Rencontre avec Caroline Mangez, ex-reporter de guerre et directrice de la rédaction de Paris Match

Caroline Mangez, directrice de la rédaction de Paris Match, est une aventurière dans l’âme. Humaine, intelligente, libre, fascinante.

En 1996, elle intègre la rédaction de Paris Match. Grand reporter de guerre, Caroline Mangez couvre de nombreux conflits en Afrique, dans les Balkans, au Proche et au Moyen-Orient. Elle reçoit en 2003 le prix Louis Hachette pour ses reportages sur la guerre civile en Côte d’Ivoire. Elle devient rédactrice en chef Actualité du magazine en 2010. Elle est aussi l’auteur de La Cité qui fait peur (Albin Michel, 2000) et de Chroniques de Gaza: Sous les bombes, la vie (Scali, 2008). Aujourd’hui, elle porte haut les couleurs de Paris Match. Dans un monde chahuté, jonché de challenges? Elle excelle.

Caroline Mangez, en octobre 2024, Paris Match a fait son entrée au sein du Groupe LVMH.  Stimulant, exaltant?
Je le vis comme un accomplissement pour la marque! Paris Match a fêté ses 75 ans. C’est l’un des rares magazines français dont le nom résonne à travers le monde. En Europe, aux États-Unis et même au-delà… Le groupe LVMH, quant à lui, est synonyme d’excellence et a montré sa faculté à développer des marques emblématiques avec brio. Voir Paris Match s’arrimer à LVMH dans une période où les médias sont soumis à rude épreuve et se doivent d’envisager leur développement sur des supports novateurs, notamment numériques, est stimulant.
 
Qu’est-ce qui vous rend heureuse à l’aube de cette nouvelle année?
Je vis cette entrée en 2025 comme la perspective de pouvoir «faire mieux».  Nous vivons une époque de mutation et une réflexion s’impose. Il nous faut projeter notre culture, nos valeurs, dans ce virage désormais inévitable. Nous devons assimiler d’incroyables nouveautés technologiques, nous en emparer, en même temps que le monde est ébranlé politiquement. On le constate aussi bien en France, qu’à l’Internationale. Tout cela est vertigineux. Nous allons en 2025 au-devant de vrais challenges.

Nous allons en 2025 au-devant de vrais challenges.

Parlez-nous de vos ambitions professionnelles… Comment vous projetez-vous dans dix ans?
Je me projette en conscience, en sachant qu’il faudra faire avancer le journalisme dans un contexte où l’information surgit de partout, et parfois sans nuances, et est fortement remise en cause. J’ai à cœur de continuer à amener du fond dans une actualité quasi immédiate aujourd’hui. Je ne sais pas où je serai dans des dix ans, mais j’espère d’ici là avoir apporté ma pierre à la réflexion qui permettra de donner envie aux générations nouvelles de s’informer dans les médias, en passant par l’image qui est un excellent vecteur.
 
Depuis avril 1996, Paris Match coule dans vos veines et aujourd’hui vous en assurez la direction rédactionnelle…
Bientôt trente ans que j’ai fait mes premiers pas au sein de ce journal… Pour l’anecdote, je me souviens de ce que m’avait dit Roger Théron, le patron de la rédaction, lorsqu’il m’avait engagée: «J’ai peur que vous vous ennuyiez.» Il est vrai que j’avais la bougeotte, une énergie incroyable et envie de sillonner le monde. J’étais très fière d’avoir gagné ma place dans cet hebdomadaire mythique! C’était déjà à l’époque «Le poids des mots, le choc des photos» et même si certains ont tenté de proposer d’autres slogans, il est toujours revenu, comme une évidence. Apporter la preuve de tout ce que l’on écrit par l’image implique une exigence journalistique que l’on n’imagine pas forcément en tournant les pages de Match.

Apporter la preuve de tout ce que l’on écrit par l’image implique une exigence journalistique que l’on n’imagine pas forcément en tournant les pages de Match.

Comment jonglez-vous entre votre vie professionnelle et celle de maman?
Je suis moins sur le terrain, je voyage plus rarement, je vis les sujets par procuration à travers nos équipes. Cela facilite le jonglage (rires).

