Depuis 2016 et la création de sa société, terre de Monaco, devenue Terrae en 2021, la jurassienne aménage des potagers en milieu urbain. Les projets se multiplient en France, en Belgique et même en suisse.
Âgée de 33 ans, la Jurassienne a déjà connu plusieurs vies. Espoir du tennis suisse, elle avait d’abord tapé quelques balles avec Roger Federer au Centre national de Bienne. Élue Miss Jura en 2006, elle s’était ensuite inscrite à l’élection de Miss Suisse romande, terminant première dauphine. Mais le mannequinat n’a jamais été une fin en soi. Il y a douze ans, Jessica Sbaraglia s’installait à Monte-Carlo dans le but de se lancer dans le design. Elle ne savait pas alors que la Principauté lui offrirait une reconversion pour le moins inattendue qui prend sa source dans ses souvenirs d’enfance.
ELLE SUISSE. Comment est née cette idée, un peu farfelue, de faire pousser des tomates et du basilic sur les toits de Monte-Carlo?
JESSICA SBARAGLIA. J’avais posé mes valises dans la Principauté avec le projet d’y ouvrir un bureau de design. Mais, en 2015, avec mon associé, nous avons été obligés de fermer la société. Je me suis alors posé une foule de questions existentielles: quelle trace vais-je laisser sur cette planète? Quelles valeurs ai-je envie de défendre? Au fond de moi, j’avais toujours la nostalgie de mon enfance, dans le Jura, proche de la nature et de ce potager que mes parents prenaient tant de plaisir à entretenir, je me souvenais du goût si particulier des produits frais. Ce fut le déclic.
ELLE SUISSE. Et le Rocher vous semblait l’endroit idéal pour commencer ce voyage?
J.S. Il existe beaucoup de toits plats à Monte-Carlo. J’avais envie d’y faire revivre l’agriculture. Saviez-vous qu’il y a 150 ans, on y trouvait encore des moulins à huile d’olive, des arbres fruitiers et des fleurs que l’on cultivait alors pour les parfumeurs de Grasse?
ELLE SUISSE. Avant de vous lancer, vous vous êtes formée à la permaculture, vous avez réuni 27 000 euros grâce à une opération de crowdfunding, mais vous deviez surtout avoir l’assentiment du gouvernement…
J.S. Au début, je n’ai pas été prise au sérieux. Mais, quand ils ont vu que j’étais plutôt têtue, ils m’ont fait confiance. Le prince – que je connaissais un peu – a été le premier à me confier 30 m2 à la Fondation Prince Albert II pour y implanter un potager. Par ce geste, il a certainement donné envie aux autres de s’engager à mes côtés. Désormais, je suis ambassadrice du Pacte national de la transition énergétique, créé il y a trois ans, qui encourage particuliers et entreprises de la Principauté à modifier leurs habitudes au quotidien.
ELLE SUISSE. Vous venez de changer le nom de votre entreprise: Terre de Monaco est devenu Terrae en 2021. Pourquoi?
J.S. Tout simplement parce que j’ai des projets de fermes urbaines à l’extérieur de Monte-Carlo, dans des nouveaux quartiers en cours de réalisation. La première à voir le jour se situera à Nice au cœur d’un ensemble de sept immeubles. Il y aura du maraîchage, des ruches, une serre, des poules et même un espace de petite restauration. En 2023, j’aurai aussi 10 000 m2 de terrain à aménager dans un outlet en Belgique. Un autre projet doit encore voir le jour à Cap d’Agde.
ELLE SUISSE. Comment expliquer une telle demande?
J.S. L’idée fait gentiment son chemin dans l’esprit des gens. Et la crise sanitaire que l’on vient de traverser a certainement accentué cette prise de conscience. On assiste à une renaissance de la nature, on quitte la ville pour s’installer à la campagne, on veut savoir ce qu’on a dans l’assiette, on favorise les circuits courts et le commerce local… De plus, avec le réchauffement climatique, le futur des villes passera forcément par l’implémentation de ces îlots de fraîcheur sur les toits des immeubles.
ELLE SUISSE. Et la Suisse suit-elle le même chemin?
J.S. Elle n’est pas en retard. Ainsi, je suis toujours consultante pour l’École hôtelière de Lausanne: on a presque terminé d’y aménager un potager sur une parcelle de 3000 m2. Normalement, tout devrait être fini pour la fin de l’année. Ce sera une belle carte de visite et, désormais, je rêve d’offrir une antenne suisse à Terrae. Mais ça reste de la musique d’avenir…
ELLE SUISSE. Votre métier est difficile et il ne laisse que peu de place au farniente. Comment conservez-vous l’énergie nécessaire à la poursuite de vos objectifs?
J.S. Ce n’est pas simple, je n’ai pas tous les jours la pêche. Il m’arrive de pleurer le vendredi soir, tellement je suis fatiguée. Vous savez, je ne suis pas mécanisée, je pratique le maraîchage à l’ancienne et il y a souvent des escaliers dans mes potagers. Je dis d’ailleurs à mes trois employés que, grâce à moi, ils ont l’abonnement de fitness gratuit. (Sourire).Et puis, nous sommes totalement dépendants d’éléments que nous ne contrôlons pas: le temps, la température, la lune, les insectes… Mais tous ces «sacrifices», je les oublie dès que je récolte mes légumes. Parce que le miracle de la nature s’est encore produit. C’est magique!
ELLE SUISSE. Qu’est-ce qui vous reste de vos vies «antérieures»?
J.S. Le mannequinat, c’était clairement pour m’amuser. En revanche, le sport fait encore partie de mon ADN. À mes yeux, être entrepreneur s’apparente à être sportif d’élite. On apprend la gestion du stress et des émotions, on est à l’écoute de son corps pour ne pas se blesser… Je retrouve aussi le même côté pugnace que j’avais sur le court. Mais je ne regrette rien, car, aujourd’hui, j’ai l’impression d’avoir trouvé ma place. Ce métier est plus enrichissant pour moi, pour mon âme, et il est plus proche de ma vision de la vie.