La Mère Noël existe et il serait temps de lui dire merci
On la croit cantonnée au coin du feu, quand elle n’est pas carrément effacée des contes, pourtant la Mère Noël est toujours là. Elle a simplement changé de costume – et de prénom. Petite histoire d’une grande invisible, qui s’affaire chaque mois de décembre pendant que tout le monde regarde ailleurs.
Bouchez les oreilles des plus petits, nous allons vous faire une confidence. Le Père Noël est une femme. Ou plutôt, il l’a longtemps été. Et oui. Bien avant le vieil homme barbu, la Mère Noël déposait déjà des cadeaux, de cheminée en cheminée et de légende en légende. Mais comme bien souvent lorsque l’histoire a été racontée, transmise puis figée par des hommes, on a relégué la Mère Noël – et, avec elle, toutes celles qui portent la hotte. Les premières, hier. Les premières, encore aujourd’hui. Alors, à quelques heures du Réveillon, laissez-nous réparer cet oubli.
La Mère Noël a porté bien des noms et embrassé bien des histoires différentes. Ici, elle s’appelle Tante Arie ; là, Babouchka ; ailleurs, Befana ou Sainte-Catherine. De la Franche-Comté à la Russie, de l’Italie à l’Espagne, nombre de légendes regorgent de femmes qui, depuis des siècles, apportent chaque année des présents aux enfants. Avec, en creux, toujours le même récit. Celui d’une femme qui croise un jour la route des Rois mages. Ils lui proposent de venir avec eux porter des cadeaux au petit Jésus. Elle refuse. Puis se ravise – trop tard. Alors elle remplit sa hotte, part quand même, ne rattrape jamais les Rois mages, et se ravise sur les enfants qu’elle croise en chemin. Depuis, elle recommence. Chaque année.
Rôle secondaire
Quant au Père Noël, il est surtout une invention composite et relativement moderne : un Santa Claus façonné au 19e siècle, nourri d’anciennes figures comme Saint Nicolas sans s’y réduire tout à fait – puis, plus tard, rhabillé de velours rouge pour le grand public par la publicité. Qui de lui ou de la Mère Noël, est véritablement arrivé le premier ? Difficile à trancher. Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’aujourd’hui, on ne voit plus qu’un seul des deux.
Car lorsque la Mère Noël apparaît enfin dans la littérature, c’est pour endosser le rôle de figurante plutôt que celui de cheffe des lutins. En 1849, dans A Christmas Legend, le missionnaire chrétien américain James Rees évoque bien la femme du Père Noël, mais elle est davantage occupée à faire des cookies qu’à distribuer des jouets. Quelques décennies plus tard, l’écrivaine américaine Katharine Lee Bates tente bien de lui redonner un peu d’allure. Dans son poème publié en 1889, la Mère Noël refuse d’être cantonnée au foyer et revendique, elle aussi, le droit de descendre les cheminées. Hélas, l’histoire lui concède un sursaut d’émancipation… avant de refermer la parenthèse.
Et aujourd’hui, Noël n’a plus qu’un seul visage : celui d’un vieil homme à la barbe blanchie et au ventre rebondi. Pendant que Monsieur fait sa tournée, la Mère Noël, elle, est donc priée de l’attendre au coin du feu. À défaut, elle oscille désormais entre deux caricatures : celle d’une vieille femme ridée, ou celle d’une jeune femme hypersexualisée, en robe courte. Un costume, convenons-en, peu compatible avec la neige, les toits glissants et les descentes de cheminée.
Charge mentale et cotillons
Reste qu’en dehors des images, la Mère Noël n’a pas disparu. Elle est même là, très concrète, et particulièrement sollicitée. Nous sommes même prêtes à parier que vous la connaissez. Mais si, c’est cette mère, qui, dans la majorité des foyers, s’affaire, au four et au moulin, pour faire tenir – et durer – cette satanée magie. Les huîtres sont-elles bien commandées ? Mince, Jean-Louis est allergique aux fruits de mer. Il faudra penser à récupérer les bûches à la boulangerie. T’as pensé au cadeau de ta sœur ? Qui va chercher mamie à la gare ? Et qu’est-ce qu’on va encore devoir inventer pour les dernières bêtises des lutins farceurs – ce feuilleton sans fin, plus long que le mois de décembre lui-même.
Alors rappelons-le. La Mère Noël existe. Et elle mérite, elle aussi, son verre de lait frais, ses petits biscuits, et un peu de déconnexion. Et n’oubliez pas que le 24 au soir, si vous regardez bien dans votre cheminée, il se pourrait que ce ne soit pas un vieil homme en velours rouge qui passe – mais quelqu’un à qui il serait plus que temps de dire merci.
Autrice : Alison Terrien
Cet article a été adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur elle.fr. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.