Caroline Scheufele : « J’en ai fait des folies ! Comme redessiner la Palme d’Or de Cannes »
Le fabuleux destin de Chopard dans une série Netflix ? Caroline Scheufele ne pourrait en être que l’héroïne. Grâce à elle, Chopard s’est inscrit dans l’histoire de la joaillerie et du cinéma. Rencontre.

Caroline Scheufele, c’est le talent et l’audace à l’état pur. Dans les années 1980, elle invente des concepts novateurs comme le pendentif Happy Clown ou la montre Happy Sport. Passionnée par le 7e art, elle s’imposera en 1998 pour dessiner la nouvelle Palme d’or du Festival. Et n’a de cesse de se réinventer. En 2023, elle présente au Festival de Cannes sa première collection Caroline’s Couture. Une ligne de couture « inédite, intemporelle, majestueuse », confie la créatrice. Et magnifiquement sublimée par les parures de bijoux de la Red Carpet Collection. Nous avons rencontré Caroline un samedi d’été dans sa maison écrin près de Genève. « Quand je rentre de voyage et que l’avion survole le lac de Genève, une émotion m’étreint à chaque fois. Je retrouve mon havre de paix et mes chiens. » Naturelle, sans maquillage, dans un ensemble pantalon léger, elle sortait de sa séance de Pilates. Nous remarquons ses petits pieds nus (taille 34) ravissants, symbole de féminité et de sensualité. Ici, dans sa maison, son âme, tout est art et volupté. Et unique, comme Caroline.
ELLE Suisse : Caroline, ce besoin de créer, c’est une seconde nature chez vous… d’où vient l’inspiration ?
Caroline Scheufele : Tout est inspiration ! Les conversations mais surtout la nature, les animaux, les lieux, les étoiles, les planètes, l’amour… tout devient source de création et coule dans mon imaginaire.
Quelle est votre plus belle satisfaction aujourd’hui ou votre plus intense bonheur ?
Des images furtives, comme les gouttes d’eau de pluie qui se répandent sur une feuille d’arbre (ce que les gens ne regardent pas), mes rêveries dans mon jardin. Mais aussi l’architecture et l’art. Tout me fascine, les inspirations orientales, marocaines ou asiatiques.
Avez-vous connu des épreuves dans votre vie?
Les actualités m’éprouvent. Le monde et ses cruautés.
Les actualités m’éprouvent. Le monde et ses cruautés.
L’enfance nous construit. Parlez-nous de la vôtre et des valeurs que vos parents vous ont transmises.
J’ai vécu une belle enfance, tournée vers les arts. Mes parents m’ont donné tant d’amour! L’amour, la plus précieuse des valeurs. J’étais passionnée de livres, de musique, mes goûts étaient très éclectiques. J’aimais déjà dessiner. J’ai le souvenir de mes petits séjours chez ma grand-mère qui me permettait quelques sucreries, interdites à la maison. Le goût de l’interdit a une saveur particulière.
Travailler, créer, imaginer, faire des projets, une quête que vous portez en vous…
C’est la nuit que tout se dessine dans mon esprit. Quand le ciel s’assombrit, à la tombée du jour, mon crayon s’agite au son de la musique. La musique fait vibrer ma
créativité.
Comment a germé dans votre esprit l’idée de créer votre collection Caroline’s Couture ?
C’est un de mes tailleurs qui m’a inspirée. Je l’ai porté lors d’une invitation à Venise. Il était ajusté à mes mesures et il m’allait parfaitement. Mais surtout il collait à ma personnalité, faisant de lui, mon complice. Il était si parfait, si en accord, en osmose avec moi que je ne m’imaginais pas sans lui, lors des évènements auxquels j’étais invitée. Si j’aspirais à me sentir bien, confortable, à l’aise, je pensais à mon tailleur fétiche. Je n’ai pas cessé de mélanger la veste avec d’autres pièces, comme un jean ou une robe sophistiquée. Ce tailleur savait merveilleusement mettre en avant le décolleté, le port de tête, sublimant les bijoux avec beaucoup de style. Le mariage était consommé et l’idée est née.
Réussir dans la vie, ce n’est pas forcément réussir sa vie. Sur le plan privé, vous portez le même regard enthousiaste.
Réussir sa vie personnelle et professionnelle est lié. Je pense avoir fait en sorte que les deux se rejoignent. Seul m’intéresse ce qui est devant moi… C’est très excitant de présenter mes bijoux aux quatre coins du monde. Chaque création est une nouvelle aventure, dessiner le croquis, créer la maquette à l’atelier jusqu’à la naissance du bijou. Terriblement inspirant. Ces pierres précieuses de millions d’années retirées des entrailles de la terre et qui sont ensuite portées sur la chaleur de la peau.
Quelle serait la plus grande folie de votre vie?
J’en ai fait des folies! Comme celle de redessiner la Palme d’or du Festival de Cannes. Mais d’autres aussi, comme celle d’un soir, il y a quelques années, lors d’un dîner à la maison avec mes parents. Alors que tout aurait dû être festif, les choses tournaient un peu au vinaigre. Pour faire diversion et éviter que cela ne dérape, j’ai été prise d’un petit coup de folie, j’ai lancé, en direction de mon amoureux: «Nous venons de nous fiancer!» Les félicitations ont fusé, nous avons débouché le champagne. Sauf que l’intéressé n’était pas du tout au courant. (Rires).
Réussir sa vie personnelle et professionnelle est lié. Je pense avoir fait en sorte que les deux se rejoignent. Seul m’intéresse ce qui est devant moi… C’est très excitant de présenter mes bijoux aux quatre coins du monde.

Et comment fêtez-vous vos victoires?