Sentez-vous de la fierté dans le regard de votre fille de 14 ans?
Plus ou moins. Ma fille pense que mon métier m’accapare. On profite parfois de ses cours d’histoire pour évoquer mes reportages. Pour sa part, elle a des projets bien différents. Elle imagine plutôt évoluer dans le domaine du luxe et du marketing. C’est une championne des tutos et des réseaux sociaux, elle sait monter des vidéos. Elle m’apprend beaucoup en m’expliquant et en me montrant ce qu’elle poste. Nous avons de très intéressants échanges mutuels.
 
Vous aviez évoqué, lors d’une des Rencontres du ELLE, un moment très fort dans votre mission de grand reporter de guerre…
C’était au Rwanda, en 1995, après le génocide, les habitants fuyaient vers le Congo. Je suivais cette tragédie avec les militaires français. Le choléra ne cessait de se propager. Les gens en fin de vie s’allongeaient au bord de la route, tous alignés impeccablement. Ils attendaient la mort. Il fallait les enterrer rapidement pour éviter que l’épidémie prenne de l’ampleur. Dans une fosse commune, des petits bras se sont mis à bouger, un enfant de 4 ans vomissait. C’est ce qui l’a sauvé! Un militaire l’a pris en affection et a souhaité l’adopter. Il l’a appelé Angelo. Mais sa femme restée à Marseille n’a pas suivi son mari dans son désir d’adoption. Alors nous avons parcouru des kilomètres, traversé la frontière, grimpé des collines, pour retrouver sa mère.

Difficile de vivre une passion amoureuse quand on est si investie professionnellement…
J’ai vécu une grande passion avec le père de ma fille, reporter et photographe. Difficile pour un compagnon sédentaire de comprendre que le reportage est plus fort que vous, qu’on ne peut pas lâcher une histoire pour rentrer si on n’a pas le sentiment de l’avoir terminée; le terrain c’est un sacerdoce. Avec le père de ma fille, nous partagions cette passion, chacun comprenait l’autre. Aujourd’hui, je fais moins de reportages, mon quotidien est donc plus organisé, cela peut faciliter la relation.
 
Quelle a été la plus dure épreuve de votre vie?
Perdre prématurément des amis de reportage a été la plus dure épreuve. Ils étaient plus que des compagnons d’aventure, des frères et sœurs d’armes, nous nous connaissions par cœur.
 
Comment vivez-vous vos chagrins? Vous vous exprimez ou vous vous enfermez dans votre coquille?
Je les exprime. Ou plutôt je me les exprime à moi-même! Mais quoi qu’il en soit, j’avance, je me projette dans le futur. Je suis très instinctive. La vie que j’ai menée, les risques auxquels j’ai choisi de me confronter, mes voyages, m’ont aidé à acquérir une forme de sagesse, de philosophie de la vie. Après m’être confrontée à la misère du monde, à la guerre, croyez-moi je suis consciente d’être gâtée, même si comme tout le monde je traverse des épreuves.

Difficile pour un compagnon sédentaire de comprendre que le reportage est plus fort que vous, qu’on ne peut pas lâcher une histoire pour rentrer si on n’a pas le sentiment de l’avoir terminée.

Quel genre d’amoureuse êtes-vous? Volcanique ou plutôt sage?
À la fois volcanique et sage. Cela dépend des jours. Et je dois avouer être aussi indépendante et solitaire.
 
Êtes-vous jalouse ou confiante?
Pas du tout jalouse et pas davantage envieuse!
 
Qu’est-ce qui pourrait vous révolter au quotidien?
L’injustice, la violence, la montée de l’antisémitisme, les horreurs déversées pour rien, toute cette haine gratuite et anonyme que charrient certains réseaux sociaux.

Après m’être confrontée à la misère du monde, à la guerre, croyez-moi je suis consciente d’être gâtée, même si comme tout le monde je traverse des épreuves.

Quelles sont les qualités, les forces dont vous pouvez vous féliciter?
Un talent d’observatrice, cette capacité d’apprendre à me regarder à travers le regard des autres. Je crois que je vis la vie comme une expérience à part entière, ça aide à avoir du recul, et aussi un peu d’autodérision.

