Début avril, l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL) s’est vue décerner pour la 6e année consécutive le titre de meilleure école hôtelière au monde. Une reconnaissance qui permet dans le même temps de faire la lumière sur l’origine de son succès notamment investi par l’ambition d’assoir une plus grande diversité au sein de l’entrepreneuriat suisse et international. Entre convictions et initiatives clés, Meloney Brazzola, directrice de la communication de l’établissement, lève le voile sur ce défi.
La démarche assurée, le tailleur cintré, bloc-notes et smartphone en main: Meloney Brazzola est de ces femmes qui en imposent. Un apparat se voulant le reflet d’une carrière qui susciterait sans encombre l’admiration des plus ambitieux: passée par l’emblématique groupe hôtelier Hyatt puis la renommée banque HSBC, elle est depuis une décennie à la tête de la communication de l’EHL Hospitality Business School, à Lausanne (VD). Et des femmes d’exception en son genre, la meilleure école hôtelière au monde pour la 6e année consécutive compte bien en dupliquer plus d’une. D’où la naissance d’une initiative novatrice: le « Women in Leadership ». Quèsaco? Entrevue avec une leader qui voit l’industrie de l’hôtellerie comme le nouvel eldorado de la parité homme-femme.
ELLE Suisse: Que représente pour l’EHL cette 6e année consécutive à la tête du très réputé classement mondial QS?
Meloney Brazzola: Nous en sommes très fiers, surtout pour nos étudiants, car c’est grâce à eux que nous restons avant tout les numéros un. Ce classement participe en outre à la réputation de l’EHL Hospitality Business School auprès des employeurs ainsi que dans les sphères académiques, ce qui assure un gage de qualité à toutes les personnes qui voudraient venir y étudier.
Deux autres hautes écoles helvétiques – la School of Swiss Hotel Management ainsi que le César Ritz Colleges Switzerland – figurent dans le top 3 du classement QS. Qu’est-ce que cela dit de la Suisse en termes de compétitivité et d’innovation à l’échelle internationale?
Cela conforte la position de la Suisse à deux niveaux. D’une part, dans la tradition centenaire de l’enseignement du management de l’hospitalité et, d’autre part, dans l’excellence de nos systèmes d’éducation qui se basent très souvent sur l’apprentissage par l’expérience. L’approche pédagogique que l’on a, par exemple, à l’EHL permet en effet une proximité permanente (à travers notamment des stages de longue durée) entre ce que les étudiants apprennent en cours et ce qu’ils seront amenés à découvrir une fois sur le terrain. Ce savoir-faire et cette agilité sont appréciés par les entreprises qui privilégient ainsi les diplômés de notre haute école dans des postes haut placés.
Pourtant, les chiffres du Secrétariat d’Etat à l’économie suisse (SECO) ont révélé que l’hôtellerie et la restauration étaient, en février 2024, les secteurs où le chômage demeurait le plus élevé. Comment expliquez-vous ce paradoxe?
C’est en effet un paradoxe surprenant qui s’explique en partie par les fortes fluctuations de la main d’œuvre travaillant dans le service depuis la pandémie. Au niveau mondial, nous observons toutefois un regain de l’industrie qui dépasse même dans certains pays les résultats de croissance d’avant 2019. Cela prouve bien la résilience de notre secteur, le besoin de managers compétents pour soutenir la transformation et l’appétit des gens pour le tourisme et l’hospitalité.
Et dans d’autres secteurs également?
Absolument. Parmi les diplômés de l’EHL, près de la moitié évolue dans des postes de cadre ou de direction dans l’industrie de l’hôtellerie et de la restauration. L’autre moitié quant à elle va faire carrière dans les secteurs du luxe, de la banque, des assurances ou encore du consulting. Ces derniers sont de fait des industries voisines de l’hôtellerie dans lesquelles l’expérience client apprise à l’EHL est essentielle.
Les chiffres délivrés chaque an par l’EHL réservent également une part accordée à la proportion de femmes immatriculées. Pourquoi est-ce important de mettre en avant cet élément?
Il s’agit tout d’abord d’une nécessité de transparence compte tenu de la population estudiantine de l’EHL. Il est par ailleurs essentiel pour notre haute école d’assurer au mieux une parité entre les genres et les cultures en son sein, afin de montrer qu’elle est ouverte à tout le monde. À l’EHL, nous avons actuellement plus d’étudiantes (presque 60 %) que d’étudiants, mais:
Nous constatons encore trop souvent que les femmes sont sous-représentées dans les postes à responsabilité. Ce constat tend à s’améliorer, heureusement, mais il y a encore du travail devant nous…
Que fait l’EHL pour encourager la présence des femmes au sein de la haute école, puis dans l’industrie une fois diplômées?
L’EHL mise d’abord sur l’exemplarité: depuis 2020, la présidence de la haute école est gérée par une femme, le Dre Carole Ackermann. De nombreux autres postes à responsabilité sont également attribués à des personnalités féminines et les derniers engagements continuent de soutenir cette évolution. Ensuite, l’établissement met en place plusieurs projets: des cours, des travaux de recherche ainsi que des événements qui abordent les sujets d’inclusion et de diversité. Depuis 2018, l’EHL propose par ailleurs la « Women in Leadership ». Cette initiative, dont je suis une des membres fondatrices et qui réunit une quinzaine d’autres collègues femmes, vise à promouvoir la culture et les stratégies favorisant l’entrepreneuriat féminin dans les secteurs de l’hôtellerie et la restauration. C’est à la fois un service d’information, d’écoute et de mentorat pour nos étudiantes, mais aussi une plateforme d’échanges de choix avec la nouvelle génération pour les professionnelles de l’industrie invitées.
Quels sont les défis principaux que de nombreuses femmes rencontrent une fois sur le terrain?
Un manque d’égalité des chances, de flexibilité entre vie professionnelle et vie privée, mais aussi parfois un manque de confiance en soi. Beaucoup de femmes ne se sentent pas assez légitimes pour postuler à des postes à responsabilité. Le travail du Women in Leadership consiste notamment à leur montrer comment prendre en assurance et les aider à être conscientes des biais collectifs qui circulent encore beaucoup dans le monde des affaires. Pour cause, on sait que les femmes candidatent très souvent à ce type de postes seulement si elles remplissent toutes les cases demandées là où les hommes auront tendance à tenter leur chance, même s’ils ne correspondent pas entièrement au profil recherché.
Beaucoup de femmes ne se sentent parfois pas assez légitimes pour postuler à des postes à responsabilité.
Comment voyez-vous évoluer les métiers de l’hôtellerie, plus particulièrement d’un point de vue féminin?
De manière générale, les femmes vont de plus en plus accéder à des postes à responsabilité. On le voit déjà grâce à l’engagement et la représentation accrue des femmes cadres dans les hôtels en Suisse. Il y a réellement une envie de soutenir ces profils dans l’’industrie pour une meilleure parité et c’est tant mieux pour tous!