La perte de cheveux féminine est-elle le tabou esthétique ultime?

« Les cheveux sont tout, jusqu’à ce qu’ils ne le soient plus. » C’est ainsi que notre journaliste de ELLE démêle la problématique de l’identité féminine à travers la chevelure, alors qu’elle affronte elle-même une alopécie.

Dans une scène mémorable de Fleabag (2016), le personnage de Phoebe Waller-Bridge entre en confrontation avec un coiffeur qui estime que « les cheveux ne font pas tout » dans la vie. Ce à quoi celle-ci s’oppose: pour elle, oui, « les cheveux font tout ». C’est d’après elle bien plus qu’une simple question d’apparence en effet. Les cheveux constitueraient même un symbole de pouvoir, de fertilité, parfois même un moyen de gagner sa vie.

Cette obsession peut sembler superficielle. Mais pour beaucoup de femmes, c’est une réalité partagée. Rejeter les normes esthétiques autour des cheveux, que ce soit par choix ou par nécessité, expose à une forme de moquerie et de stigmatisation. Mais c’est dans le même temps cette crainte qui hante celles d’entre nous qui perdent leurs cheveux.

Perte soudaine

A titre personnel, j’ai toujours été louée pour ma luxuriante chevelure. C’était une caractéristique qui m’a valu des éloges de la part de chaque coiffeur que j’ai croisé. C’était une part de moi que j’appréciais grandement. Donc, lorsque mes cheveux ont commencé à tomber, mon identité en a pris un coup.
La première fois que j’ai remarqué leur disparition, c’était un matin avant de partir travailler. En passant mes doigts dans mes cheveux, j’ai rencontré une zone qui ne ressemblait en rien à mon cuir chevelu habituel.

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C’était étrangement gluant et lisse. En quelques instants, j’ai réalisé que cette découverte était un morceau de mon cuir chevelu, complètement dépourvu de cheveux. Après quelques minutes de panique, j’ai pris rendez-vous avec mon médecin, suivi d’un appel peu cohérent à ma mère. J’ai passé en revue tout ce que j’avais fait, ressenti et mangé au cours de la semaine précédente, cherchant désespérément un lien avec cette soudaine perte de cheveux. Mais hélas, les réponses n’étaient pas aussi simples.

Les tests ont confirmé mes craintes: j’avais une pelade, une maladie auto-immune qui attaque les follicules pileux, entraînant parfois la perte de cheveux sous forme de plaques soudaines. C’est l’un des types de perte de cheveux les plus rares, touchant environ 2 % de la population, sans distinction de sexe selon la Fondation australienne pour l’alopécie areata.

Touchées « avant 29 ans »

Mes inévitables recherches sur Internet et les réseaux sociaux m’ont révélé que près de la moitié des femmes connaîtront une forme de perte de cheveux au cours de leur vie. Parmi celles-ci, l’alopécie androgénétique, plus communément appelée perte de cheveux chez la femme, est la plus répandue, touchant 12 % des femmes avant l’âge de 29 ans et 25 % avant 49 ans. Mais il existe également d’autres causes, telles que l’effluvium télogène, déclenchée par divers facteurs comme le stress, la perte de poids rapide, la grossesse ou le deuil. Le port de coiffures trop serrées peut en outre entraîner une alopécie de traction, tandis que des affections telles que le syndrome des ovaires polykystiques ou une carence en fer peuvent également provoquer une perte de cheveux.

A lire aussi: Comment la génération Z est en train de métamorphoser la médecine esthétique

Malgré sa fréquence, la perte de cheveux chez les femmes reste un sujet tabou, entouré de stéréotypes désobligeants. Dans la fiction, la calvitie est souvent associée au mal, comme si un manque de cheveux reflétait une défaillance morale du personnage. Une perception qui se retrouve également dans la réalité: Sinead O’Connor et Britney Spears ont été raillées et critiquées pour avoir osé se raser la tête.
Bien que leurs récents mémoires aient révélé les motivations sincères derrière ces actes de rébellion hautement médiatisés, il serait naïf de penser que les stéréotypes associés à la calvitie féminine ont disparu. Il suffit de se remémorer la récente plaisanterie de Chris Rock aux Oscars 2022 à propos de Jada Pinkett Smith.

