Kévin Germanier : « J’ai créé l’affiche du 60e Montreux Jazz Festival en écoutant Taylor Swift »
Toujours là où on ne l’attend pas, Kévin Germanier surprend encore : après les costumes des JO de Paris et de l’Eurovision 2025, le créateur valaisan signe une affiche brodée comme une pièce de haute couture pour le Montreux Jazz Festival. Il nous raconte sa création, entre upcycling, dessin et musique pop.

Une pièce de haute couture unique pour annoncer sa 60e édition : pour la première fois, le Montreux Jazz Festival (MJF) a confié la réalisation de son affiche à un créateur de mode. Et pas des moindres : Kévin Germanier, le jeune génie valaisan installé à Paris, figure majeure de l’upcycling et à la tête de sa propre maison depuis 2018. Il succède ainsi à des artistes tels que Jean Tinguely, Keith Haring, Andy Warhol, David Bowie ou, plus récemment, Woodkid, Malika Favre, Christian Marclay, Ignasi Monreal, JR et Rylsee.
« On a toujours aimé faire dialoguer les arts entre eux, mais ça n’avait encore jamais été fait à travers la haute couture. Ça faisait pourtant un moment que j’en rêvais, explique Mathieu Jaton, directeur du Montreux Jazz Festival. Avec Kévin Germanier, c’est chose faite : son approche flamboyante et sa créativité sans limite font résonner l’énergie du Festival dans un tout autre langage visuel. »
Après son entrée au calendrier officiel de la haute couture à Paris en janvier – devenant le deuxième Suisse à y accéder après Robert Piguet – et la conception des tenues des cérémonies d’ouverture et de clôture des Jeux olympiques de Paris 2024 ainsi que de l’Eurovision 2025 à Bâle, Kévin Germanier, qui a déjà habillé Björk, Beyoncé, Lady Gaga ou Taylor Swift, laisse à nouveau exploser son talent et sa palette de couleurs vives.
Cette affiche, il l’a abordée comme une pièce de défilé : six personnes ont été nécessaires pour broder plus de 60 000 sequins et perles de verre, de bois et de plastique récupérés, auxquels s’ajoutent de la laine et même des fragments de tubes électriques, sur un fond de velours noir.
La musique, c’est un feeling. J’ai essayé de retranscrire cette explosion, cette émotion qui vous remue le corps et le cœur. Je voulais quelque chose de généreux, dynamique et vibrant.

Quel était le briefing initial pour réaliser cette affiche ?
Kévin Germanier: Mot pour mot, c’était : « Créer un chef-d’œuvre ». Donc, pas de pression ! (rires) J’avais carte blanche, tout en gardant l’énergie de Germanier. L’idée était bien sûr de célébrer la 60e édition de la manifestation, dans un esprit festif. J’ai voulu m’inspirer de son histoire, alors j’ai demandé à voir les archives de toutes les affiches et leurs explications. J’ai fait un choix totalement arbitraire de celles que je préférais et j’ai remarqué qu’elles partageaient toutes la même gamme colorée.
Une affiche vous a-t-elle particulièrement inspiré ?
Oui, celle de Jean Tinguely (l’affiche du 16ᵉ Montreux Jazz Festival, en 1982, ndlr). Elle me parle beaucoup : je la trouve audacieuse, hyper moderne, avec ce côté spontané du trait. Il y a même une petite plume collée dessus et c’est drôle, parce que des personnes du festival m’ont dit qu’elles ne l’avaient jamais remarquée ! C’est de cette plume au final que m’est venue l’idée d’envol, de musique qui vous transporte. Je ne dis pas où elle vous emmène, je laisse chacun libre de l’interprétation, mais c’est quelque chose qui vous envahit. Pour moi en tant que Suisse, Tinguely est évidemment une icône, mais son affiche – et ce n’est vraiment pas pour critiquer les autres – était d’un point de vue esthétique, ma préférée. J’aimais aussi beaucoup le côté sombre et la manière dont il a utilisé les couleurs qui sont comme des néons dans la nuit. Car ce que j’aime beaucoup au Montreux Jazz, c’est la nuit, avec les lumières qui se reflètent sur le lac.
Comment avez-vous réalisé votre motif ?
Je voulais surtout que ce soit spontané parce que pour moi, c’est ça aussi, le Montreux Jazz. La musique, c’est propre à chacun: elle peut rendre joyeux, mélancolique, nous plonger dans des ambiances vraiment très différentes – comme avec la musique des jeux vidéo ou la musique classique. J’ai donc simplement mis de la musique et je me suis mis à dessiner, ce que je n’avais pas fait depuis cinq ans. Et ça m’a fait un bien fou.
Cinq ans sans dessiner ?
Oui. Aujourd’hui, tout va très vite : tout est digital, souvent dans le rush. J’adore dessiner, mais maintenant je n’ai vraiment plus le temps, c’est plutôt e-mails et factures (rires). Je déteste ce qui n’a pas de sens et je voulais que cette affiche en ait un vrai et également qu’elle soit la plus personnelle possible.
Quelle musique écoutiez-vous en travaillant?
Taylor Swift ! J’ai commencé sur sa musique, puis c’est devenu un mélange de girly pop et de musiques dramatiques issues de jeux vidéo, que j’adore. Je voulais vraiment ce côté spontané, alors j’ai juste mis mes musiques et je me suis lancé.