Je mets de la musique, je danse, je bois du champagne, j’invite des amis, je fais la folle. Je me challenge. Du genre, si je réussis à faire ceci ou cela, je me jette nue dans le lac.
Caroline, vous êtes aujourd’hui une femme accomplie en harmonie avec votre être profond?
Aujourd’hui, certainement davantage car j’ai appris à dire non. Je choisis ce qui est bien pour moi sans me laisser polluer par des relations envahissantes ou négatives.
Je m’enferme avec mes chiens. Je ne parle pas [de mes déceptions]. Je rechigne à embêter qui que ce soit avec mes chagrins. J’ai besoin d’être seule pour digérer.
En amour, en amitié, vous prônez l’exclusivité?
L’exclusivité est un facteur important. Dans notre métier, on recherche toujours l’unique, c’est une expérience plaisir. Et ce qui m’enrichit le plus, ce sont les contacts humains et mes relations privilégiées avec mes clients.
Comment vivez-vous vos chagrins, vos déceptions?
Je m’enferme avec mes chiens. Je n’en parle pas. Je rechigne à embêter qui que ce soit avec mes chagrins. J’ai besoin d’être seule pour digérer. Et je ne suis pas du genre pleurnichard. On partage avec une personne en disant de ne rien dire et, au final, tout le monde le sait.
J’en ai fait des folies ! Comme celle de redessiner la Palme d’or du Festival de Cannes.
Si on vous fait un coup tordu, comment réagissez-vous?
Je suis fâchée, je n’oublie jamais mais je pardonne aussi facilement.
Votre amour pour les chiens semble ancré depuis toujours…
Les chiens sont plus humains que les humains. Ils vous vouent un amour inconditionnel sans rien vous demander en retour. Et quelle fête ils font quand vous rentrez!
Votre king-charles, Lord Byron, vous accompagne lors de vos voyages à Cannes ou à Paris.
Byron est l’ambassadeur de la marque. Cette année, il a travaillé à Cannes. Il a son compte TikTok. Je rêve qu’il devienne plus célèbre que Choupette de Karl Lagerfeld. (Rires). Durant le festival, il est rare que je puisse le promener. Un jour, cependant, j’ai pu le faire. J’ai chaussé des lunettes noires, enfermé mes cheveux dans une casquette et quelle ne fut ma surprise que d’entendre les gens lui lancer sur son passage: «Bonjour Byron.» Jusqu’au moment, en fin de promenade, où un homme, plus perspicace, a dit: «Mais s’il y a Byron, au bout de la laisse, c’est certainement Caroline!» À cela, j’ai répondu d’une voix timide: «Non, moi… je suis juste la promeneuse.»
L’arrivée de votre labrador noir, Einstein, est aussi une belle histoire.
Un matin alors que j’arrivais au bureau, je vois mon staff s’activer autour de la recherche d’un chien labrador. «On vend des bijoux ou des chiens chez Chopard», ai-je ironisé? Une cliente importante cherchait un chien à offrir à des amis russes. Et avait donné mission à mon équipe de trouver le fameux labrador. Malheureusement, impossible. J’ai donc actionné quelques relations et nous avons déniché le chiot désiré. Sauf qu’en cherchant à joindre les amis de notre cliente, on a trouvé porte close. J’ai donc recueilli le petit labrador. Il ne m’a pas quittée. Quand je parlais de lui au téléphone, il me regardait avec des yeux si expressifs, me suppliant: «Garde-moi!» J’ai été impressionnée par son intelligence. Il comprenait. J’ai décidé de le garder et je l’ai appelé Einstein. J’ai perdu une cliente mais j’ai gagné tant d’amour.
Avec votre création de la Palme d’or du Festival de Cannes, vous allez marquer l’histoire. Durant le festival vous dormez très peu. Comment tenez-vous le coup?
Je me prépare comme s’il s’agissait d’une compétition sportive. Et comme je ne dors qu’environ quatre heures par nuit, je m’efforce de boire beaucoup d’eau. Et dès que j’ai une petite plage de liberté, je fais une micro-sieste de quelques minutes.
Est-ce qu’une actrice ou plusieurs ont rechigné à vous rendre vos bijoux?
Cela s’est produit avec Elizabeth Taylor que j’avais eu la chance de rencontrer en privé avec Elton John. Elle a toujours adoré les bijoux. Je lui avais prêté une parure en diamants roses et blancs en forme de cœur. Je devais récupérer les bijoux le soir même. Je m’en suis inquiétée et son attachée de presse m’annonce à deux heures du matin qu’Elizabeth Taylor voulait garder la parure pour la nuit. «Laissez-la dormir avec les bijoux, elle en est tombée amoureuse!» La villa de la star était surveillée par des bodyguards, cela m’a rassurée. Finalement, elle a accepté de me recevoir en fin de matinée le lendemain, en me priant de venir avec ma nouvelle collection. Je l’ai rejointe dans sa villa de Cannes. Elle était entourée de son coiffeur, son styliste, une armée à son service… J’ai déposé mes bijoux sur la table, elle a voulu me montrer les siens dont un très beau saphir offert par Richard Burton. Ses bijoux et les miens se mélangeaient… je transpirais. Son petit chien, du genre caniche, a grimpé sur la table, bousculant tout sur son passage. J’ai eu chaud. Et s’il avalait une de mes pierres précieuses ? L’actrice m’a acheté la parure. Je suis repartie avec ma collection, après trois heures d’une rencontre inoubliable avec la célèbre actrice. Par inadvertance, dans le désordre du moment, je suis partie avec deux-trois bijoux à elle que je me suis empressée de lui rapporter. La scène chez elle était psychédélique.
Vous avez laissé échapper que votre histoire incroyable de famille va faire l’objet d’une série Netflix…
Effectivement, on peut l’imaginer. Mais il est un peu tôt pour en parler si vous permettez.