Manque d’informations

En plus du tabou entourant la chute des cheveux chez les femmes, s’ajoute le vide éducatif. « Les femmes atteintes d’alopécie ne savent pas si elles doivent consulter leur médecin généraliste ou rechercher des informations sur Internet », m’a expliquée le Dr Leona Yip, dermatologue spécialisée dans la perte de cheveux. Les femmes sont également préoccupées par la perception sociale de leur démarche pour obtenir de l’aide:

J’ai des patientes qui se retrouvent stressées par ce que leur famille et leurs amis penseront si elles commencent un traitement.

Dr Leona Yip, dermatologue spécialisée dans la perte de cheveux

Les soins capillaires sont souvent présentés comme une solution à la perte de cheveux. « Soins capillaires holistiques » est un terme que vous entendrez de plus en plus en 2024, et les célébrités ne sont pas en reste. Nicole Kidman a investi dans la marque de bien-être capillaire Vegamour, qui prétend épaissir les cheveux, tandis que Beyoncé a lancé sa propre gamme de soins capillaires, Cecred, en février dernier. Sur TikTok, la perte de cheveux est devenue un sujet de tendance improbable fin 2023, avec plus de 10 milliards de vues sous le hashtag correspondant, les influenceurs vantant l’huile de romarin comme un incontournable pour les soins du cuir chevelu – une méthode que le Dr Yip réfute.

Six mois après mon diagnostic, j’ai eu quelques poussées que j’ai choisi de traiter avec des injections de stéroïdes tout en demeurant vigilante. Comme pour de nombreuses maladies auto-immunes, nous avons peu de connaissances sur les déclencheurs et les mécanismes, d’où l’approche prudente qui prévaut souvent. Actuellement, mes cheveux longs cachent en grande partie les zones touchées, mais la gêne est inévitable et l’anxiété de perdre plus de cheveux est parfois accablante. Je ne veux pas être celle qui scrute le moindre de ses cheveux, mais j’ai des appréhensions quant à la façon d’aborder la question avec ma coiffeuse lors de notre prochaine visite. La réalité est que, maladie auto-immune ou non, aucune d’entre nous ne vieillit avec exactement la même chevelure. Mais minimiser leur importance néglige la souffrance profonde ressentie par celles d’entre nous y étant confrontés, qu’elles le veuillent ou non.

A lire aussi: À Genève, une conférence lève les tabous autour de la ménopause

Autrice: Rebecca Mitchell
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur elle.com/au. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.

Tags : Cheveux · maladie · femmes · science

« Les cheveux sont tout, jusqu’à ce qu’ils ne le soient plus. » C’est ainsi que notre journaliste de ELLE démêle la problématique de l’identité féminine à travers la chevelure, alors qu’elle affronte elle-même une alopécie.

Dans une scène mémorable de Fleabag (2016), le personnage de Phoebe Waller-Bridge entre en confrontation avec un coiffeur qui estime que « les cheveux ne font pas tout » dans la vie. Ce à quoi celle-ci s’oppose: pour elle, oui, « les cheveux font tout ». C’est d’après elle bien plus qu’une simple question d’apparence en effet. Les cheveux constitueraient même un symbole de pouvoir, de fertilité, parfois même un moyen de gagner sa vie.

Cette obsession peut sembler superficielle. Mais pour beaucoup de femmes, c’est une réalité partagée. Rejeter les normes esthétiques autour des cheveux, que ce soit par choix ou par nécessité, expose à une forme de moquerie et de stigmatisation. Mais c’est dans le même temps cette crainte qui hante celles d’entre nous qui perdent leurs cheveux.

Perte soudaine

A titre personnel, j’ai toujours été louée pour ma luxuriante chevelure. C’était une caractéristique qui m’a valu des éloges de la part de chaque coiffeur que j’ai croisé. C’était une part de moi que j’appréciais grandement. Donc, lorsque mes cheveux ont commencé à tomber, mon identité en a pris un coup.
La première fois que j’ai remarqué leur disparition, c’était un matin avant de partir travailler. En passant mes doigts dans mes cheveux, j’ai rencontré une zone qui ne ressemblait en rien à mon cuir chevelu habituel.

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C’était étrangement gluant et lisse. En quelques instants, j’ai réalisé que cette découverte était un morceau de mon cuir chevelu, complètement dépourvu de cheveux. Après quelques minutes de panique, j’ai pris rendez-vous avec mon médecin, suivi d’un appel peu cohérent à ma mère. J’ai passé en revue tout ce que j’avais fait, ressenti et mangé au cours de la semaine précédente, cherchant désespérément un lien avec cette soudaine perte de cheveux. Mais hélas, les réponses n’étaient pas aussi simples.

