Comment les artistes s’en sortent-ils en pleine inflation

Entre la pandémie de Covid et de la crise économique, la communauté artistique se retrouve actuelement dans une période de turbulences sans précédent. ELLE a rencontré plusieurs créatifs vivant en Australie qui dévoilent comment ils parviennent à maintenir leur élan artistique malgré les obstacles qui se dressent sur leur chemin.

Ginger Taylor, artiste et illustratrice basée à Melbourne/Naarm, navigue dans le monde de la création à plein temps depuis sept ans. Elle admet cependant encore avoir du mal à définir précisément sa pratique: « Un jour, je peux peindre une scène digne du magazine Playgirl, et le lendemain, ça peut être un hot-dog chevauchant un autre hot-dog », s’amuse-t-elle. Très tôt, ses créations kitsch inspirées des années 1950 ont rencontré un francs succès et lui ont assuré pendant longtemps un succès commercial stable, notamment à travers sa boutique en ligne, gingertaylor.net. Elle raconte qu’un t-shirt à l’effigie de Dolly Parton, par exemple, qu’elle a lancé en 2017 se vendait régulièrement entre 50 et 100 exemplaires chaque mois, jusqu’à l’année dernière, lorsque les commandes ont commencé à se tarir pour au final complètement disparaître.

Ginger Taylor souligne que la crise actuelle du coût de la vie a incontestablement eu un impact néfaste sur les artistes. « Je ne peux vraiment pas le mettre sur le compte d’autre chose. Je pense que les gens ont vraiment besoin de serrer les cordons de leur bourse en raison du coût de la vie très élevé. » L’artiste australienne a d’ailleurs été contrainte de revoir son modèle commercial et a récemment pris la décision déchirante de fermer sa boutique en ligne.

Elle n’est pas la seule dans le milieu des petites entreprises artistiques à prendre cette décision: « Si vous allez sur Facebook Marketplace et que vous tapez « configuration d’une petite entreprise » ou « étals de marché », vous verrez que tout le monde abandonne et décide d’aller dans des directions différentes. Il n’est tout simplement pas viable de continuer ainsi si personne ne dépense d’argent dans les œuvres d’art. »

L’industrie artistique australienne a traversé de profondes difficultés au cours des quatre dernières années. La pandémie a eu un impact immédiat et dévastateur sur les événements en direct et les espaces culturels à travers le pays. Cinq jours après la déclaration de la pandémie mondiale en mars 2020, environ 20 000 opportunités de travail ont été annulées. En mai 2022, The Guardian rapportait que les pertes de revenus des professionnels de la création s’élevaient à 417,2 millions de dollars entre février 2020 et novembre 2021.

Outre la décimation des sources de revenus directes, les artistes ont été confrontés à des difficultés accrues en raison de la perte d’emplois occasionnels dans l’industrie hôtelière, ainsi que de la diminution des opportunités de gagner de l’argent grâce à des conférences, des résidences, des redevances et des parrainages.

Même si l’année 2023 a marqué une reprise de l’engagement envers les événements en direct et les arts, la crise du coût de la vie n’a fait qu’aggraver la situation. L’inflation a eu des répercussions importantes pour la plupart d’entre eux. Les loyers ont augmenté au rythme le plus rapide depuis 2007, lors de la crise financière mondiale, et l’accession à la propriété est devenue un rêve lointain alors que les prix médians des logements ont grimpé jusqu’à neuf fois le revenu annuel moyen, tandis que les coûts des produits de première nécessité comme l’épicerie ont par ailleurs augmenté.

Tout le monde abandonne et décide d’aller dans des directions différentes.

Ginger Taylor, artiste australienne

Pour le secteur des arts, déjà vulnérable et sévèrement touché par la pandémie, la souffrance semble interminable. Le public et les collectionneurs hésitent à y dépenser de l’argent, tandis que les coûts bruts associés à la pratique artistique, tels que la location d’espaces et l’achat de matériel, ont augmenté. Esther Anatolitis, rédactrice en chef du magazine littéraire australien Meanjin et professeure associée honoraire au RMIT, souligne que les pressions financières sont devenues un sujet de conversation constant, amenant de nombreux artistes à remettre en question la viabilité de leur pratique. « Les artistes font déjà partie de nos travailleurs les plus précaires », observe-t-elle.

