Défaite de Kamala Harris: pourquoi le soutien des stars est-il devenu inutile

La vice-présidente était soutenue par Taylor Swift, Beyoncé et George Clooney. Mais cela n’a pas suffit.

C’est un exploit. Quatre ans après avoir perdu face à Joe Biden, Donald Trump, a regagné la présidence des Etats-Unis. Sa force? Offrir une image à la fois d’homme du peuple et une confrontation frontale avec les élites. Paradoxalement, le soutien appuyé de ces mêmes élites à son adversaire, la démocrate Kamala Harris, a peut-être fini par se retourner contre elle. Car loin de mobiliser l’électorat, cet appui a réveillé un sentiment de méfiance et de frustration au sein d’une population lassée, qui, à l’instar de 2016, a cherché une rupture nette avec le statu quo représenté par l’administration Biden.

Trump quant à lui s’est toujours affiché comme un politicien hors norme, un personnage sui generis, parfois en décalage même avec les standards de son propre parti. Un positionnement moqué par les intellectuels mais qui, en 2016, avait déjà conduit à sa victoire contre Hillary Clinton et qui, mercredi 6 novembre, l’a couronné face à la deuxième femme à briguer la Maison-Blanche. En qualifiant ses détracteurs de « poubelle » dans les derniers instants de la campagne, Harris a ainsi offert à Trump une occasion en or de consolider son discours et de mobiliser davantage sa base.

Dans un tel contexte, l’appui de figures publiques — qu’il s’agisse de vedettes de la pop, d’acteurs ou de personnalités de la télévision — peut s’avérer contre-productif. Ces icônes symbolisent une Amérique perçue comme privilégiée et déconnectée des préoccupations quotidiennes marquées par l’inflation et les craintes liées à l’immigration, des réalités que le magnat milliardaire, dans un jeu politique aussi frappant qu’efficace, a su exploiter. Kamala Harris, qui a concentré ses efforts davantage sur la santé reproductive que sur l’économie, a bénéficié d’un soutien massif de la part des célébrités américaines. Pourtant, l’effet « Taylor Swift », cette star capable de faire grimper le PIB national, n’a pas eu lieu, bien au contraire.

Comment le soutien des célébrités a-t-il fait perdre les élections à Kamala Harris?

Au-delà de l’effet Swift, c’est l’effet « marmotte » qui, après l’officialisation de la candidature de Kamala Harris en juillet dernier, semblait initialement un moyen efficace, voire divertissant, de présenter le vice-président comme un souffle nouveau dans un paysage politique saturé. Pourtant, cette dynamique a rapidement perdu de son élan. Il faut rappeler qu’au même moment, Charli XCX, une autre pop star, avait publié un tweet de trois mots qui, selon certains commentateurs, aurait même pu jouer un rôle dans l’issue des élections américaines. Posté juste après l’annonce de la candidature de Harris, ce tweet clamait simplement: « Kamala IS Brat ». En référence au dernier album de l’artiste, Brat (2024), qui avait marqué l’été avec ses bangers synth-pop, ses références à la drogue et ses récits d’une vie dédiée à repousser les limites sur la piste de danse. Un message qui véhiculait donc une idée claire: Kamala Harris était la candidate présidentielle la plus dynamique et authentique, soutenue par la chanteuse du moment. La campagne de Harris a d’ailleurs habilement exploité cet élan, en modifiant l’arrière-plan de sa page X pour y insérer la même couleur vert éclatant que celle de la pochette de l’album. Cela a contribué à forger l’image d’une Harris plus vivante et énergique que son prédécesseur. Joe Biden a certes joué un rôle essentiel, mais il ne pouvait revendiquer ce côté « Brat« .

Capture d’écran du 7 novembre 2024 du compte X de Charli XCX.

Sauf que, plus de 24 heures après un verdict électoral particulièrement décourageant pour les démocrates, il est désormais évident que non seulement le tweet de Charli XCX n’a eu aucun impact majeur sur l’élection, mais même l’appui de célébrités n’a définitivement pas pesé lourd. Un rapide coup d’œil à la liste des soutiens célèbres de Harris montre l’inégalité de la lutte: côté démocrate, on retrouvait des figures comme Beyoncé (qui a même participé à un meeting de Kamala Harris aux côtés de Kelly Rowland), Julia Roberts, Billie Eilish, Robert De Niro, Bruce Springsteen, Barbra Streisand, Spike Lee, Jennifer Aniston, Cher, et bien d’autres. Taylor Swift, la plus grande popstar mondiale, qui a apporté son soutien à Harris après le débat de septembre, en déclarant que Kamala « se bat pour les droits et les causes auxquels je crois ». Beyoncé a affirmé son engagement en tant que mère « profondément attachée à un monde où nous avons la liberté de contrôler notre corps ». À ces noms se sont ajoutés ceux de personnalités comme LeBron James, George Clooney, Oprah, Lizzo, J-Lo, Eminem, Arnold Schwarzenegger, et bien d’autres. Mais, à l’image des soutiens en 2016 à Hillary Clinton, ces endorsements n’ont pas fait la différence. La vidéo de campagne intitulée Important (2016) mettant en scène une vingtaine d’acteurs comme Julianne Moore, Scarlett Johansson, Mark Ruffalo
et Stanley Tucci, appelant à s’inscrire pour voter contre Trump, n’avait pas convaincu les indécis. Elle a plutôt mobilisé ceux déjà décidés à soutenir son adversaire.