Les tests ont confirmé mes craintes: j’avais une pelade, une maladie auto-immune qui attaque les follicules pileux, entraînant parfois la perte de cheveux sous forme de plaques soudaines. C’est l’un des types de perte de cheveux les plus rares, touchant environ 2 % de la population, sans distinction de sexe selon la Fondation australienne pour l’alopécie areata.

Touchées « avant 29 ans »

Mes inévitables recherches sur Internet et les réseaux sociaux m’ont révélé que près de la moitié des femmes connaîtront une forme de perte de cheveux au cours de leur vie. Parmi celles-ci, l’alopécie androgénétique, plus communément appelée perte de cheveux chez la femme, est la plus répandue, touchant 12 % des femmes avant l’âge de 29 ans et 25 % avant 49 ans. Mais il existe également d’autres causes, telles que l’effluvium télogène, déclenchée par divers facteurs comme le stress, la perte de poids rapide, la grossesse ou le deuil. Le port de coiffures trop serrées peut en outre entraîner une alopécie de traction, tandis que des affections telles que le syndrome des ovaires polykystiques ou une carence en fer peuvent également provoquer une perte de cheveux.

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Malgré sa fréquence, la perte de cheveux chez les femmes reste un sujet tabou, entouré de stéréotypes désobligeants. Dans la fiction, la calvitie est souvent associée au mal, comme si un manque de cheveux reflétait une défaillance morale du personnage. Une perception qui se retrouve également dans la réalité: Sinead O’Connor et Britney Spears ont été raillées et critiquées pour avoir osé se raser la tête.
Bien que leurs récents mémoires aient révélé les motivations sincères derrière ces actes de rébellion hautement médiatisés, il serait naïf de penser que les stéréotypes associés à la calvitie féminine ont disparu. Il suffit de se remémorer la récente plaisanterie de Chris Rock aux Oscars 2022 à propos de Jada Pinkett Smith.

Manque d’informations

En plus du tabou entourant la chute des cheveux chez les femmes, s’ajoute le vide éducatif. « Les femmes atteintes d’alopécie ne savent pas si elles doivent consulter leur médecin généraliste ou rechercher des informations sur Internet », m’a expliquée le Dr Leona Yip, dermatologue spécialisée dans la perte de cheveux. Les femmes sont également préoccupées par la perception sociale de leur démarche pour obtenir de l’aide:

J’ai des patientes qui se retrouvent stressées par ce que leur famille et leurs amis penseront si elles commencent un traitement.

Dr Leona Yip, dermatologue spécialisée dans la perte de cheveux

Les soins capillaires sont souvent présentés comme une solution à la perte de cheveux. « Soins capillaires holistiques » est un terme que vous entendrez de plus en plus en 2024, et les célébrités ne sont pas en reste. Nicole Kidman a investi dans la marque de bien-être capillaire Vegamour, qui prétend épaissir les cheveux, tandis que Beyoncé a lancé sa propre gamme de soins capillaires, Cecred, en février dernier. Sur TikTok, la perte de cheveux est devenue un sujet de tendance improbable fin 2023, avec plus de 10 milliards de vues sous le hashtag correspondant, les influenceurs vantant l’huile de romarin comme un incontournable pour les soins du cuir chevelu – une méthode que le Dr Yip réfute.

Six mois après mon diagnostic, j’ai eu quelques poussées que j’ai choisi de traiter avec des injections de stéroïdes tout en demeurant vigilante. Comme pour de nombreuses maladies auto-immunes, nous avons peu de connaissances sur les déclencheurs et les mécanismes, d’où l’approche prudente qui prévaut souvent. Actuellement, mes cheveux longs cachent en grande partie les zones touchées, mais la gêne est inévitable et l’anxiété de perdre plus de cheveux est parfois accablante. Je ne veux pas être celle qui scrute le moindre de ses cheveux, mais j’ai des appréhensions quant à la façon d’aborder la question avec ma coiffeuse lors de notre prochaine visite. La réalité est que, maladie auto-immune ou non, aucune d’entre nous ne vieillit avec exactement la même chevelure. Mais minimiser leur importance néglige la souffrance profonde ressentie par celles d’entre nous y étant confrontés, qu’elles le veuillent ou non.

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Autrice: Rebecca Mitchell
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur elle.com/au. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.

Tags : Cheveux · maladie · femmes · science