« All’s Fair » : la série qui voulait défendre les femmes, mais plaide la superficialité

La nouvelle série de Ryan Murphy transforme l’empowerment féminin en une succession de clichés, célébrant davantage le look et la fortune de ses héroïnes que leurs compétences professionnelles.

Semaine chargée pour Kim Kardashian : All’s Fair, la série signée Ryan Murphy (Glee, Nip/Tuck, American Horror Story, Monstres, Feud…), dans laquelle elle incarne une avocate multimillionnaire, a été démolie presque unanimement par la critique. The Telegraph est même allé jusqu’à la qualifier de « crime contre la télévision » !

Et comme si cela ne suffisait pas, la star de téléréalité, qui suit des études de droit dans la vraie vie, a annoncé samedi avoir échoué à l’examen final du barreau de Californie. Loin de s’en attrister, elle a choisi l’autodérision pour évoquer ce nouveau revers (elle avait réussi ses premiers examens à la quatrième tentative) : « Je ne suis pas encore avocate, je fais juste semblant d’en être une très bien habillée à la télévision, a-t-elle écrit dans une story Instagram. Six ans après le début de ce parcours juridique, je suis toujours à fond jusqu’à ce que je réussisse l’examen du barreau. Pas de raccourcis, pas d’abandon, juste plus d’études et encore plus de détermination. Merci à tous ceux qui m’ont soutenue et encouragée jusqu’à présent. Rater de peu, ce n’est pas échouer : c’est un moteur. J’étais si près de réussir que cela m’a motivée encore plus. »

Elle a également fait preuve d’humour en relayant des messages de fans expliquant qu’ils avaient adoré sa série justement parce qu’elle est si mauvaise, avant de rappeler, dans un dernier slide, que All’s Fair trônait en tête des audiences sur Disney+.

Glenn Close, sa partenaire à l’écran, a elle aussi préféré rire des critiques, publiant un dessin des actrices du show en train de mijoter un ragoût de « lapins critiques », en clin d’œil à la scène de Liaison fatale, où en 1987 son personnage se vengeait de son amant, interprété par Michael Douglas, en faisant bouillir le lapin de sa fille.

Un casting royal

Sur le papier, All’s Fair (tout est permis) avait pourtant tout pour séduire : un pitch efficace ; un créateur à succès, Ryan Murphy; des invités prestigieux; et, surtout, un casting cinq étoiles rassemblant Naomi Watts, Glenn Close, Niecy Nash-Betts, Sarah Paulson et Teyana Taylor autour d’un rôle principal surprenant : Kim Kardashian.

Très attendue au tournant, la star de téléréalité allait-elle réussir sa reconversion avec pour seule expérience notable son rôle secondaire dans American Horror Story : Delicate ? Ceux qui craignaient le pire ont dû être surpris : ce n’est pas elle qui le livre. C’est l’ensemble du projet qui s’en charge.

Une grande attente

Annoncée dans un épisode de The Kardashians en 2023, la série portée par Kim Kardashian était déjà assurée d’un fort soutien grâce à ses 354 millions d’abonnés sur Instagram. Elle a également bénéficié ces dernières semaines d’une promotion fastueuse, avec des premières à Los Angeles, Londres ou encore Paris. De quoi nourrir une attente difficile à combler.

D’autant qu’un détail inhabituel laissait déjà présager la déception à venir : aucune possibilité n’avait été fournie à la presse de voir la série en amont, à l’exception de l’unique épisode projeté aux happy few lors des premières, mais placé sous embargo jusqu’à sa sortie.

Après visionnage des trois premiers épisodes diffusés la semaine dernière, on comprenait cette prudence : All’s Fair est vide d’intrigues, de finesse, de profondeur. La déferlante de critiques négatives a-t-elle offert une belle visibilité au projet ? Peut-être. Ce qui est certain, à voir les réactions sur les réseaux, c’est qu’elle polarise fortement : on déteste son absence de substance ou on adore son glamour exagéré, aussi clinquant que creux.

Des femmes et des hommes stéréotypés

De quoi parle All’s Fair ? Trois femmes aux noms flamboyants, Allura Grant (Kim Kardashian), Liberty Ronson (Naomi Watts) et Emerald Green (Niecy Nash-Betts), lassées d’être reléguées au rang de figurantes par leurs collègues masculins stéréotypés, claquent la porte de leur cabinet d’avocats pour créer leur propre firme, spécialisée dans les divorces et dédiée exclusivement à la défense des femmes. Les cas présentés sont inspirés de faits véridiques : « Ce sont des histoires folles, mais bien réelles », expliquait Kim Kardashian au cours d’une conférence de presse, tenue avec les cinq autres actrices avant la sortie de la série. « Nous avons consulté Laura Wasser, l’une des meilleures avocates en droit de la famille. Elle m’a représentée pour deux de mes divorces et son père avait représenté ma mère lors du divorce de mes parents. On a pu puiser dans ce vivier d’histoires vraies pour permettre à nos personnages, à chaque épisode, d’aider quelqu’un qui a vraiment besoin de soutien. »

Mais l’écran renvoie malheureusement, dès les premières minutes, une image bien plus plate. Passé une amorce aussi lisse qu’une page Wikipédia, le récit fait un bond de dix ans : les héroïnes sont devenues immensément riches et, bien sûr, les meilleures avocates des États-Unis. L’épisode pilote empile dialogues sans émotion et dénouements prévisibles. Les dossiers juridiques sont expédiés en quelques punchlines. Les protagonistes, elles, n’ont pas davantage de relief que l’écriture : ce sont juste des gagnantes, sans nuances. Leurs vies privées sont à peine esquissées, leurs relations manquent d’alchimie. Le tout, noyé sous un déluge de placements de produits et un étalage d’opulence. On s’attarde ainsi davantage sur les sacs à main, les escarpins, les bijoux, le jet privé, les bolides et les somptueuses demeures des avocates que sur les subtilités du droit ou la détresse des clientes du cabinet.