Tags : faits divers · journalisme · médias

Caroline Mangez, directrice de la rédaction de Paris Match, est une aventurière dans l’âme. Humaine, intelligente, libre, fascinante.

En 1996, elle intègre la rédaction de Paris Match. Grand reporter de guerre, Caroline Mangez couvre de nombreux conflits en Afrique, dans les Balkans, au Proche et au Moyen-Orient. Elle reçoit en 2003 le prix Louis Hachette pour ses reportages sur la guerre civile en Côte d’Ivoire. Elle devient rédactrice en chef Actualité du magazine en 2010. Elle est aussi l’auteur de La Cité qui fait peur (Albin Michel, 2000) et de Chroniques de Gaza: Sous les bombes, la vie (Scali, 2008). Aujourd’hui, elle porte haut les couleurs de Paris Match. Dans un monde chahuté, jonché de challenges? Elle excelle.

Caroline Mangez, en octobre 2024, Paris Match a fait son entrée au sein du Groupe LVMH.  Stimulant, exaltant?
Je le vis comme un accomplissement pour la marque! Paris Match a fêté ses 75 ans. C’est l’un des rares magazines français dont le nom résonne à travers le monde. En Europe, aux États-Unis et même au-delà… Le groupe LVMH, quant à lui, est synonyme d’excellence et a montré sa faculté à développer des marques emblématiques avec brio. Voir Paris Match s’arrimer à LVMH dans une période où les médias sont soumis à rude épreuve et se doivent d’envisager leur développement sur des supports novateurs, notamment numériques, est stimulant.
 
Qu’est-ce qui vous rend heureuse à l’aube de cette nouvelle année?
Je vis cette entrée en 2025 comme la perspective de pouvoir «faire mieux».  Nous vivons une époque de mutation et une réflexion s’impose. Il nous faut projeter notre culture, nos valeurs, dans ce virage désormais inévitable. Nous devons assimiler d’incroyables nouveautés technologiques, nous en emparer, en même temps que le monde est ébranlé politiquement. On le constate aussi bien en France, qu’à l’Internationale. Tout cela est vertigineux. Nous allons en 2025 au-devant de vrais challenges.

Nous allons en 2025 au-devant de vrais challenges.

Parlez-nous de vos ambitions professionnelles… Comment vous projetez-vous dans dix ans?
Je me projette en conscience, en sachant qu’il faudra faire avancer le journalisme dans un contexte où l’information surgit de partout, et parfois sans nuances, et est fortement remise en cause. J’ai à cœur de continuer à amener du fond dans une actualité quasi immédiate aujourd’hui. Je ne sais pas où je serai dans des dix ans, mais j’espère d’ici là avoir apporté ma pierre à la réflexion qui permettra de donner envie aux générations nouvelles de s’informer dans les médias, en passant par l’image qui est un excellent vecteur.
 
Depuis avril 1996, Paris Match coule dans vos veines et aujourd’hui vous en assurez la direction rédactionnelle…
Bientôt trente ans que j’ai fait mes premiers pas au sein de ce journal… Pour l’anecdote, je me souviens de ce que m’avait dit Roger Théron, le patron de la rédaction, lorsqu’il m’avait engagée: «J’ai peur que vous vous ennuyiez.» Il est vrai que j’avais la bougeotte, une énergie incroyable et envie de sillonner le monde. J’étais très fière d’avoir gagné ma place dans cet hebdomadaire mythique! C’était déjà à l’époque «Le poids des mots, le choc des photos» et même si certains ont tenté de proposer d’autres slogans, il est toujours revenu, comme une évidence. Apporter la preuve de tout ce que l’on écrit par l’image implique une exigence journalistique que l’on n’imagine pas forcément en tournant les pages de Match.

Apporter la preuve de tout ce que l’on écrit par l’image implique une exigence journalistique que l’on n’imagine pas forcément en tournant les pages de Match.

Comment jonglez-vous entre votre vie professionnelle et celle de maman?
Je suis moins sur le terrain, je voyage plus rarement, je vis les sujets par procuration à travers nos équipes. Cela facilite le jonglage (rires).