Certains ont connu des moments de répit. Par exemple, la tatoueuse Levi qui a fait face à un pic d’activité au cours des six premiers mois suivant le confinement. Ses clients, ayant encore un revenu disponible et limités dans leurs possibilités de dépenses comme les voyages, avaient opté pour un tatouage. « C’était une activité normale à faire en toute sécurité, un moyen sûr de dépenser de l’argent », explique-t-elle. Mais cette brève période de prospérité s’est vite estompée. L’inflation a grimpé, le coût de la vie a augmenté, rendant le tatouage un luxe inaccessible pour beaucoup. « Cela a été terrible », confie-t-elle. Les jours de travail sont passés de quatre à deux ou trois par semaine, tandis que les dépenses constantes, telles que le loyer du studio et les matières premières, ont persisté. « Je jongle semaine après semaine et fais de mon mieux pour rendre mon entreprise plus viable et attirer plus de clients. Je continue d’espérer que les choses s’arrangeront bientôt. »

Dans toutes les villes, banlieues et régions, nous avons besoin que tous les gouvernements locaux intensifient leurs efforts pour garantir que les artistes et le public puissent toujours se retrouver là où ils habitent.

Ginger Taylor, artiste australienne

Toujours d’après Ginger Taylor, le gouvernement fédéral a souligné que « le besoin d’expériences créatives et la joie apportée par la participation à l’art étaient essentiels à la capacité des gens à supporter les perturbations économiques et sociales causées par la pandémie ». Des efforts ont été déployés en ce sens afin de renouveler le secteur. L’un des plan a été d’apporter un soutien aux institutions qui soutiennent les arts et en reconnaissant le place cruciale des histoires des Premières Nations au centre des arts et de la culture australiennes. Point qu’Esther Anatolitis applaudit en soulignant toutefois que cette évolution n’en est encore qu’à ses débuts. Elle explique vouloir voir les dirigeants locaux agir de la même manière. « Dans toutes les villes, banlieues et régions, nous avons besoin que tous les gouvernements locaux intensifient leurs efforts pour garantir aux artistes un train de vie qui leur permettent au moins de payer leurs loyers », dit-elle.

Autrice: Elfe Scott
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur 
elle.com.au. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.

Tags : Art · inflation

Entre la pandémie de Covid et de la crise économique, la communauté artistique se retrouve actuelement dans une période de turbulences sans précédent. ELLE a rencontré plusieurs créatifs vivant en Australie qui dévoilent comment ils parviennent à maintenir leur élan artistique malgré les obstacles qui se dressent sur leur chemin.

Ginger Taylor, artiste et illustratrice basée à Melbourne/Naarm, navigue dans le monde de la création à plein temps depuis sept ans. Elle admet cependant encore avoir du mal à définir précisément sa pratique: « Un jour, je peux peindre une scène digne du magazine Playgirl, et le lendemain, ça peut être un hot-dog chevauchant un autre hot-dog », s’amuse-t-elle. Très tôt, ses créations kitsch inspirées des années 1950 ont rencontré un francs succès et lui ont assuré pendant longtemps un succès commercial stable, notamment à travers sa boutique en ligne, gingertaylor.net. Elle raconte qu’un t-shirt à l’effigie de Dolly Parton, par exemple, qu’elle a lancé en 2017 se vendait régulièrement entre 50 et 100 exemplaires chaque mois, jusqu’à l’année dernière, lorsque les commandes ont commencé à se tarir pour au final complètement disparaître.

Ginger Taylor souligne que la crise actuelle du coût de la vie a incontestablement eu un impact néfaste sur les artistes. « Je ne peux vraiment pas le mettre sur le compte d’autre chose. Je pense que les gens ont vraiment besoin de serrer les cordons de leur bourse en raison du coût de la vie très élevé. » L’artiste australienne a d’ailleurs été contrainte de revoir son modèle commercial et a récemment pris la décision déchirante de fermer sa boutique en ligne.

