Ou quand les filtres de beauté lissants sur les réseaux sociaux déforment la réalité des « vraies » peaux. Analyse.
Début 2024, une vidéo TikTok mettant en scène Kendall Jenner qui dévoilait sa routine quotidienne de gua sha pour Vogue a particulièrement attiré l’attention. Ce n’est pas tant le mannequin en elle-même qui a captivé le public, mais plutôt la texture de sa peau: les ridules visibles sur son front, les pores apparents et quelques points noirs sur ses joues. Et les commentaires sous la vidéo n’avaient pas été plus tendres: « Je ne me suis jamais sentie aussi bien dans ma peau qu’en voyant celle de Kendall Jenner », disait l’un d’eux, tandis qu’un autre lançait: « Si j’avais son argent, ma peau ne serait pas aussi horrible. »
De ce bad buzz, en ressort en réalité le choc du grand public face à un contraste saisissant: celui entre l’apparence non maquillée du mannequin dans cette vidéo et ses images retouchées auxquelles ce dernier est habitué. Mais alors, sa peau a-t-elle vraiment l’air « horrible »? Il se trouve qu’elle ressemble simplement à une peau on ne peut plus normale.
Perception déformée
Avec l’omniprésence des photos retouchées, beaucoup semblent avoir oublié ce qu’est réellement une peau normale: des pores, des cicatrices, des boutons et tout ce qui les accompagne. Cela ne se traduit pas seulement par des moqueries envers des célébrités comme la demi-soeur de Kim Kardashian, mais cela rend aussi les individus beaucoup plus critiques envers eux-mêmes. Les réseaux sociaux regorgent en effet de messages de jeunes femmes cherchant désespérément des solutions à des problèmes de peau qu’elles perçoivent. Sur des plateformes comme TikTok ou Reddit, les questions fusent: « Est-ce normal d’avoir des rides sous les yeux à 20 ans? » ou encore « Cette texture de peau est-elle normale? ».
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Et pour certaines, cette obsession prend des proportions inquiétantes. De nombreuses personnes, comme Amber Rawlings, 26 ans, qui s’est dernièrement exprimée dans le média Dazed sur le sujet, passent des heures à examiner leur peau, convaincues qu’elles souffrent d’imperfections que les autres ne voient pas: « On me dit souvent que ma peau est magnifique, mais je ne le vois pas. » Malgré des éloges constants, elles continuent de se sentir insatisfaites, poursuivant un idéal de perfection impossible à atteindre.
Poursuite d’un idéal
Depuis des décennies, les magazines et les publicités manipulent les images de célébrités en effaçant les imperfections, mais aujourd’hui, ces pratiques sont devenues accessibles à tous grâce aux filtres de beauté des réseaux sociaux. En 2023, TikTok a lancé un filtre de beauté « Bold Glamour » alimenté par l’IA, capable de flouter la peau des utilisateurs de manière incroyablement réaliste. Ces technologies contribuent à une perception de plus en plus déformée de la réalité, poussant ainsi à rechercher une peau sans pores et sans texture, un idéal impossible à obtenir dans la vraie vie.
Ce faisant, il est devenu courant de considérer les caractéristiques normales de la peau comme des défauts à corriger. Le journaliste et critique de beauté Jessica DeFino explique que cette « dérive de la perception » peut amener à voir les visages naturels comme anormaux et à chercher à les corriger de manière obsessionnelle. C’est ce qu’on appelle la Skin dysmorphophobie. Cette quête de perfection, souvent alimentée par les réseaux sociaux, peut pourtant conduire à des comportements autodestructeurs, endommageant la peau à long terme.
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a quête de la peau parfaite, alimentée par les filtres et les retouches, semble avoir créé une déconnexion profonde entre la réalité et les standards de beauté irréalistes que l’on voit en ligne. Alors que de plus en plus de personnes luttent avec une perception déformée de leur apparence, il devient essentiel de redéfinir ce que signifie réellement avoir une « belle » peau.