Même si elle se rêvait féministe, la série de Ryan Murphy tend au final à recycler des clichés, entre futilités, gloire et beauté, ne faisant que crier ce qu’elle prétendait dénoncer : l’idée que la réussite d’une femme se juge encore à son image et la qualité de sa garde-robe. Les juristes défilent au bureau, corsetées dans des tenues luxueuses, maquillées et coiffées comme pour le tapis rouge des Oscars, sans jamais l’ombre d’un faux pli. On les imagine mal avoir le temps d’étudier les dossiers de leurs clientes avant l’heure du démaquillage.

L’ouverture de l’épisode 3, où Allura Grant détaille les soins, injections et autres interventions hors de prix qu’elle s’est infligée pour effacer les marques du temps et s’offrir un revenge body après sa rupture, achève de brouiller le message, à l’heure où l’âgisme envers les femmes reste extrêmement fort.

Lors de la conférence de presse, les six actrices avaient pourtant tenu un discours en décalage avec le résultat, parlant de « modèles féminins forts ». « Je pense qu’il est important d’avoir cette représentation à la télévision, pour les femmes ou les jeunes filles qui veulent devenir avocates ou avoir une carrière vraiment réussie », estimait notamment Kim Kardashian.

Pourtant habituée à évoluer devant les caméras, cette dernière reste, de plus, figée comme une statue lorsqu’elle déclame ses tirades. Elle gagne toutefois un brin d’aisance dans certaines scènes, laissant espérer une indispensable progression. « Je savais, en arrivant sur ce projet, que je travaillais avec des femmes qui sont les meilleures dans ce qu’elles font et qu’elles le font depuis très longtemps. Donc mon job était de m’assurer que je ne fasse perdre de temps à personne, admettait-elle avec humilité. J’arrivais sur le plateau préparée du mieux possible. Et chaque jour, j’ai appris d’elles en les observant.»

Le grand vide juridique

Kim Kardashian interprète en réalité son propre personnage : comme Allura, elle vit dans le luxe, gère une entreprise, a traversé l’épreuve du divorce et connaît l’univers du droit. Fille de Robert Kardashian (décédé en 2003), célèbre avocat du procès pour double meurtre d’O.J. Simpson, elle s’est lancée dans des études juridiques à 39 ans en 2019. « Bien sûr, mon père a eu une énorme influence sur mon envie de devenir avocate, explique-t-elle en conférence de presse. Il m’a donné beaucoup de conseils, mais il m’a en fait découragée de devenir avocate. Il me disait : “Je connais ma fille. Ce métier va trop te stresser.” Je pense qu’il serait fier et heureux de voir que j’ai étudié le droit. »

Dommage que ce qui aurait pu constituer le moteur de la série, à savoir les affaires juridiques et la défense des clientes, se révèle si anecdotique et caricatural qu’on peine à comprendre ce qui a bien pu convaincre les actrices de signer. Teyana Taylor, magnétique dans A Thousand and One (2023) et actuellement à l’affiche de One Battle After Another aux côtés de Leonardo DiCaprio, est reléguée à un rôle terne de maîtresse naïve. La grande Glenn Close n’a pas (encore) la place d’exprimer toute sa puissance. Idem pour Sarah Paulson, muse de l’univers Murphy, cantonnée dans de brèves apparitions de femme en colère, débitant des insultes d’une bêtise consternante. Niecy Nash-Betts, alias l’extravertie Emerald Green, sauve la face (et ce, malgré la tendance dérangeante de son personnage à proposer d’éliminer certains hommes). Mais l’actrice ne peut évidemment pas porter seule un scénario à l’écriture aussi lourde.

Quant à Naomi Watts, qui retrouvait Ryan Murphy après The Watcher et Feud : Capote vs. the Swans et prépare une quatrième collaboration avec lui, elle apparaît étonnamment effacée dans la peau de Liberty Ronson, semblant presque s’excuser d’être là à chaque réplique.

Excuses acceptées. Car à voir la longue liste de producteurs exécutifs défilant au générique, on devine que le projet de départ a aussi souffert sous le poids des avis divergents et des compromis. Dans cette liste, Kim Kardashian est nommée en tête, suivie de sa mère Kris Jenner, ce qui explique peut-être pourquoi All’s Fair ressemble davantage à une déclinaison de The Kardashians qu’à une fiction judiciaire. Le principal souci est sans doute là: annoncée comme une série plongeant dans le monde d’avocates talentueuses, elle laisse sur sa faim tant cet aspect est – pour l’instant – négligé.

« All’s Fair », de Ryan Murphy sur Disney +. Avec Kim Kardashian, Naomi Watts, Niecy Nash-Betts, Glenn Close, Sarah Paulson et Teyana Taylor. Un nouvel épisode chaque mardi.

Tags : série · femmes · analyse
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