Elle n’est pas la seule dans le milieu des petites entreprises artistiques à prendre cette décision: « Si vous allez sur Facebook Marketplace et que vous tapez « configuration d’une petite entreprise » ou « étals de marché », vous verrez que tout le monde abandonne et décide d’aller dans des directions différentes. Il n’est tout simplement pas viable de continuer ainsi si personne ne dépense d’argent dans les œuvres d’art. »

L’industrie artistique australienne a traversé de profondes difficultés au cours des quatre dernières années. La pandémie a eu un impact immédiat et dévastateur sur les événements en direct et les espaces culturels à travers le pays. Cinq jours après la déclaration de la pandémie mondiale en mars 2020, environ 20 000 opportunités de travail ont été annulées. En mai 2022, The Guardian rapportait que les pertes de revenus des professionnels de la création s’élevaient à 417,2 millions de dollars entre février 2020 et novembre 2021.

Outre la décimation des sources de revenus directes, les artistes ont été confrontés à des difficultés accrues en raison de la perte d’emplois occasionnels dans l’industrie hôtelière, ainsi que de la diminution des opportunités de gagner de l’argent grâce à des conférences, des résidences, des redevances et des parrainages.

Même si l’année 2023 a marqué une reprise de l’engagement envers les événements en direct et les arts, la crise du coût de la vie n’a fait qu’aggraver la situation. L’inflation a eu des répercussions importantes pour la plupart d’entre eux. Les loyers ont augmenté au rythme le plus rapide depuis 2007, lors de la crise financière mondiale, et l’accession à la propriété est devenue un rêve lointain alors que les prix médians des logements ont grimpé jusqu’à neuf fois le revenu annuel moyen, tandis que les coûts des produits de première nécessité comme l’épicerie ont par ailleurs augmenté.

Tout le monde abandonne et décide d’aller dans des directions différentes.

Ginger Taylor, artiste australienne

Pour le secteur des arts, déjà vulnérable et sévèrement touché par la pandémie, la souffrance semble interminable. Le public et les collectionneurs hésitent à y dépenser de l’argent, tandis que les coûts bruts associés à la pratique artistique, tels que la location d’espaces et l’achat de matériel, ont augmenté. Esther Anatolitis, rédactrice en chef du magazine littéraire australien Meanjin et professeure associée honoraire au RMIT, souligne que les pressions financières sont devenues un sujet de conversation constant, amenant de nombreux artistes à remettre en question la viabilité de leur pratique. « Les artistes font déjà partie de nos travailleurs les plus précaires », observe-t-elle.

Certains ont connu des moments de répit. Par exemple, la tatoueuse Levi qui a fait face à un pic d’activité au cours des six premiers mois suivant le confinement. Ses clients, ayant encore un revenu disponible et limités dans leurs possibilités de dépenses comme les voyages, avaient opté pour un tatouage. « C’était une activité normale à faire en toute sécurité, un moyen sûr de dépenser de l’argent », explique-t-elle. Mais cette brève période de prospérité s’est vite estompée. L’inflation a grimpé, le coût de la vie a augmenté, rendant le tatouage un luxe inaccessible pour beaucoup. « Cela a été terrible », confie-t-elle. Les jours de travail sont passés de quatre à deux ou trois par semaine, tandis que les dépenses constantes, telles que le loyer du studio et les matières premières, ont persisté. « Je jongle semaine après semaine et fais de mon mieux pour rendre mon entreprise plus viable et attirer plus de clients. Je continue d’espérer que les choses s’arrangeront bientôt. »

Dans toutes les villes, banlieues et régions, nous avons besoin que tous les gouvernements locaux intensifient leurs efforts pour garantir que les artistes et le public puissent toujours se retrouver là où ils habitent.

Ginger Taylor, artiste australienne

Toujours d’après Ginger Taylor, le gouvernement fédéral a souligné que « le besoin d’expériences créatives et la joie apportée par la participation à l’art étaient essentiels à la capacité des gens à supporter les perturbations économiques et sociales causées par la pandémie ». Des efforts ont été déployés en ce sens afin de renouveler le secteur. L’un des plan a été d’apporter un soutien aux institutions qui soutiennent les arts et en reconnaissant le place cruciale des histoires des Premières Nations au centre des arts et de la culture australiennes. Point qu’Esther Anatolitis applaudit en soulignant toutefois que cette évolution n’en est encore qu’à ses débuts. Elle explique vouloir voir les dirigeants locaux agir de la même manière. « Dans toutes les villes, banlieues et régions, nous avons besoin que tous les gouvernements locaux intensifient leurs efforts pour garantir aux artistes un train de vie qui leur permettent au moins de payer leurs loyers », dit-elle.

Autrice: Elfe Scott
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur 
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