Loubna Freih, championne d’Ironman : « Je n’ai pas encore atteint mes limites »
L’aventurière des Alpes et première directrice de Human Rights Watch à Genève est avant tout une femme qui a été à la rencontre avec elle-même.

Cette jolie brune à l’allure déterminée semble avoir eu plusieurs vies en une. Loubna Freih est habitée par le talent. Ses preuves, elle les a faites autant dans le monde des ONG que dans l’univers du sport. Une héroïne moderne dont la tête bien faite est vissée sur un corps ultra-performant. Mais selon elle, ses exploits sont d’abord le résultat d’un processus, d’une connexion profonde avec soi: «Il s’agit de croire en ses capacités, de se surprendre et de chercher par divers moyens ces richesses qui sont en nous». À 58 ans, elle entend toujours repousser ses limites, aussi élevées que les sommets enneigés qui nourrissent son inspiration.
ELLE : Votre goût pour l’endurance est arrivé assez tard dans la vie… Qu’est-ce qui vous a amenée au sport de compétition ?
Loubna Freih : À l’époque, je n’étais pas une athlète, même si, en habitant Verbier (VS), je n’ai jamais lâché le ski ! Entre mon engagement pour Human Rights Watch et mes deux garçons, mes journées étaient bien remplies. Après mon divorce, j’avais besoin d’évacuer mes émotions et trouver un apaisement au contact de la nature. J’y suis allée de plus en plus souvent, j’ai commencé à courir, de plus en plus longtemps, et j’ai puisé ma force dans la montagne.
Y a-t-il eu un événement déclencheur ?
Le semi-marathon de Lausanne. Je n’avais pas fait un score relevant, mais j’ai découvert le plaisir de l’effort, et surtout, j’ai découvert que j’avais des aptitudes… Tout s’est fait progressivement. À 40 ans, j’ai commencé par des courses de ski alpinisme, ensuite j’ai couru le marathon de New York… ; en fait, je décide d’investir en moi. Je cherche les gains, je veux voir jusqu’où je peux aller. Je suis déterminée, et je me colle un rêve: faire l’Ironman.
En 2024, à Nice, vous remportez le championnat du monde d’Ironman dans la catégorie 55-59 ans. Pourquoi avoir choisi le triathlon ?
Par souci d’égalité: C’est une discipline où les hommes et les femmes parcourent les mêmes distances (natation, vélo, course) et les règles sont identiques pour tous.
Après mon divorce, j’avais besoin d’évacuer mes émotions et trouver un apaisement au contact de la nature.
Comment devient-on une athlète ?
J’ai pris un coach, j’ai persévéré, je me suis bien entraînée… Il a aussi fallu complètement changer de mode de vie : travail physique, nutrition, sommeil…
Fini les apéritifs entre amis ?
Fini les apéros ! Mais on développe d’autres choses… je suis très entourée, j’ai un cercle d’amis qui voyage avec moi, me soutient. C’est une grande force.
Coach en performance mentale, que transmettez-vous du sport aux autres athlètes ?
Le sport apprend le dépassement de soi. L’endurance, elle, se joue surtout dans la tête : s’estimer capable de surmonter les difficultés, réussir à se motiver. Oser croire que l’on peut gagner. Ce n’est pas simple de dire à voix haute : « Je vais remporter l’Ironman. » Pourtant, il faut exprimer ses besoins. Ce qui n’est pas évident pour les femmes…
Le sport apprend le dépassement de soi. L’endurance, elle, se joue surtout dans la tête,
Pourquoi les femmes ?
Parce qu’elles sont tour à tour mères, professionnelles, entrepreneuses, et qu’elles investissent toujours ailleurs avant d’investir en elles-mêmes.
Quel rôle joue le sport dans votre équilibre personnel ?
Le sport offre une validation immédiate et objective. On se reconnecte pleinement au moment présent. J’y trouve ce bonheur fluide où puiser une confiance profonde et un apaisement essentiel.
Vous avez traversé les Alpes en 60 jours – plus de 2000 kilomètres et 80 000 mètres de dénivelé – aux côtés d’une équipe féminine. Tout un symbole ?
Cela a été une expédition formidable. C’était à la fois une curiosité géographique, constater l’état de nos glaciers, et une aventure humaine. Les athlètes féminins partagent des mêmes valeurs, on vérifie comment va l’autre, on est dans le vrai. L’alpinisme est plutôt un monde masculin, là je nous voyais comme une caravane de femmes !
Les athlètes féminins partagent des mêmes valeurs, on vérifie comment va l’autre, on est dans le vrai.
Le film, Alpine Quest: une grande traversée des Alpes (2025), qui retrace cette aventure, sort à l’automne. Que vouliez-vous y montrer ?
Je crois à la transmission, au passage de flambeau. Nous avons déjà fait plusieurs présentations dans des écoles, où nous avons parlé des glaciers, partagé cet exploit sportif réalisé par des femmes. À l’issue d’un exposé, une petite fille a dit vouloir devenir aventurière… si cela peut inspirer et encourager des vocations, notre mission aura réussi.
Quel lien faites-vous entre l’esprit compétitif du sport et la défense des plus vulnérables ?
Dans mon coaching, j’aborde les complexités liées au sport car il y a aussi beaucoup de souffrances dans ce domaine. C’est un monde d’émotions en montagnes russes. Il y a les gagnants et les perdants. La performance sous pression des attentes. La difficulté à trouver un partenaire qui peut suivre la cadence. Des sacrifices et de la solitude…
Le sport naît souvent d’un rêve. Quel est le vôtre ?
Ils sont infinis ! Gagner l’Ironman d’Hawaï, traverser le Groenland… Je sais que je n’ai pas encore atteint mes limites.