Entre privilèges et économie réelle

Mais pourquoi cela se produit-il? Seth Abramovitch, grand journaliste du Hollywood Reporter, l’explique en soulignant que les soutiens à Kamala Harris n’ont pas eu l’impact escompté, car ils provenaient majoritairement de célébrités prêchant auprès de convertis: « Oprah [Winfrey], Katy Perry, Beyoncé, Lady Gaga, Madonna, Ariana Grande: ces artistes s’adressent à un public (noir, féminin, libéral, queer) déjà enclin à voter pour Kamala. » L’exception à cette règle, selon lui, serait Taylor Swift, dont la popularité dans les univers de la musique country et pop la place à l’intersection de deux Amériques divisées. « Pourtant, je dirais que son énorme influence n’atteint pas les deux principaux groupes démographiques qui ont contribué à la victoire de Trump cette fois-ci: les Latino-Américains et les hommes noirs. »

Margaretha Bentley, professeure à l’Arizona State University et spécialiste de l’impact social de Taylor Swift, ajoute que: « Dans la littérature universitaire, des recherches ont montré que, si le parrainage de célébrités peut accroître l’engagement civique et les inscriptions sur les listes électorales, il n’a pas été démontré qu’il avait un impact direct sur la façon dont les gens prennent leurs décisions de vote ». Selon l’experte, lorsqu’elle demande à ses étudiants ce qui influence leur vote, la grande majorité des réponses mentionnent la famille (en particulier les parents), les amis et les valeurs personnelles. « Même si une célébrité soutient un candidat, l’électeur votera selon ses propres convictions, pas nécessairement celles de la célébrité », précise-t-elle. Trump a donc profité de cette situation pour renforcer son image de candidat des personnes seules face au pouvoir de l’establishment américain, et il s’est montré convaincant même s’il faisait lui-même partie de ce monde. Précisément parce qu’elle était partiellement consciente de ce risque, Taylor Swift a expliqué en 2019 à Vogue qu’elle n’avait pas donné son soutien à Clinton trois ans plus tôt, précisément parce qu’elle était parvenue à la conclusion que s’exprimer en faveur du candidat du DEM « n’aiderait pas », puisque Trump « utilisait l’idée de soutenir des célébrités comme une arme ».

Plusieurs études sur la participation politique des célébrités, notamment une de la Kennedy School de Harvard en 2024, ont révélé que les soutiens de célébrités servaient davantage à inciter les électeurs à s’inscrire qu’à changer leur choix de vote. Selon Alyssa Cass, responsable de stratégie pour Blueprint, un soutien peut toutefois être décisif s’il émane d’une célébrité extrêmement influente n’ayant jamais pris position auparavant, comme Oprah Winfrey en 2008. À l’époque, la célèbre animatrice américaine, jusqu’alors apolitique, avait soutenu Barack Obama avec un impact majeur. Des études ont estimé que son soutien avait apporté jusqu’à un million de voix supplémentaires au candidat à la présidence américaine, un phénomène que l’on a également observé avec des personnalités comme Beyoncé et LeBron James. Aujourd’hui, cependant, ces soutiens semblent moins efficaces, car les célébrités sont de plus en plus incitées à s’exprimer politiquement au quotidien, notamment par un public plus jeune.

Les républicains ont aussi amplifié le discours « nous contre l’élite » ces dernières années, renforçant l’idée que ce qui bénéficie aux célébrités ne correspond pas nécessairement aux intérêts du citoyen moyen. En d’autres termes, il est peu probable que Beyoncé se soucie du prix de l’essence, un point que Trump a rapidement intégré dans ses discours, transformant les appels des stars en simples arguments idéologiques déconnectés des préoccupations quotidiennes.

Autrice: Carlotta Sisti
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur elle.com/it. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.

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