« Je me bats contre la mort chaque jour »: Solange Peters, cheffe du service d’oncologie médicale au CHUV

Elle est oncologue, cheffe du service d’oncologie médicale au CHUV, professeure à l’Université de Lausanne et présidente, entre autres, de l’association Oncossuisse.

Elle nous répond, à des milliers de kilomètres d’ici, Singapour, où elle s’est rendue pour donner une conférence. Son auditoire? Des spécialistes venus de toute l’Asie, pour l’entendre parler des nouveaux protocoles de soins contre le cancer. Une vie à cent à l’heure, des allers-retours entre le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne et ses homologues du monde entier, sa seconde famille, et pour moteur l’amour de l’autre et des combats graves, urgents, une soif de combler les manques et de vaincre l’inégalité. Solange Peters est ambitieuse, hyperactive, altruiste, combative, libre, solaire et drôle aussi! Elle préfère la médecine à la politique où elle est aussi engagée.

ELLE: Réussir dans la vie, ce n’est pas réussir sa vie… Êtes-vous d’accord avec cela?
Solange Peters: Oui, complètement! Il faut choisir quel chemin on veut emprunter. La balance entre tout cela varie d’un être humain à un autre. Pour ma part, je ne prends pas beaucoup de temps pour moi, je travaille énormément, je ne pars jamais en vacances, c’est un choix. Je suis peu avec mes enfants, avec mes amis. Ma maman a arrêté sa carrière pour nous élever et j’ai le souvenir d’elle toujours triste, un peu dépressive. On ne peut pas être la meilleure mère avec toute la présence et la dévotion que cela implique et à la fois être une grande professionnelle. Il faut choisir. Pour une femme, c’est très difficile, car les modèles sociétaux tendent vers le schéma inverse.
 
Votre vie justement, qu’en pensez-vous?
Je suis heureuse de me lever tous les matins, je ressens une grande joie à faire ce que je fais, à assumer mes engagements politiques, associatifs et mon rôle en médecine.
 
Quelles qualités vous ont permis de réussir?
La rigueur, la précision, la communication et la tendresse. En oncologie, il faut éviter tout jugement de valeur et être empathique. Après avoir passé la perspective et la crainte de la mort, il faut définir ce qui est important pour les patients et ne pas porter de jugements de valeur.

J’ai une peur effroyable de la mort. Je me bats contre elle chaque jour, pour qu’elle arrive le plus tard possible pour chacun.

Solange Peters, cheffe du service d’oncologie médicale au CHUV

Comment gère-t-on ses émotions face à la menace de la mort?
J’ai une peur effroyable de la mort. Je me bats contre elle chaque jour, pour qu’elle arrive le plus tard possible pour chacun. Et j’ai souvent les larmes aux yeux lorsque j’annonce de mauvaises nouvelles à mes patients. Mais je tiens grâce à aux émotions partagées, à la multiplicité des actions, à l’esprit combatif même lorsque les nouvelles sont mauvaises. C’est dans la construction des choses que l’on trouve la ressource pour avancer.
 
La qualité dont vous êtes le plus fière?
L’honnêteté et la transparence. Je dis les choses comme elles sont. Cela peut passer pour un défaut parfois, mais tant pis, c’est comme ça.
 
Et vos défauts?
J’aimerais ne pas être rancunière et parfois un peu moins impatiente. J’ai aussi le syndrome de l’imposteur qui découle encore et toujours du regard des hommes sur les femmes…

Au CHUV, il n’y a que 15% de professeurs féminins. Nous affrontons encore des stéréotypes. […] Tous les jours, on me fait des remarques, qu’on ne ferait strictement jamais à un homme…

Solange Peters, cheffe du service d’oncologie médicale au CHUV

Aujourd’hui, êtes-vous une femme accomplie?
Oui, je crois. Je suis en accord avec mes valeurs. Je suis aujourd’hui là où je voulais être, même si évoluer en tant que femme dans un milieu conservateur d’hommes, a été et reste difficile. Au CHUV, il n’y a que 15% de professeurs féminins. Nous affrontons encore des stéréotypes démontrant que clairement reconnaître les carrières féminines et les compétences d’une femme n’est pas culturellement intuitif. Tous les jours, on me fait des remarques, qu’on ne ferait strictement jamais à un homme…
 
Quelle a été l’épreuve la plus difficile de votre vie?
L’épreuve la plus difficile est lorsque mon fils a eu de sévères problèmes de santé et qu’un médecin nous a dit à tort qu’il risquait la mort subite. J’avais l’impression que je ne pouvais plus rien contrôler, que je n’avais plus aucune ressource, que tout m’échappait et perdait sens et cela m’angoissait terriblement.
 
