Louise Knobil met toute son authenticité dans un premier album live

La contrebassiste lausannoise dévoile un opus enregistré lors d’un concert en avril au Cully Jazz Festival. Envoûtant de naturel et de virtuosité.

Son univers : un jazz pailleté qui vibre sur ses lignes de contrebasse et s’habille de punk et de chanson française. Une musique fraîche, accessible, déroulée comme un journal intime musical, où des titres aux intitulés intrigants, de Lessives à Lampadaires, explorent des thèmes aussi variés que le cycle des angoisses, les ruptures, la joie du coming out queer après s’être longtemps cherchée, le polyamour ou… la recette du pesto.

Louise Knobil, qui défend une musique ouverte à l’inattendu de l’instant, sort Knobilive in Cully Jazz. Un premier album qui, comme son nom l’indique, a été enregistré sans filet lors du concert donné au festival, le 4 avril dernier, devant 1200 personnes, avec ses « knodisciples » : Chloé Marsigny à la clarinette basse et Vincent Andreae à la batterie.

Après le succès de ses deux premiers EP, Or not Knobil (2023) en quartet et Knobisous (2024) en trio, et de sa tournée européenne, la musicienne, autrice et compositrice nous emporte à nouveau, dès les premiers accords, dans son univers si singulier. Depuis Paris, où elle séjourne actuellement, elle nous parle de ce premier opus dont elle signe l’intégralité des textes et des arrangements, ainsi que l’autoportrait surmonté de gousses d’ail qui illustre la pochette. Clin d’œil à son nom de famille qu’elle aime décliner à l’infini, comme une carte d’identité : si « Knobil » signifie littéralement « qui sent l’ail », il qualifie surtout, au sens figuré, une personne originale, extravagante, surprenante. Et là, c’est tout Louise.

ELLE : Pourquoi ce choix du live pour un premier album ?
Louise Knobil : Ce que je préfère au monde, ce sont les concerts et je voulais capturer l’essence de notre trio avec lequel on aura fait, de janvier 2024 à fin 2025, près de 120 dates. On a construit le son du projet Knobil ensemble. Et comme j’ai, en tant qu’artiste, toujours envie d’être la plus authentique possible, j’aime que mon premier album ne soit pas juste un EP plus long, mais un format plus brut, sans retouches. J’ai l’impression de ne pas me cacher derrière quelque chose, de vraiment me dévoiler avec le live. Aujourd’hui, on peut tout corriger en studio. Ça a du sens pour certains styles musicaux, mais pour moi, l’intérêt du jazz, c’est justement de laisser une place aux moments d’improvisation.

Présentez-nous « Knobilive », en quelques mots.
L’idée, c’était de prendre une « photo musicale » de la complicité de notre trio, pas de refaire ce qu’on avait déjà fait en studio. L’album mélange donc des titres de mes deux EP, réarrangés, triturés, parfois avec d’autres solos ou d’autres paroles. C’est aussi l’intérêt d’un live : défendre l’idée que la musique est vivante, qu’on peut constamment la réarranger. J’aurais trouvé dommage de passer directement à de nouvelles compositions alors qu’avec du matériel existant, on peut se réinventer sans jamais s’ennuyer.

Justement, le morceau « Coléoptères », que vous dédiez à votre oncle, est passé de l’anglais au français.
J’ai composé cette musique dans la douleur, après la disparition de son épouse en 2020, mais je n’avais alors pas les mots. Les paroles de départ, en anglais, étaient de mon père (le metteur en scène et acteur Benjamin Knobil, ndlr). Ce sont les seules paroles de mes EP que je n’avais pas écrites. En 2024, j’ai eu la force de réécrire le texte en français pour que le morceau m’appartienne complètement. Plus j’avance, plus exprimer mes émotions dans ma langue maternelle est important pour moi.

Votre oncle était présent lors de ce concert ?
Oui. Rien que d’en parler, j’ai des frissons ! On a un chouette lien, lui et moi. Coléoptères est une chanson liée au décès de ma tante, mais je l’ai surtout écrite pour mon oncle, pour ma famille, pour les vivants. Car j’ai aussi, au-delà de sa mort, été bouleversée par la tristesse ressentie par les personnes que j’aimais.

Dans « Pesto », vous chantez désormais « Rien à faire de mes amantes » et non plus « amants ».
Ça m’a pris du temps ! En concert, j’oscillais entre les deux, puis ça s’est cristallisé au féminin parce que c’était plus actuel pour moi et plus inclusif. Je suis très contente que ce soit enfin enregistré ainsi, avec en plus une deuxième mélodie où je raconte carrément la recette du pesto en détail.

