Charismatique et infatigable, elle vit à cent à l’heure, portée par une énergie débordante et une curiosité insatiable.

A la tête de deux concept store, à Gstaad et Genève, Marina Anouilh ne tient jamais en place. Née en Suisse, bercée par des influences méditerranéennes, elle a grandi dans une famille où l’apparence du bonheur masquait des épreuves silencieuses. Il a fallu se construire seule, avec une maturité précoce et une soif d’indépendance. Enfant, elle rêvait d’une grande tribu, d’une centaine d’enfants. Finalement, ce sont ses projets qui ont nourri sa vie. A 48 ans, alors qu’elle n’avait jamais envisagé une carrière commerciale, elle s’est lancée avec succès. Rencontre avec une femme libre et déterminée qui suit toujours son instinct.
ELLE: Vous avez un parcours atypique. Vous vous êtes lancée dans le commerce à 48 ans.
Marina Anouilh: J’ai toujours été active, mais jamais dans un but commercial. J’aimais la décoration, les belles choses, sans imaginer que j’en ferais un métier. Pourtant, avec le recul, je réalise que c’était en moi depuis toujours. Je n’étais pas spécialement attirée par la mode, j’aimais surtout les tissus et les couleurs. J’ai commencé par proposer de la déco et des accessoires, ensuite les vêtements et enfin ma propre marque de vêtements à Gstaad. Ce que je veux est toujours très précis, il n’y a jamais d’hésitation. Quand j’ai commencé, je n’avais aucun plan, aucune ambition précise. Juste l’envie de faire ce qui me plaisait, à ma façon. Aujourd’hui, on me dit que j’ai créé un univers à part, une empreinte reconnaissable. C’est un cadeau. Je suis sincère, ça fait toute la différence, je crois.
Votre entourage croyait-il en vous quand vous vous êtes lancée?
Pas du tout! Personne ne comprenait ce que je faisais. Moi non plus, d’ailleurs. Rien n’était vraiment calculé d’avance. À l’origine, je voulais juste combler des saisons un peu monotones à la montagne. J’aimais et j’aime toujours recevoir, cuisiner, repasser (oui, j’adore ça!), mais ce n’était plus suffisant. Tout s’est mis en place naturellement et ce qui devait être un hobby est devenu un métier.
J’aimerais mettre en lumière les créateurs avec qui je travaille depuis des années.
Vous donnez l’impression d’être toujours positive, d’avoir mille projets en tête.
Oui, définitivement. J’ai toujours été comme ça depuis toute petite. Très sage, mais exaltée et passionnée. J’aime les gens, j’aime échanger, j’aime entreprendre. Il faut que ça bouge, que ça vive! J’ai ouvert un deuxième concept store à Genève l’an dernier, il est dirigé par ma sœur. Et cette année, je pose mes valises à St. Moritz pour trois mois. Un pop-up que je vais décorer à ma façon. Mais surtout, j’aimerais mettre en lumière les créateurs avec qui je travaille depuis des années. Ils sont incroyables, et je veux que les gens les connaissent. J’organiserai des rendez-vous mensuels avec eux à Genève pour que les clientes découvrent leur travail et comprennent que ce que je propose n’a rien à voir avec l’industrie de masse.
Votre vie n’a pas toujours été simple. Quelles épreuves vous ont marquée?
Mon enfance d’abord. J’ai vécu dans un monde doré mais ma vie ne l’était pas. Puis comme tout le monde, j’ai traversé des moments difficiles, des galères, des épreuves familiales qui ont été dures à encaisser. Mais j’ai toujours essayé de gérer le mieux possible. J’ai beaucoup pardonné.
Qui vous connaît le mieux?
Question délicate… Pas ma mère, en tout cas! Mon mari, bien sûr, même s’il me perçoit à travers son propre prisme. Il est fasciné par mon travail, mais s’inquiète toujours de savoir si cela me rend vraiment heureuse. Mon fils me comprend bien aussi, nous partageons ce même côté jusqu’au-boutiste. Et puis il y a Riccardo, le créateur avec qui tout a commencé, qui me décrit comme un cheval fou.
Votre mari a-t-il été impacté par ce changement de vie?
Oui, bien sûr. Avant, j’étais beaucoup plus à la maison. Aujourd’hui, je suis happée par mes projets. Mais il est heureux pour moi. Il m’écrit des lettres, m’envoie des fleurs, me dit combien il est fier. Cette année, on fête nos 40 ans ensemble. Notre histoire a commencé de façon particulière: nous étions chacun mariés de notre côté, et au même moment, nos vies ont basculé. On s’est rencontrés, en septembre, on vivait ensemble en novembre. Un coup du destin, une évidence.
Y a-t-il des choses que vous n’acceptez plus aujourd’hui?
La déloyauté. J’ai pardonné beaucoup de choses, mais plus maintenant. Je préfère un cercle restreint mais bien choisi. Avant, j’étais plus souple, plus conciliante. Aujourd’hui, je coupe parfois les ponts quand ça ne me convient pas. Je ne fais pas semblant.
Je commence à me dire que, oui, j’ai peut-être accompli quelque chose de bien.
Quelle est la dernière fois où vous avez été fière de vous?
Assez souvent ces derniers temps. Depuis trois ou quatre ans, on me renvoie beaucoup de compliments. Et je commence à me dire que, oui, j’ai peut-être accompli quelque chose de bien.
Une personne qui vous a inspirée?
Après mon divorce avec mon premier mari, j’ai travaillé quelques mois chez Cartier à Genève. Micheline Kanoui, la directrice haute joaillerie de l’époque m’a embauchée. Elle a 95 ans aujourd’hui, et c’est une femme incroyable. Je garde précieusement un message vocal qu’elle m’a envoyé il y a quelques années, il est merveilleux. Elle a vu en moi tout ce que j’étais capable de faire, avant même que je le réalise moi-même. Elle a été mon inspiration.
Vous avez 65 ans cette année. Pensez-vous à la retraite?
Pas du tout! Mais alors, pas du tout. Je cherche une «mini-moi», quelqu’un pour prendre le relais. Je ne l’ai pas encore trouvée, mais je suis patiente. Je sais qu’elle débarquera dans ma vie au bon moment.