées par l’IA manquent d’un niveau de sophistication que les espaces physiques peuvent avoir (les images sont d’une douceur impossible, sans les imperfections et la patine qui rendent un espace spécial). L’IA reste, selon l’architecte, un outil imparfait à exploiter, plutôt qu’une source d’idées de conception.

Peut-être de manière surprenante, l’artiste numérique, directrice artistique et designer basée à Londres, Charlotte Taylor, qui a lancé en 2023 Design Dreams, un livre dédié aux intérieurs virtuels, adopte une attitude similaire envers l’utilisation de l’IA générative. Son studio, Maison de Sable, propose un portfolio de travaux d’imagerie, comprenant des villas de verre flottant dans la jungle, des habitations de type grotte en Méditerranée et même des hôtels sur Mars. Cependant, maintenant qu’elle fait des incursions dans le domaine physique (avec des projets comprenant un bar d’écoute à Londres et des maisons pour des clients privés dans les Pouilles et en Andalousie), elle se réfère à son expérience de conception d’installations architecturales à l’université, où elle dessinait sur le sol avec de la craie et essayait d’imaginer ce que les espaces ressentiraient. « Je continue à concevoir de manière très tactile et j’ai toujours plusieurs mètres à ruban étalés sur le sol pendant que je dessine des plans », explique-t-elle.

Que l’on soit enthousiasmé ou préoccupé par l’engouement, il est clair que l’IA est plus qu’une simple tendance éphémère. Pour l’instant, il semble improbable qu’elle remplace complètement les designers et artisans dont les conseils et l’apport restent essentiels au processus. Au lieu de cela, elle est peut-être mieux vue comme un tremplin pour l’inspiration et un outil pour visualiser des espaces et des produits novateurs, aidant les créatifs à concevoir plus en dehors des sentiers battus que jamais auparavant.

Auteur: Peter Smisek
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur 
elledecoration.co.uk. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.

Tags : Maison · architecture · ia · Design

Les concepteurs qui ouvrent la voie à la nouvelle frontière créative de l’intelligence artificielle (IA) partagent leurs visions de l’avenir.

L’une des premières images d’IA à être entrer dans la conscience publique est une vision aussi surréaliste que cauchemardesque dans laquelle les yeux et les têtes de plusieurs chiens se mêlaient dans de grotesques nébuleuses. Nous étions en 2015, et Google venait de publier la création de son outil d’IA générative, Deep Dream.

Aujourd’hui, presque une décennie plus tard, Dall-E, Midjourney ou Stable Diffusion, en collaboration avec leurs instructeurs humains, peuvent tout autant créer des images à la différence que les leurs sont plus convaincantes; les « photographie » d’intérieurs étant les plus réalistes, les plus désirables au point parfois d’être dignes de couvertures de magazines.

Aucune référence stylistique n’est trop geek, aucun mouvement de design n’est trop obscur et aucun mash-up n’est impossible, mais où se trouve la limite à partir de laquelle cela concurrence les idées des architectes ou des designers? En 2023, l’architecte et illustratrice Anna Gibbs a moult fois été citée en déclarant notamment qu’il est « naturel pour les architectes de se sentir mal à l’aise face à un outil qui, à première vue, semble placer sa tasse sur votre bureau et s’installer sur votre chaise ».

Mais tous les studios d’architecture ne sont pas sceptiques. En avril dernier, Patrik Schumacher, directeur de Zaha Hadid Architects, a admis lors d’une interview que son studio utilisait une IA générative afin d’itérer des images et inspirer des solutions de conception. Il a expliqué comment son équipe utilisait des instructions et des références à des projets antérieurs, puis développaient ce qui en découle.

Pendant longtemps, des limites

Tim Fu, qui a quitté Zaha Hadid Architects afin de créer son propre studio en 2023, continue de travailler avec des outils d’IA qui – il l’explique – malgré leurs promesses, présentent également leurs limites: « Lorsque nous explorons la nature créative de l’IA, nous avons tendance à laisser la machine halluciner à sa guise », soulignant que les images résultantes nécessitent toujours une « implication humaine intense pour faire fonctionner une idée dans son contexte ». Le travail de Tim Fu peut l’emmener dans des envols fantaisistes, mais il fait également partie des concepteurs pionniers transformant son travail théorique en réalité – bien que, jusqu’à présent, à une échelle plus modeste.

