« Je n’ai pas peur pour la planète, mais pour l’humanité » : Rencontre avec Babette Keller Liechti

Entrepreneuse avant-gardiste, présidente des sociétés Keller Trading et KT Home, honorée par le prix Veuve Clicquot en 2009, est une personnalité hors norme.

Sa vie ressemble à un roman. Tant tout y paraît incroyable. L’enfance difficile de Babette Keller Liechti auprès d’un père quelque peu alcoolique et violent a fait naître en elle une immense force mentale. Rien ne lui est insurmontable. Les difficultés l’ont toujours fait grandir. À 15 ans, elle entame un apprentissage de vendeuse et elle met au monde son premier enfant alors qu’elle a tout juste 20 ans. Passionnée par l’entrepreneuriat, elle lance des serviettes de polissage et de présentation en microfibres pour les horlogers. Une première. Son entreprise démarre dans sa cuisine; elle coud la nuit pendant que ses trois enfants dorment. Très vite, 200 horlogers lui font confiance. Sa société Keller Trading connaît un succès fulgurant. Tous les spas Dior utilisent son gant.

ELLE Suisse : Babette, parlez-nous de vos nouveaux projets professionnels.
Babette Keller Liechti : Après mes gants de soins ultradoux (il suffit d’un peu d’eau pour se nettoyer et se démaquiller), nous lançons sur le marché du luxe le gant seconde peau. Il est fait de 88% de polyester recyclé. Il permet de manipuler les métaux précieux, et tout ce qui demande de l’attention et du soin.

Quelle est votre plus belle satisfaction ou grand bonheur aujourd’hui?
Au risque de paraître peu originale, je dirais ma famille. Le bonheur aussi, chaque matin, de découvrir ce que la journée va m’apporter. Et surtout ma rencontre avec la spiritualité. Je ne suis jamais seule. J’avais 10 ans quand cette révélation m’a pénétrée. Je suis allée à l’église chercher du réconfort et j’ai demandé à Dieu de m’accorder le don de l’amour. Je l’ai reçu.

Votre plus belle rencontre, celle qui a influencé votre vie ou votre carrière…
Mon parrain, Philippe Dufour, un maître-horloger du plus haut niveau. Et bien sûr, mon mari, Pierre Liechti, l’amour de ma vie que j’ai rencontré sur un trottoir. (Rires). Il m’apporte équilibre et tendresse. C’est un entrepreneur dans l’âme et la bonté personnifiée.

J’avais 10 ans quand cette révélation [de la spiritualité] m’a pénétrée. Je suis allée à l’église chercher du réconfort et j’ai demandé à Dieu de m’accorder le don de l’amour. Je l’ai reçu.

Babette Keller Liechti, présidente des sociétés Keller Trading et KT Home.
ELLE Suisse

Et si on parlait de vos rêves…
Je rêve que mon gant Fluffy circule dans le monde entier. Quand j’ai regardé dernièrement un reportage sur Gaza et que j’ai vu une fille nettoyer sa maman avec un minable petit bout de tissu, cela m’a fait pleurer. J’aimerais tant que la douceur de mon gant console la terre entière. J’ai tenté une approche avec les ONG et Médecins Sans Frontières en Afghanistan. Mon cœur s’est serré à la vue d’une maman obligée de vendre son bébé pour pouvoir nourrir ses autres enfants. J’ai voulu développer notre rapport à l’humain et j’ai proposé mes gants.

La plus lourde épreuve de votre vie.
La mort de ma maman en 2020, au moment du Covid. Je venais de créer des masques de protection en tissu microfibres et l’EMS dans lequel elle séjournait m’a interdit de les lui donner. Il préconisait le papier uniquement. Elle est décédée car je n’ai pas pu la protéger. Je porte cette douleur en moi. Le dimanche de son anniversaire, ses 82 ans, j’ai senti qu’elle partait. Je lui ai dit: «Tu vas recevoir un beau cadeau, les anges sont avec toi.» Il y a aussi ma maladie neurologique incurable nommée «Cluster Headache»; c’est cruel et invalidant, mais je la surmonte. Il faut comprendre pourquoi l’épreuve arrive. Elle nous apporte de la valeur, nous permet de nous remettre en question. J’en tire tellement de bénéfice pour mon âme. Ma foi est très présente. Je vis mal les grandes injustices et souvent nous sommes impuissants. Je prie, cela m’apporte de la lumière.

Surmonter la maladie, la mort de sa maman, c’est tout de même très éprouvant…
Après la mort de maman, en pleine pandémie de Covid, mon moral a chuté dangereusement. Mais par chance, mon permis de résidente à Maurice m’a permis de partir sur l’île. C’était très compliqué, mais le Consulat mauricien m’a mis sur liste d’attente et j’ai pu partir depuis Paris. Cela m’a sauvé la vie.

Il faut comprendre pourquoi l’épreuve arrive. Elle nous apporte de la valeur, nous permet de nous remettre en question. J’en tire tellement de bénéfice pour mon âme.

Babette Keller Liechti, présidente des sociétés Keller Trading et KT Home.
ELLE Suisse

Lors des épreuves de l’existence, vous vous enfermez dans votre coquille ou vous vous étourdissez?
Je reste pudique, je m’isole, je médite et je prie beaucoup. À l’enterrement de mon ami Boris Petitpierre, décédé d’une crise cardiaque brutalement, je ne me suis pas mélangée aux personnes présentes. J’étais tellement dans l’empathie et l’émotion face à la douleur des siens.

En amour, vous êtes d’un tempérament jaloux ou totalement confiant?
Je suis très jalouse quand il s’agit de mon homme ! Ce sont des femmes dont je me méfie. Celles qui lui tourneraient autour et qui attireraient son regard. Mais je me soigne. Il faut savoir être plusieurs femmes à la fois : l’assistante, l’amie, la sœur, la maîtresse, l’épouse… (Rires).

Qu’est-ce qui vous révolte au quotidien?
Ce qui se passe en ce moment dans le monde. Je n’ai pas vraiment peur pour la planète mais pour l’humanité. Les hommes n’apprennent rien de l’histoire. Après la Seconde Guerre mondiale, on avait dit : «Plus jamais ça!» Et pourtant… J’ai peur de ce que nous laisserons à nos enfants. On galvaude la souffrance et la mort. Où sont nos valeurs?

Que souhaitez-vous changer dans votre existence aujourd’hui?
J’aimerais davantage transmettre ce que j’ai reçu : l’amour. Prendre le temps de l’écoute et du partage avec les autres. Et, avant mes septante printemps, m’offrir une année sabbatique! Partir en van électrique et «apprendre» le monde. J’ai soif de connaissance.

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