Caroline George, guide de haute montagne, était ambassadrice et coordinatrice technique de la 100% Women Peak Challenge, initiée par Suisse Tourisme.
Son sourire, c’est en premier ce que l’on entend. Puis viennent la détermination et une réflexion sur un destin, le sien; celui d’une femme qui a gravi des sommets, certes. Mais une vérité qui se veut aussi imagée lorsqu’en feuilletant le livre de sa vie, on comprend qu’elle a franchi une montagne invisible, comme elle l’appelle; celle du sexisme, dans une profession essentiellement représentée par des hommes. Car si la discipline n’est pas officiellement genrée, être une femme guide de haute montagne n’est pas commun. Un témoignage étonnant lorsqu’on évoque les étapes qui l’ont conduite aux plus belles ascensions, mais surtout à la sienne, en tant qu’humaine.
ELLE SUISSE. RÉUSSIR DANS LA VIE, CE N’EST PAS RÉUSSIR SA VIE… ÊTES-VOUS EN ACCORD AVEC ÇA?
CAROLINE GEORGE. Absolument! Il y a une grande nuance. Réussir dans la vie, selon moi, ça implique l’aspect professionnel, ça correspond à un statut social; mais réussir sa vie c’est plus personnel, c’est avoir vécu de manière enthousiasmante!
ELLE SUISSE. ET JUSTEMENT VOTRE VIE, QU’EN PENSEZ-VOUS?
C.G. La vie est bien vécue lorsqu’on profite de plein d’expériences, lorsqu’on mord la vie à pleines dents! Il y a des aspects de ma vie que j’ai l’impression d’avoir moins bien réussis que d’autres, mais c’est aussi ce sentiment qui me permet de grandir et d’apprendre pour toujours m’améliorer et mieux vivre par la suite.
ELLE SUISSE. IL Y A SEULEMENT ENTRE 1% ET 2% DE FEMMES GUIDES DE HAUTE MONTAGNE DANS LE MONDE, POURQUOI SI PEU SELON VOUS?
C.G. À l’époque, les aventuriers allaient à la conquête des sommets, pendant que les femmes restaient à la maison pour s’occuper des enfants… Ça fait partie de ces acquis sociaux qui sont très difficiles à changer. On grandit avec des stéréotypes: une femme ne peut pas faire ci ou ça, alors qu’un homme le peut. Et c’est difficile d’aller à l’encontre de ce genre de schémas. Et puis, c’est aussi parce que les femmes n’osent pas prendre leur place et qu’elles sont sous-représentées dans ces sports.
ELLE SUISSE. POURQUOI AVOIR CHOISI CE MÉTIER?
C.G. Ma mère était passionnée de montagne, et le fait qu’elle suive ses rêves malgré les stéréotypes, m’a beaucoup inspirée. Je ne me suis jamais posé la question de savoir si du fait de mon genre, ce métier m’était accessible ou non. Mais quand j’ai commencé à faire des voies très difficiles en montagne, qui entraient sur le terrain de ce que les hommes plus forts faisaient, j’ai été remise à ma place… C’est là que j’ai réalisé la domination du milieu de la montagne par les hommes.
ELLE SUISSE. VOUS ÊTES FÉMINISTE?
C.G. Je n’aime pas ce mot, car il a une connotation négative. Lorsque je suis devenue maman, j’ai pris conscience des disparités auxquelles je ne voulais pas que ma fille se confronte. Le féminisme a pour but l’égalité des droits; je suis pour le concept, mais le mot a mauvaise presse, car il est mal interprété. Il fait peur à la gent masculine qui pense perdre ses prérogatives, sans savoir que ce ne sont que des acquis sociaux qui ne devraient pas exister. Tout est basé sur des peurs de perdre des droits supérieurs…
ELLE SUISSE. POUR LA 100% WOMEN PEAK CHALLENGE, VOUS AVEZ COACHÉ DES FEMMES POUR LEUR PERMETTRE DE SE DÉPASSER EN RÉALISANT DES ASCENSIONS RECORDS… POURQUOI VOUS ÊTRE INVESTIE DE CETTE MANIÈRE ?
C.G. C’était un moyen pour moi de créer des changements, de rétablir un équilibre, de montrer à ma fille qu’avec des efforts, on peut arriver à changer certaines choses. La montagne est un lieu de ressource où je me sens bien, dont j’ai besoin. Je ne peux pas admettre que ce ne soit pas accessible à toutes les femmes. J’aime la symbolique de gravir tous les 4000 mètres de Suisse… et voir ces femmes sur des sommets, c’est comme si elles prenaient enfin leur place!
ELLE SUISSE. QUELLES SONT LES FORCES DONT VOUS ÊTES FIÈRE?
C.G. La vie est tout en équilibre; plus on est une personne forte, plus on a les faiblesses qui vont avec. J’ai des traits de ma personnalité très forts qui ont été créés aussi par mes faiblesses, parce que j’ai trouvé des solutions pour me construire…
ELLE SUISSE. AUJOURD’HUI, ÊTES-VOUS UNE FEMME ACCOMPLIE, EN HARMONIE AVEC VOTRE ÊTRE PROFOND?
C.G. Je suis une personne qui ne sera jamais accomplie, car j’associe ce mot à «aboutissement». Personne ne l’est jamais selon moi. La vie nous envoie toujours des choses que l’on doit régler et ça nous fait évoluer sur notre chemin de vie. J’aspire à des moments de bien-être intérieur temporaire bien sûr, mais l’être humain naît dans la douleur et se construit dans la difficulté.
ELLE SUISSE. VOTRE PLUS BEAU SOUVENIR EN ALPINISME?
C.G. J’espère qu’il est à venir! Mais un jour, j’étais sur un glacier, j’écoutais un livre audio, et il disait: «Dessinez un cercle avec une croix…» J’ai réalisé que sur le glacier où j’étais, il y avait un cercle d’un diamètre de deux cents mètres avec une croix au milieu. Je me suis dit que j’étais connectée avec quelque chose …
ELLE SUISSE. UNE DEVISE QUE VOUS FERIEZ VÔTRE?
«Your children will become who you are, so be who you want them to be».