Travaillant aux côtés du fabricant italien Mavimatt, Tim Fu a conçu la chaise « Chromatic ». Ressemblant aux designs spatiaux d’Eero Aarnio, avec une généreuse dose de radicalisme italien, le produit semi-sphérique résultant est autant le produit de l’IA et des compétences avancées en fabrication que de l’artisanat italien. Les « Colonnes de pierre AI » de Tim Fu, une série de chapiteaux en pierre (le sommet décoratif d’une colonne) inspirés par les courbes sinueuses de l’architecture paramétrique, ont été conçues dans Midjourney puis traduites en plans utilisables avant d’être sculptées par le tailleur de pierre Till Apfel. « Lorsque l’IA prend en charge une partie de la conception, peut-être que les humains peuvent réintroduire de l’art dans la fabrication, estime-t-il. C’est finalement à nous de décider où l’art humain demeure précieux lorsque les machines prennent en charge davantage de rôles ».

Juul van den Heuvel, diplômé de la Design Academy d’Eindhoven, a travaillé avec Dall-E 4 et Midjourney pour développer sa thèse, « (A)I Designed a Chair », qu’il a présentée lors de la Dutch Design Week 2023. « Lorsque je travaillais sur mon projet, l’IA ne pouvait pas encore analyser les images », explique Juul van den Heuvel, tout en précisant qu’il avait généré plus de 500 images de chaises qui ont progressivement affiné ses instructions avant de choisir celle qui, selon lui, démontrait le mieux le processus de conception. « Je voulais raconter l’histoire de la conception par l’IA – c’est pourquoi j’ai choisi cette chaise au look étrange », se souvient-il. Son design inhabituel présente un dossier double sur une base ovale asymétrique, rendu dans une teinte uniforme d’outremer.

Le produit a cependant révélé une limite de l’IA générative. Juul van den Heuvel n’avait qu’une seule image de sa conception finale avec laquelle travailler, car Midjourney ne pouvait pas (encore) fournir des dessins précis avec des dimensions et des vues latérales ou supérieures. « (A)I Designed a Chair » est méticuleusement construit à partir de 11 mètres carrés de bois de 4 mm d’épaisseur et pèse 20 kg. Cela ne veut pas dire qu’il ne pourrait pas éventuellement être adapté à des modes de production plus avancés. Juul van den Heuvel était satisfait du résultat, car la chaise a déclenché un débat sur le rôle potentiel de ces outils dans la conception réelle de meubles. « En tant que concepteurs, c’est notre devoir d’explorer de nouvelles technologies », conclut-il.

2023 pourrait avoir été l’année où l’IA générative a atteint la conscience publique, mais l’intérêt des concepteurs pour ses possibilités précède les gros titres qui mettent en garde contre ses dangers potentiels.

La chaise « A.I. » de Philippe Starck pour Kartell, lancée à la Salone del Mobile de Milan en 2019, résulte de questions (comme « Comment pouvez-vous soutenir notre corps avec le moins de matériau et d’énergie possible? ») que le designer a posées à l’outil d’IA d’Autodesk. Pendant ce temps, Carlos Bañon, architecte, designer et professeur adjoint en design durable à l’Université de Technologie et de Design de Singapour, a créé les pieds de la dalle de marbre lisse de sa « AI Table » de 2021 en utilisant une méthodologie similaire. « Le véritable changement de donne, dit-il à propos des progrès dans la génération d’images par l’IA, a été les dialogues itératifs avec l’IA – il faut apprendre à parler, interagir et transférer des informations ».

Du virtuel à la réalité

La première œuvre majeure d’Andrés Bañon en matière d’IA générative était une série d’escaliers envoûtants et monolithiques qui semblent s’écouler et se tordre entre différents niveaux. Les images sont devenues virales et ont récolté plus de 850 000 likes sur Instagram. L’exposition résultante a attiré un client au Royaume-Uni poussant Andrés Bañon à collaborer avec un autre artiste pour explorer comment des machines CNC à grande échelle pourraient concrétiser cet intérieur de rêve. Son travail actuel avec l’IA explore des options d’assise en forme de fleurs. Transcluents, organiques et éthérés, les sièges « Blossom » mettent en valeur les variations infinies sur un thème que les outils d’IA peuvent générer. Andrés Bañon a l’intention de présenter un prototype 3D imprimé fonctionnel aux autorités singapouriennes. Si tout se déroule comme prévu, ces designs pourraient bientôt être présents dans les parcs de cette région tournée vers l’avenir.