« Lampadaires », qui clôt le concert, a aussi été brillamment repensé.
En live, j’aime faire durer la deuxième partie de ce morceau. Je répète « toutes les ruptures font mal » en boucle, seulement avec la batterie, comme une transe. Ça crée un vrai suspense. La dernière fois, je le hurle et le groupe rentre pour le grand final, très punk. En studio, sans l’énergie du public, on ne peut pas tenir ces longueurs.

Quels moments d’improvisation avez-vous particulièrement envie de signaler ?
Deux moments incroyables de Chloé Marsigny, notre clarinettiste. Son super solo sur Lessives. Et, au début de À moi, son intro sans contraintes : pas d’harmonie, pas de structure, elle construit quelque chose de très beau sur presque quatre minutes ! On est pendus à ses notes. Elle est vraiment partie dans les étoiles ce soir-là. Impossible de déceler qu’elle ne jouait même pas sur sa clarinette basse habituelle — la sienne venait d’être volée — et qu’elle sortait à peine d’un gros rhume !

Comment avez-vous construit la narration du set ?
La chanteuse de jazz Elina Duni m’a dit un jour : il faut un début très assumé et une fin très assumée. Je me demande donc toujours quelle est la première chose que je veux dire au public. Les premières paroles que je prononce sont « C’est l’histoire de ma vie ». Ça résume bien la suite, parce que, comme pour mes EP, mon album est un journal intime musical. Et je termine en criant « toutes les ruptures font mal » parce qu’après ça, je ne peux rien ajouter. Entre les deux, je fais des vagues, comme une ligne de volume : après un morceau fort, un médium, puis on remonte…

Jouer « chez vous », à Cully, a-t-il influencé la performance ?
Oui, positivement. J’étais très heureuse pendant ce concert. Pour moi, Cully, c’est énorme : je suis née à Lausanne, j’ai grandi avec ce festival. Quand j’ai eu l’opportunité de jouer sous le chapiteau, je me suis dit : il faut enregistrer l’album maintenant ! Les enjeux supplémentaires — concert enregistré et filmé, devant la famille, des amis, les gens de ma ville — au lieu de me stresser, m’ont donné encore plus d’entrain. À l’écoute, j’entends qu’on est un peu tendus au début, puis ça se détend dès le deuxième morceau. J’adore que ces subtilités soient capturées.

Vous avez aussi décidé d’inclure vos prises de parole entre les morceaux.
J’ai hésité, mais je trouve que ça aide. Mon but n’est pas de faire de la musique compliquée et « qui m’aime me suive », mais d’accompagner l’écoute de mes morceaux qui ne sont pas forcément faciles (rires). Un des plus beaux compliments qu’on me fait, c’est : « D’habitude, je n’aime pas trop le jazz, mais là c’était chouette. »

Comment vous êtes-vous préparés à cet enregistrement ?
Même si on a fait plus de 100 concerts ensemble, on a quand même fait deux jours de résidence pour pointer les insécurités, morceau par morceau. On s’était aussi donné un droit de veto, si l’un de nous n’assumait pas un morceau. Mais je ne me faisais pas trop de souci parce qu’on a tellement joué ensemble.

Qu’avez-vous appris avec ce premier album ?
L’émancipation. Un peu plus d’un an après avoir quitté l’HEMU (Haute école de musique de Lausanne, ndlr), j’ai compris que j’avais le droit de faire le jazz que je voulais, avec qui je voulais, comme je voulais. Me détacher du cadre scolaire, je trouve que ça va assez bien avec le jazz. Cet album a renforcé mon rapport à cette musique.

En 2024, vous étiez lauréate du Prix Leenaards, doté de 50 000 francs. Qu’a-t-il apporté à votre travail ?
Psychologiquement, ça m’a évidemment libérée : j’ai pu réfléchir à la suite de Knobil avec moins de contraintes financières. J’ai par exemple très envie de monter un sextet. D’ici là, je jouerai déjà en sextet le 1er novembre au festival JazzOnze+ à Lausanne, parce que je voulais offrir un truc un peu différent à ma ville où on m’a déjà vue 150 000 fois ! Grâce au prix, je peux aussi découvrir d’autres scènes : je suis actuellement en résidence à Paris, puis je serai à New York de décembre à janvier, avant de passer plusieurs mois à La Nouvelle-Orléans, le berceau du jazz. J’ai hâte d’être de nouveau dans un processus d’apprentissage.

Album : Knobilive in Cully Jazz (Unit Records), de Louise Knobil, feat. Chloé Marsigny et Vincent Andreae.
À découvrir aussi en vidéo sur YouTube.

Prochains concerts en Suisse romande :
01.11.25 : JazzOnze+ / Lausanne (release party). En sextet, avec notamment Louis Matute.
06.11.25 : Musée d’art et d’histoire / Genève

Tags : jazz · album · Musique · people · concert
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