Dès lundi, House of Switzerland Milano s’invite en vitrine de la fameuse semaine italienne du design. L’occasion d’exposer une nouvelle génération de designers dont les objets racontent une autre manière de créer, plus inclusive et engagée que naguère. Entretien avec Marie Mayoly co-directrice créative de ce tournant audacieux, nécessaire.
A quelques jours de l’ouverture de la House of Switzerland Milano, Marie Mayoly est dans les starting blocks : « Voir un projet de cette ampleur se concrétiser est des plus réjouissants », nous déclare-t-elle. Et pour cause. Dès lundi 7 avril, l’exposition helvétique revient au cœur de la renommée Milano Design Week. Elle n’en est qu’à sa troisième édition et s’impose pourtant déjà comme un rendez-vous incontournable du design suisse sur la scène mondiale : « Aujourd’hui, nous figurons parmi les dix expositions à ne pas manquer à Milan, se réjouit la spécialiste design chez Pro Helvetia et co-directrice créative de House of Switzerland Milano. De plus en plus de médias, y compris généralistes, s’intéressent à notre projet. »

Un rayonnement grandissant qui tient surtout à l’approche même de ce dernier. Pensée comme un laboratoire d’idées et de dialogues, la House of Switzerland Milano est le fruit d’une collaboration entre la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia et Présence Suisse, une unité du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). C’est d’ailleurs le thème de cette année 2025 : la collaboration. Mais « plus qu’une simple thématique, insiste Marie Mayoly, c’est un état d’esprit, car le design repose sur le dialogue entre pratiques, cultures et générations ». Une philosophie qui trouverait d’ailleurs son origine dans l’ADN même de la Suisse, pays multiculturel « où la diversité nourrit les liens ». A la House of Switzerland Milano 2025, cette vision se matérialise à travers 25 projets. Tous sont portés par une nouvelle vague de designers suisses qui partagent une approche commune.

Aujourd’hui, House of Switzerland Milano figure parmi les dix expositions à ne pas manquer à Milan.
Manifestes socio-politiques
En effet, chacun, à sa manière, interroge nos usages du quotidien, de la manière la plus « honnête » qu’il ait rarement été possible de le voir auparavant, s’étonne Marie Mayoly. Le cas de « Kwer » est un exemple édifiant : cette collection de vaisselle a été développée par dversa.studio dans une logique de co-création avec des utilisateurs d’âges et de capacités variés – démarche qui redéfinit la notion d’accessibilité dans le design. Autre projet marquant : celui de « Interwoven Cultures », née de la collaboration entre la designer finlandaise Mari Koppanen et la tisserande Estelle Bourdet, qui allie techniques traditionnelles et innovations textiles avec un matériau bio issu de la cellulose bactérienne.

Mais derrière ces objets du quotidien, une dimension plus profonde affleure. « Le fil conducteur de la collaboration […] est encourageant et essentiel à une époque où nous avons tous besoin de travailler ensemble », analyse Max Fraser, directeur éditorial de Dezeen et membre du jury de la sélection. Un propos qui résonne presque comme un manifeste politique. La spécialiste de Pro Helvetia abonde dans ce sens : « Quand on interroge les usages, on interroge aussi la société. Les designers sélectionnés ne sont pas des militants au sens strict, mais leurs créations traduisent un engagement socio-politique. Les problématiques du quotidien sont le reflet du monde, et leurs objets en portent naturellement la trace. »

Quand on interroge les usages, on interroge aussi la société. Les designers sélectionnés ne sont pas des militants au sens strict, mais leurs créations traduisent un engagement socio-politique.
Moins de prestige pour plus de sens
Un ancrage dans le réel qui marque dans le même temps un tournant dans l’histoire du design. Longtemps perçu comme « élitiste », le secteur s’est au fil du temps éloigné du grand public – pourtant premier concerné par les réalités les plus basiques du quotidien. Mais il semble désormais opérer un retour aux sources, porté par une génération cherchant moins à briller qu’à faire sens. « L’installation « Rings of Collaboration » de la Fondation suisse pour paraplégiques (SPF) illustre parfaitement cette volonté de rendre le design accessible à tous, souligne Marie Mayoly. La jeune génération prend ses distances avec la starification des designers d’hier. Leur but est de davantage se concentrer sur des pratiques qui contribuent plus largement à la société. »

La jeune génération prend ses distances avec la starification des designers d’hier. Leur but est de davantage se concentrer sur des pratiques qui contribuent plus largement à la société.
Ce recentrage séduit par ailleurs de plus en plus la garde étrangère : « On le voit dans de nombreux pans du design – le mobilier, la mode, l’industrie. De plus en plus de marques internationales s’associent aux talents du pays. » Et dans dix ans ? A quoi ressemblera le design helvétique ? « Toujours plus interconnecté entre les pratiques et ses bienfaits mieux compris par le grand public », espère Marie Mayoly.
Alors que la House of Switzerland Milano s’apprête à ouvrir ses portes au sein de la Milano Design Week, une certitude s’impose : le design suisse ne cesse de redéfinir son rôle sur la carte internationale. En embrassant la collaboration et en se rapprochant du quotidien, il façonne une nouvelle manière de créer, plus engagée et plus accessible. Ce renouveau suffira-t-il cependant à faire rayonner la Suisse sur la scène du secteur mondial ? Dans un paysage global toujours plus dominé par des géants et des tendances aussi immédiates qu’éphémères, la discrétion et la précision helvétiques parviendront-elles à rivaliser sur le long terme avec le spectaculaire et le viral ? Une réflexion (parmi d’autres) que la House of Switzerland Milano entend nourrir bien au delà de ses installations, à travers plusieurs expositions et tables rondes, jusqu’au dimanche 13 avril.

House of Switzerland Milano, Milano Design Week, 7 au 13 avril 2025, prohelvetia.ch.