Le travail d’Andrés Bañon témoigne du potentiel pour transformer les « likes » du virtuel en actions concrètes dans le réel. Pour l’artiste numérique et designer argentin Andrés Reisinger, « il est possible et peut-être nécessaire de créer une demande numérique avant de présenter des offres physiques », et il cite les coûts élevés et le gaspillage associés à la création de nouveaux produits qui pourraient ne pas se vendre. Sa chaise « Hortensia », inspirée par les fleurs d’hortensia, a débuté en tant qu’œuvre NFT virale en 2018 avant que lui et l’artiste textile Júlia Esqué ne traduisent le design en une vraie chaise produite par Moooi en 2022.

Andrés Reisinger a intégré l’IA dans son processus de conception et l’utilise, dit-il, pour « aider l’inconscient à se révéler ». Sa dernière série spéculative, « Takeovers », est un autre succès viral sur Instagram. Elle imagine des tissus rose poudré (certains lisses, d’autres étonnamment flous) drapés sur des paysages urbains étrangement familiers. Bien que ces visions ne se traduisent peut-être pas aussi facilement dans la réalité (une récente tentative à Miami a quelque peu échoué), elles remettent en question les notions établies de ce qu’un environnement urbain peut être.

Tremplin d’inspiration

Cette perturbation des attentes est précisément la raison pour laquelle Hannes Peer, architecte et designer d’intérieur basé à Milan, considère l’IA comme un outil précieux. Son travail avait déjà pris une orientation conceptuelle avant même l’avènement de l’IA. Le projet « Marmor » de 2016 imaginait des espaces de vie construits à l’intérieur d’une carrière de marbre abandonnée, et il a fait sensation à sa publication – le studio de Hannes Peer a été inondé de demandes d’achat d’appartements dans le cadre fictif. « Créer des espaces imaginatifs, dit-il, nous empêche de tomber dans un simple processus d’essais et erreurs esthétiques guidé uniquement par des préférences Instagrammables. » Pour lui, les images générées par l’IA manquent d’un niveau de sophistication que les espaces physiques peuvent avoir (les images sont d’une douceur impossible, sans les imperfections et la patine qui rendent un espace spécial). L’IA reste, selon l’architecte, un outil imparfait à exploiter, plutôt qu’une source d’idées de conception.

Peut-être de manière surprenante, l’artiste numérique, directrice artistique et designer basée à Londres, Charlotte Taylor, qui a lancé en 2023 Design Dreams, un livre dédié aux intérieurs virtuels, adopte une attitude similaire envers l’utilisation de l’IA générative. Son studio, Maison de Sable, propose un portfolio de travaux d’imagerie, comprenant des villas de verre flottant dans la jungle, des habitations de type grotte en Méditerranée et même des hôtels sur Mars. Cependant, maintenant qu’elle fait des incursions dans le domaine physique (avec des projets comprenant un bar d’écoute à Londres et des maisons pour des clients privés dans les Pouilles et en Andalousie), elle se réfère à son expérience de conception d’installations architecturales à l’université, où elle dessinait sur le sol avec de la craie et essayait d’imaginer ce que les espaces ressentiraient. « Je continue à concevoir de manière très tactile et j’ai toujours plusieurs mètres à ruban étalés sur le sol pendant que je dessine des plans », explique-t-elle.

Que l’on soit enthousiasmé ou préoccupé par l’engouement, il est clair que l’IA est plus qu’une simple tendance éphémère. Pour l’instant, il semble improbable qu’elle remplace complètement les designers et artisans dont les conseils et l’apport restent essentiels au processus. Au lieu de cela, elle est peut-être mieux vue comme un tremplin pour l’inspiration et un outil pour visualiser des espaces et des produits novateurs, aidant les créatifs à concevoir plus en dehors des sentiers battus que jamais auparavant.

Auteur: Peter Smisek
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur 
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Tags : Maison · architecture · ia · Design