Sentez-vous de la fierté dans le regard de votre fille de 14 ans?
Plus ou moins. Ma fille pense que mon métier m’accapare. On profite parfois de ses cours d’histoire pour évoquer mes reportages. Pour sa part, elle a des projets bien différents. Elle imagine plutôt évoluer dans le domaine du luxe et du marketing. C’est une championne des tutos et des réseaux sociaux, elle sait monter des vidéos. Elle m’apprend beaucoup en m’expliquant et en me montrant ce qu’elle poste. Nous avons de très intéressants échanges mutuels.
 
Vous aviez évoqué, lors d’une des Rencontres du ELLE, un moment très fort dans votre mission de grand reporter de guerre…
C’était au Rwanda, en 1995, après le génocide, les habitants fuyaient vers le Congo. Je suivais cette tragédie avec les militaires français. Le choléra ne cessait de se propager. Les gens en fin de vie s’allongeaient au bord de la route, tous alignés impeccablement. Ils attendaient la mort. Il fallait les enterrer rapidement pour éviter que l’épidémie prenne de l’ampleur. Dans une fosse commune, des petits bras se sont mis à bouger, un enfant de 4 ans vomissait. C’est ce qui l’a sauvé! Un militaire l’a pris en affection et a souhaité l’adopter. Il l’a appelé Angelo. Mais sa femme restée à Marseille n’a pas suivi son mari dans son désir d’adoption. Alors nous avons parcouru des kilomètres, traversé la frontière, grimpé des collines, pour retrouver sa mère.

Difficile de vivre une passion amoureuse quand on est si investie professionnellement…
J’ai vécu une grande passion avec le père de ma fille, reporter et photographe. Difficile pour un compagnon sédentaire de comprendre que le reportage est plus fort que vous, qu’on ne peut pas lâcher une histoire pour rentrer si on n’a pas le sentiment de l’avoir terminée; le terrain c’est un sacerdoce. Avec le père de ma fille, nous partagions cette passion, chacun comprenait l’autre. Aujourd’hui, je fais moins de reportages, mon quotidien est donc plus organisé, cela peut faciliter la relation.
 
Quelle a été la plus dure épreuve de votre vie?
Perdre prématurément des amis de reportage a été la plus dure épreuve. Ils étaient plus que des compagnons d’aventure, des frères et sœurs d’armes, nous nous connaissions par cœur.
 
Comment vivez-vous vos chagrins? Vous vous exprimez ou vous vous enfermez dans votre coquille?
Je les exprime. Ou plutôt je me les exprime à moi-même! Mais quoi qu’il en soit, j’avance, je me projette dans le futur. Je suis très instinctive. La vie que j’ai menée, les risques auxquels j’ai choisi de me confronter, mes voyages, m’ont aidé à acquérir une forme de sagesse, de philosophie de la vie. Après m’être confrontée à la misère du monde, à la guerre, croyez-moi je suis consciente d’être gâtée, même si comme tout le monde je traverse des épreuves.

Difficile pour un compagnon sédentaire de comprendre que le reportage est plus fort que vous, qu’on ne peut pas lâcher une histoire pour rentrer si on n’a pas le sentiment de l’avoir terminée.

Quel genre d’amoureuse êtes-vous? Volcanique ou plutôt sage?
À la fois volcanique et sage. Cela dépend des jours. Et je dois avouer être aussi indépendante et solitaire.
 
Êtes-vous jalouse ou confiante?
Pas du tout jalouse et pas davantage envieuse!
 
Qu’est-ce qui pourrait vous révolter au quotidien?
L’injustice, la violence, la montée de l’antisémitisme, les horreurs déversées pour rien, toute cette haine gratuite et anonyme que charrient certains réseaux sociaux.

Après m’être confrontée à la misère du monde, à la guerre, croyez-moi je suis consciente d’être gâtée, même si comme tout le monde je traverse des épreuves.

Quelles sont les qualités, les forces dont vous pouvez vous féliciter?
Un talent d’observatrice, cette capacité d’apprendre à me regarder à travers le regard des autres. Je crois que je vis la vie comme une expérience à part entière, ça aide à avoir du recul, et aussi un peu d’autodérision.

Tags : faits divers · journalisme · médias