Êtes-vous croyante?
Malheureusement, pas du tout. Mais c’est sûrement une ressource précieuse pour trouver une réponse ou une échappatoire aux évidences de la mort et de la souffrance …

J’ai peur du temps qui passe, mais pas des marques du temps sur mon visage.

Solange Peters, cheffe du service d’oncologie médicale au CHUV

Quelle amoureuse êtes-vous?
Je suis une amoureuse engagée, passionnée et tendre. Mais j’ai aussi souvent été infidèle. Beaucoup de mes amours se sont terminés du jour au lendemain. J’aime mon indépendance. Mon papa a eu une vie sentimentale tumultueuse, pleine d’amoureuses, je suis en quelque sorte identique! Je ne me suis jamais mariée, se serait contre nature. J’ai même annulé un mariage! Je n’aime pas l’idée d’appartenir à un contexte.
 
Comment vous vivez l’échec?
Je le vis très mal, comme quelque chose de très personnel. Je me sens très coupable. Mon père considérait que ne pas réussir n’était pas une option. Il est la source de mes valeurs.
 
Qu’est-ce qui pourrait vous révolter au quotidien?
Les inégalités, l’incompréhension d’une société par rapport à ses manquements, l’égoïsme croissant et l’exclusion des autres.

Les psychologues et les analystes, vous les fréquentez?
J’ai été une adolescente compliquée. Mes parents ont eu du fil à retordre. J’ai été très malade, au bord du gouffre, hospitalisée; je me demandais si j’allais réussir à continuer, si j’en aurais la force. J’ai vu beaucoup de psychiatres qui m’ont donné les clés pour être stable, sinon je ne serais peut-être plus là!

Avez-vous peur de vieillir?
J’ai peur du temps qui passe, mais pas des marques du temps sur mon visage. Je n’aime pas l’idée de perdre mes capacités et mon énergie pour faire des choses. J’ai peur que l’âge me limite dans mes mouvements.
 
Qu’est ce qui vous fait avancer?
Mon clan. Ce qui compte pour moi, c’est de continuer à avancer avec eux, la grande famille reconstituée au fil de la vie, que j’ai choisie avec bonheur et sans embûches. Ils sont ma force.
 
Une devise que vous feriez vôtre?
«Celui qui vient au monde pour ne rien troubler, ne mérite ni égard ni patience». René Char.

Tags : Femme · travai

Elle est oncologue, cheffe du service d’oncologie médicale au CHUV, professeure à l’Université de Lausanne et présidente, entre autres, de l’association Oncossuisse.

Elle nous répond, à des milliers de kilomètres d’ici, Singapour, où elle s’est rendue pour donner une conférence. Son auditoire? Des spécialistes venus de toute l’Asie, pour l’entendre parler des nouveaux protocoles de soins contre le cancer. Une vie à cent à l’heure, des allers-retours entre le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne et ses homologues du monde entier, sa seconde famille, et pour moteur l’amour de l’autre et des combats graves, urgents, une soif de combler les manques et de vaincre l’inégalité. Solange Peters est ambitieuse, hyperactive, altruiste, combative, libre, solaire et drôle aussi! Elle préfère la médecine à la politique où elle est aussi engagée.

ELLE: Réussir dans la vie, ce n’est pas réussir sa vie… Êtes-vous d’accord avec cela?
Solange Peters: Oui, complètement! Il faut choisir quel chemin on veut emprunter. La balance entre tout cela varie d’un être humain à un autre. Pour ma part, je ne prends pas beaucoup de temps pour moi, je travaille énormément, je ne pars jamais en vacances, c’est un choix. Je suis peu avec mes enfants, avec mes amis. Ma maman a arrêté sa carrière pour nous élever et j’ai le souvenir d’elle toujours triste, un peu dépressive. On ne peut pas être la meilleure mère avec toute la présence et la dévotion que cela implique et à la fois être une grande professionnelle. Il faut choisir. Pour une femme, c’est très difficile, car les modèles sociétaux tendent vers le schéma inverse.
 
Votre vie justement, qu’en pensez-vous?
Je suis heureuse de me lever tous les matins, je ressens une grande joie à faire ce que je fais, à assumer mes engagements politiques, associatifs et mon rôle en médecine.
 
Quelles qualités vous ont permis de réussir?
La rigueur, la précision, la communication et la tendresse. En oncologie, il faut éviter tout jugement de valeur et être empathique. Après avoir passé la perspective et la crainte de la mort, il faut définir ce qui est important pour les patients et ne pas porter de jugements de valeur.

J’ai une peur effroyable de la mort. Je me bats contre elle chaque jour, pour qu’elle arrive le plus tard possible pour chacun.

