Centré sur le créateur Isaac Mizrahi et des mannequins comme Kate Moss, Naomi Campbell et Linda Evangelista, il a été un succès dans les années 1990 et à nouveau projeté au Festival du film de Sundance, pour marquer son anniversaire. Retour sur un phénomène sociétal.

Cindy, Naomi, Linda, Kate… Trente ans ont passé, et les supermodels des années 90 continuent de régner sur l’imaginaire collectif. Plus besoin de préciser leur nom de famille : leurs prénoms suffisent à évoquer une époque, une allure, une icône. Pourtant, leurs débuts n’ont rien eu d’évident. Un moment charnière a contribué à propulser leur notoriété et à faire d’elles bien plus que des visages de podiums : un véritable girl band planétaire, adulé aux quatre coins du globe. Ce tournant, c’est la sortie en 1995 du documentaire Unzipped, devenu culte auprès des passionnés de mode. Réalisé par Douglas Keeve, le film suit pendant six mois le créateur Isaac Mizrahi, alors au sommet de sa gloire, entre coulisses créatives et tension pré-défilé. Véritable capsule temporelle, ce portrait haut en couleurs offre un aperçu fascinant d’un monde de la mode aujourd’hui révolu — et dont l’aura continue de faire rêver, trois décennies plus tard.
L’impact d’Unzipped sur l’industrie de la mode fut immédiat et remarquable. Comme l’a confié Isaac Mizrahi dans plusieurs interviews, l’idée du documentaire a germé peu après avoir reçu un prix du CFDA (Council of Fashion Designers of America). Il lui fallait alors réaliser une courte vidéo de présentation, censée résumer son univers : c’est de cette commande anodine qu’est né le projet. Un an plus tôt, Prêt-à-Porter de Robert Altman, fiction librement inspirée du milieu de la mode, avait déçu sur toute la ligne. Échec critique, désaveu du public, colère des professionnels : le film n’avait convaincu personne. C’est donc dans un climat de méfiance que Unzipped fut présenté en avant-première au Festival de Sundance, en 1995. Mais contre toute attente, la réponse fut triomphale. Séduite, la société Miramax — alors au sommet de sa puissance — en acquit les droits de distribution, scellant le destin culte du film.

Pendant six mois, le réalisateur Douglas Keeve — qui partageait alors la vie d’Isaac Mizrahi — suit le créateur au plus près. À travers l’objectif, se dessine un univers en effervescence, nourri de talent brut, de fulgurances créatives et d’une énergie presque palpable. Mais l’envers du décor n’est jamais bien loin : le chaos, la pression, l’angoisse de l’échec, les nuits blanches à quelques jours du show… Tout cela affleure à l’image, imprimant à ce portrait de mode un grain de vérité rare. La collection qui se prépare entrera dans l’histoire. Mais à ce moment précis, rien n’est encore certain — et c’est précisément ce qui rend Unzipped si fascinant.
La collection automne-hiver 1994, souvent décrite par la presse spécialisée comme la plus emblématique de la carrière d’Isaac Mizrahi, fut un triomphe absolu. Sur le podium, la crème des top models de l’époque : Linda Evangelista en tête d’affiche, bientôt rejointe par Naomi Campbell, Kate Moss, Amber Valletta, Christy Turlington, Veronica Webb, Helena Christensen… Toutes étaient là, incarnant à elles seules l’âge d’or des années 90. En toile de fond, à peine dissimulée par un mur de tissu translucide, la frénésie des coulisses : les changements de tenues éclair, les retouches de dernière minute, la course haletante du créateur et de son équipe. À l’extérieur, les photographes se bousculaient, frôlant presque le podium. Une scène vibrante, brute, bien loin de l’univers ultra-scripté des fashion weeks contemporaines, où les front rows saturés de célébrités sous contrat volent parfois la vedette aux vêtements et à celles qui les portent.
Le rythme haletant de la préparation d’une collection transparaît dans Unzipped, qui capture aussi, sans jamais appuyer, la pression quasi invisible mais bien réelle exercée par les rédactrices en chef des grandes publications de mode. Pourtant, ce tourbillon frénétique des années 90 semble presque lent au regard de ce qui allait suivre. Alors que le documentaire s’apprête à être rediffusé dans la section From the Collection du Festival du film de Sundance pour célébrer ses 30 ans, son réalisateur Douglas Keeve confiait récemment : « Quand nous avons tourné Unzipped, la mode était à l’aube d’une transformation radicale. Avant, on partait une semaine ou deux pour un shooting et on prenait deux photos par jour. Et il y avait du budget. Cela permettait une vraie liberté créative. Aujourd’hui, tout est instantané, rapide, compressé dans des budgets serrés. »
Filmé à une époque sans smartphones ni stories Instagram, Unzipped offrait une plongée rare et précieuse dans un univers fascinant, à la fois exclusif et scintillant. Une atmosphère devenue quasi impossible à recréer aujourd’hui, à l’ère où les défilés sont retransmis en direct sur les réseaux sociaux, et où les créateurs deviennent aussi des producteurs de contenu. L’aura de mystère qui entourait jadis la mode semble s’être diluée dans le flux constant d’images et d’informations.
Autrice: Elena Muñoz
Cet article a été traduit et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur elle.com/es. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.