Combien de temps avez-vous consacré à la création ?
Le travail de recherche dans les archives a été très long, mais passionnant. Le dessin de base m’a par contre pris environ une heure, parce qu’il fallait garder la spontanéité. Ensuite, toutes les colorimétries et les détails m’ont pris une dizaine de jours avant de pouvoir envoyer le tout à mes six brodeurs. Ils ont brodé à quatre en même temps, en se relayant pendant deux semaines, parce qu’il y avait énormément de perles !
Vous avez l’habitude de partir des matériaux disponibles pour vos collections upcyclées. Comment avez-vous procédé pour cette affiche unique ?
Le processus a été le même: je suis parti des matériaux à disposition, même s’il n’y avait qu’une seule affiche brodée dans cette colorimétrie et que je n’avais pas à me soucier d’avoir suffisamment de perles identiques pour la reproduction. Je pense qu’il y a des perles provenant de restes de cinq ou six de mes collections. Et pour la première fois, j’ai même utilisé du fil de tricot récupéré de mes tricoteuses en Valais (ses pièces en laine sont réalisées par une équipe de tricoteuses composée de sa mère, de femmes de sa famille et d’amies, ndlr), ce qu’on ne fait jamais en broderie normalement. Absolument tout sur l’affiche est upcyclé, même le velours noir, qui est en fait un vieux rideau. Il évoque aussi l’idée de scène, de théâtre, de scénographie, ce qui va très bien avec le Montreux Jazz, je trouve.
Le MJF a-t-il tout de suite accepté votre idée d’affiche brodée ?
Oui. L’idée m’est venue dès ma première discussion avec Mathieu Jaton, je crois. Je pense qu’ils se sont dit : « Il est fou, mais c’est exactement ce qu’on voulait de lui ! » (rires)
Transformer une affiche brodée en affiche imprimée a-t-il posé des difficultés supplémentaires ? Avez-vous dû renoncer à quelque chose ?
Non. Mais la vraie difficulté, c’était en effet la sérigraphie parce que, ce qui est très beau, c’est que le Montreux Jazz ne fait pas juste une impression d’une photo. Il y a tout un travail de sérigraphie qui se fait par cadre, par couleur. Et évidemment, moi, je voulais en plus des couleurs fluo, ce qui est un enfer technique ! (Rires.) Donc ça, oui, c’était compliqué. Mais le sérigraphe – plutôt l’artiste pour moi – qui s’en est chargé a parfaitement compris mon travail. Il a même réussi à rendre la texture. C’est fou, ce qu’il a réussi à faire.
Quel est votre lien avec le MJF ? Vous y allez souvent ?
Mon lien direct, ce sont les affiches qu’on voit partout. En venant du Valais tout proche, c’est très présent. Enfant, avant même de connaître la manifestation, je connaissais déjà ses affiches. Elles sont gravées dans nos mémoires. Mais le festival en lui-même, je dois avouer que je n’ai pas souvent pu y assister. Je travaille beaucoup l’été et mes défilés sont en juillet. Donc, ça ne tombe jamais très bien pour moi. Mais justement, j’ai l’occasion de me rattraper avec ce projet-là.
Vous n’y alliez pas avant de vous installer à Paris?
Il faut dire que je ne suis pas la personne qui fait le plus la fête… (rires). Mais j’y suis allé quatre fois. Et autour de moi, ma maman, ma famille, tout le monde y va chaque année.
Quel est votre plus beau souvenir de ces passages au MJF?
Moi personnellement ce que j’aime, c’est la vibe. C’est indescriptible quand vous êtes au bord du lac. J’adore cette atmosphère : tu peux aller manger là, prendre un verre ici, écouter ça, sortir, rencontrer des amis… C’est très convivial. Montreux reste un festival très authentique, malgré ses artistes au calibre de fous. L’ambiance générale est très bon enfant. J’aime ce contraste entre un casting de ouf et la simplicité des gens qui y viennent.
Un concert que vous rêveriez de voir à Montreux ou ailleurs ?
2WEI. J’adore ce groupe.
Que représente, pour vous, le fait d’inscrire votre nom dans l’histoire du Festival ?
C’est hyper flatteur évidemment et c’est un énorme honneur d’être mis au même niveau que tous les artistes qui ont réalisé les affiches auparavant. En fait, moi, j’avais très peur qu’après les Jeux olympiques, ça s’arrête. Je me demandais ce que j’allais faire. Et je me rends compte qu’il y a encore tellement à explorer. Là, c’est la musique, l’affichage, travailler avec les sérigraphes. Il y a aussi mon exposition Le Monstrueuses au Mudac avec encore un autre domaine: la scénographie. C’est emporter les gens dans un univers. Alors je me dis: c’est bon, il y a encore la restauration, il va y avoir l’hôtellerie… J’ai encore plein de champs d’expression devant moi.
L’affiche sera présentée au Mudac, à Lausanne, dans l’exposition Les Monstrueuses. Carte blanche à Kévin Germanier, du 7 novembre 2025 au 22 mars 2026, puis exposée à la boutique du Montreux Jazz Festival, du 3 au 18 juillet 2026.