Solange Peters, cheffe du service d’oncologie médicale au CHUV

Comment gère-t-on ses émotions face à la menace de la mort?
J’ai une peur effroyable de la mort. Je me bats contre elle chaque jour, pour qu’elle arrive le plus tard possible pour chacun. Et j’ai souvent les larmes aux yeux lorsque j’annonce de mauvaises nouvelles à mes patients. Mais je tiens grâce à aux émotions partagées, à la multiplicité des actions, à l’esprit combatif même lorsque les nouvelles sont mauvaises. C’est dans la construction des choses que l’on trouve la ressource pour avancer.
 
La qualité dont vous êtes le plus fière?
L’honnêteté et la transparence. Je dis les choses comme elles sont. Cela peut passer pour un défaut parfois, mais tant pis, c’est comme ça.
 
Et vos défauts?
J’aimerais ne pas être rancunière et parfois un peu moins impatiente. J’ai aussi le syndrome de l’imposteur qui découle encore et toujours du regard des hommes sur les femmes…

Au CHUV, il n’y a que 15% de professeurs féminins. Nous affrontons encore des stéréotypes. […] Tous les jours, on me fait des remarques, qu’on ne ferait strictement jamais à un homme…

Solange Peters, cheffe du service d’oncologie médicale au CHUV

Aujourd’hui, êtes-vous une femme accomplie?
Oui, je crois. Je suis en accord avec mes valeurs. Je suis aujourd’hui là où je voulais être, même si évoluer en tant que femme dans un milieu conservateur d’hommes, a été et reste difficile. Au CHUV, il n’y a que 15% de professeurs féminins. Nous affrontons encore des stéréotypes démontrant que clairement reconnaître les carrières féminines et les compétences d’une femme n’est pas culturellement intuitif. Tous les jours, on me fait des remarques, qu’on ne ferait strictement jamais à un homme…
 
Quelle a été l’épreuve la plus difficile de votre vie?
L’épreuve la plus difficile est lorsque mon fils a eu de sévères problèmes de santé et qu’un médecin nous a dit à tort qu’il risquait la mort subite. J’avais l’impression que je ne pouvais plus rien contrôler, que je n’avais plus aucune ressource, que tout m’échappait et perdait sens et cela m’angoissait terriblement.
 
Êtes-vous croyante?
Malheureusement, pas du tout. Mais c’est sûrement une ressource précieuse pour trouver une réponse ou une échappatoire aux évidences de la mort et de la souffrance …

J’ai peur du temps qui passe, mais pas des marques du temps sur mon visage.

Solange Peters, cheffe du service d’oncologie médicale au CHUV

Quelle amoureuse êtes-vous?
Je suis une amoureuse engagée, passionnée et tendre. Mais j’ai aussi souvent été infidèle. Beaucoup de mes amours se sont terminés du jour au lendemain. J’aime mon indépendance. Mon papa a eu une vie sentimentale tumultueuse, pleine d’amoureuses, je suis en quelque sorte identique! Je ne me suis jamais mariée, se serait contre nature. J’ai même annulé un mariage! Je n’aime pas l’idée d’appartenir à un contexte.
 
Comment vous vivez l’échec?
Je le vis très mal, comme quelque chose de très personnel. Je me sens très coupable. Mon père considérait que ne pas réussir n’était pas une option. Il est la source de mes valeurs.
 
Qu’est-ce qui pourrait vous révolter au quotidien?
Les inégalités, l’incompréhension d’une société par rapport à ses manquements, l’égoïsme croissant et l’exclusion des autres.

Les psychologues et les analystes, vous les fréquentez?
J’ai été une adolescente compliquée. Mes parents ont eu du fil à retordre. J’ai été très malade, au bord du gouffre, hospitalisée; je me demandais si j’allais réussir à continuer, si j’en aurais la force. J’ai vu beaucoup de psychiatres qui m’ont donné les clés pour être stable, sinon je ne serais peut-être plus là!

Avez-vous peur de vieillir?
J’ai peur du temps qui passe, mais pas des marques du temps sur mon visage. Je n’aime pas l’idée de perdre mes capacités et mon énergie pour faire des choses. J’ai peur que l’âge me limite dans mes mouvements.
 
Qu’est ce qui vous fait avancer?
Mon clan. Ce qui compte pour moi, c’est de continuer à avancer avec eux, la grande famille reconstituée au fil de la vie, que j’ai choisie avec bonheur et sans embûches. Ils sont ma force.
 
Une devise que vous feriez vôtre?
«Celui qui vient au monde pour ne rien troubler, ne mérite ni égard ni patience». René Char.

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