« Materialists » : la satire qui décode l’amour moderne

Après son superbe premier film Past Lives, Celine Song se lance, avec moins de brio, dans l’observation du marché des rencontres amoureuses.

Ils ont ce magnétisme capable de remplir chaque seconde d’un film. Et c’est tant mieux, car ensemble, ils donnent vie à Materialists, sorti ce 2 juillet en Suisse romande. Chris Evans, dans le rôle de l’ex toujours amoureux et toujours fauché, Pedro Pascal dans celui du nouvel amoureux richissime et, tiraillée entre eux, Dakota Johnson, célibataire, mais spécialiste des relations amoureuses de profession. Elle travaille en tant qu’entremetteuse dans une agence matrimoniale haut de gamme à New York. Et comme souvent dans les romcoms, elle croit pouvoir contrôler les sentiments. Jusqu’à ce qu’elle soit prise à son propre jeu.

En apparence, Materialists avait tout de la valeur sûre réunissant tout ce qu’on espère d’une bonne comédie romantique. Mais à l’écran, c’est surtout la richesse de jeu du trio qui finit par porter ce long-métrage de 1h56. Grâce à la diversité des alchimies que les acteurs parviennent à faire naître entre eux, l’ensemble, qui aurait gagné à être un peu condensé, se regarde sans peine, malgré un scénario convenu.

Quand Lucy rencontre Harry

On savait depuis longtemps que Dakota Johnson avait du talent. Elle en avait encore rappelé toute l’étendue dans Daddio, un huis clos avec Sean Penn, en 2023. On la retrouve très à l’aise ici, au premier plan d’un film qui semble, dans les premières minutes du moins, vouloir (et pouvoir) dialoguer avec les grands classiques du genre.

Elle, c’est donc Lucy, matchmakeuse redoutable, qui a fait du mariage une affaire quasi mathématique, convaincue qu’il suffit de cocher des cases pour garantir la compatibilité parfaite.

Lui, c’est Harry (Pedro Pascal). Ils se rencontrent au mariage de clients de Lucy. Il est sûr de lui, élégant, attentionné et, surtout, il vit dans un appartement à 12 millions de dollars. De quoi cocher pas mal de cases pour Lucy elle-même. Car oui, elle ne s’en cache pas, pour elle «matérialisme» est presque le seul mot à pouvoir rimer avec «romantisme». La possibilité du luxe, mais au minimum le confort financier, font partie de ses critères non négociables.

Sauf que le hasard remet, au même instant, sur son chemin John (Chris Evans), son ancien compagnon désargenté, employé comme serveur dans ce même mariage. Lucy l’avait quitté justement parce que l’amour, sans moyens, ne suffisait pas à son bonheur. Convaincant de vulnérabilité, Chris Evans, loin de son rôle dans Captain America (2011-2019), est la très bonne surprise du film. Acteur de théâtre, son personnage rêve toujours d’une grande carrière et vivote en attendant dans le taudis de ses 20 ans, qu’il partage notamment avec un colocataire capable de faire passer celui de Hugh Grant dans Coup de foudre à Notting Hill (1999) pour un roi du raffinement. Et pourtant, dès que Lucy croise le regard de John, leur complicité s’affiche comme une évidence. La voilà donc, bien évidemment, tiraillée entre son cœur et son ambition sociale.

L’amour, un bien de consommation

C’est alors que les codes de la comédie romantique semblent bien posés, que la scénariste et réalisatrice Celine Song fait bifurquer son film vers la comédie de mœurs. Inspirée par sa propre expérience professionnelle dans une agence matrimoniale, elle dresse un portrait cynique du commerce du cœur à l’époque du dating, où l’offre semble presque illimitée, mais qui reste marqué par le capitalisme et les stéréotypes patriarcaux. L’amour s’y expose et s’y choisit comme des voitures dont on pourrait sélectionner toutes les options. Voire les «tuner» pour rester dans la course: Materialists esquisse aussi comment la chirurgie esthétique, trop onéreuse pour beaucoup, introduit une énième forme de discrimination sur ce marché du paraître.

Le quotidien de Lucy l’illustre bien, elle qui tente de satisfaire, avec le sourire, les exigences toujours identiques de sa clientèle: la femme idéale doit être mince et avoir (beaucoup) moins de 30 ans; l’homme idéal doit avoir des cheveux, mesurer au moins 1m80 et gagner au minimum 200 000 dollars par an. Et quand personne ne coche ces cases, elle sait trouver les bons mots pour faire patienter les aspirants à la vie de couple. Sa devise? «Vous allez épouser l’amour de votre vie.»

Un deuxième film entre deux mondes

Celine Song était très attendue après Past Lives (2023), son tout premier long-métrage, magique de poésie, qu’elle avait également écrit et réalisé. Salué par la critique, il avait décroché deux nominations majeures aux Oscars 2024: Meilleur film et Meilleur scénario original. Elle y capturait déjà un triangle amoureux, autour d’une femme heureuse dans son mariage jusqu’à ce que ses retrouvailles avec son amour d’enfance n’y jettent le trouble. La réalisatrice canado-coréenne y saisissait avec une grande délicatesse, de la première scène à la dernière note de la chanson finale, la complexité des sentiments et les émotions tues de ces destins auxquels on n’a pas pu goûter. Avec Materialists, elle leur ouvre à nouveau la porte, mais ne les laisse pas réellement entrer.

On regardera quand même ce film pour la qualité de ses trois interprètes, son romantisme joliment distillé et sa réalisation soignée. Même si, à la fin, le sentiment qui domine est celui d’avoir passé près de deux heures, coincés entre deux intentions: pas tout à fait une comédie romantique, pas tout à fait une satire aboutie. Quelque chose à la surface de tout, assez distrayant pour mériter le détour, sans qu’on sache réellement pourquoi l’auteure ne nous y a pas plongé plus profondément.

Materialists, de Celine Song, avec Dakota Johnson, Pedro Pascal, Chris Evans. 116 min. Actuellement dans les salles romandes.

Tags : film · amour · relations
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