Comment gérer le FOMO, cette peur des temps modernes

Avez-vous déjà eu l’impression que la vie se déroulait ailleurs, dans des lieux où tout semble plus excitant, pendant que vous, vous semblez figé dans une routine dénuée de saveur? Si tel est le cas, vous avez probablement fait l’expérience du FOMO.

Penser ne jamais être là où les choses se passent, là où la vie bat son plein, relève d’un phénomène bien précis et désormais omniprésent: le FOMO, « fear of missing out » en anglais, ou la peur de manquer quelque chose. Si ce syndrome touche particulièrement les digital addicts, il ne s’arrête pas aux jeunes générations. Cette angoisse puise ses racines dans une peur universelle et ancestrale: celle de ne pas exister pleinement, de ne pas être vu, reconnu, ou simplement présent à l’endroit même où il faudrait présument être.

C’est ce qu’a vécu Ilaria, 45 ans, architecte. « J’étais au dernier Salon du Design, il y avait tant d’événements que je ne savais plus où donner de la tête. Je suis allée à une conférence, mais je me sentais immédiatement tiraillée, en pensant à toutes les autres que je manquais. J’ai vu les publications Instagram de mes amis qui semblaient profiter pleinement de leur soirée, et moi, je courais d’un endroit à un autre avec cette frustration tenace, comme si je laissais filer des opportunités à travers les mailles d’un filet. » Ilaria a fait face au FOMO, ce syndrome d’anxiété qui s’infiltre subtilement dans nos vies modernes.

Ce sentiment va au-delà du simple regret de ne pas être présent: il touche à une peur plus profonde, celle d’être mis à l’écart, rejeté, de ne pas être vu. Le FOMO nourrit l’angoisse que les autres vivent des expériences plus intéressantes, qu’ils mènent une vie meilleure, plus riche, tandis que la nôtre semble fade en comparaison. Cette sensation s’intensifie à mesure que défilent les images parfaites et fragmentées sur les réseaux sociaux, où nous nous comparons aussi bien aux célébrités qu’à notre entourage immédiat. Le résultat? Un sentiment d’inadéquation, comme si nous étions des Cendrillons coincées à la maison, tandis que le bal des autres se déroule sans nous.

Surabondance de choix

Le phénomène n’est pas nouveau. Ses racines plongent dans les profondeurs de l’âme humaine, mais il a dernièrement pris une ampleur inédite à l’ère numérique, où l’être humain est constamment exposé à la vie des autres. Le terme FOMO a été popularisé en 2004 par l’entrepreneur et universitaire américain Patrick J. McGinnis, auteur de Fomo Sapiens. Impara a decidere senza farti travolgere da un mondo pieno di scelte possibili (2021). Le sous-titre de cet ouvrage en dit long (« Apprenez à décider sans vous laisser submerger par un monde plein de choix possibles »), car ce mal est intrinsèquement lié à l’éventail vertigineux des possibilités qui s’offrent à nous aujourd’hui. Cette surabondance de choix devient déconcertante, voire paralysante, lorsque nous perdons de vue ce que nous voulons réellement, nous détachant de nos émotions les plus authentiques pour nous aligner sur les attentes ou le regard des autres.

C’est pourquoi le FOMO touche particulièrement les jeunes générations. Selon une étude publiée dans le Journal of Behavioral Addictions, 63 % de la génération Z et 45 % des Millenniaux en souffriraient. Mais ce phénomène ne se limite pas aux plus jeunes: il concernerait également 20 % des adultes, qui en feraient l’expérience de manière chronique et parfois invalidante. Avouons-le: quel quadragénaire ne profite pas d’un moment d’attente dans un ascenseur pour vérifier ses notifications WhatsApp? Ou, à l’arrêt au feu rouge, ne jette pas un coup d’œil rapide aux stories Instagram? Ce faisant, nous découvrons inévitablement que, pendant que nous sommes pris dans la banalité du quotidien, les autres semblent profiter pleinement de la vie.

« C’est un sentiment de vide et de solitude qui touche à la peur de ne pas exister », explique Loredana Cirillo, psychologue et psychothérapeute au centre Minotauro de Milan.

Il ne s’agit pas de l’anxiété d’être insuffisamment performant, beau ou couronné de succès, mais bien de l’angoisse de ne pas exister du tout, de l’absence d’une base sûre permettant de rester en contact avec soi-même.

Loredana Cirillo, psychologue et psychothérapeute

Les jeunes sont naturellement plus impliqués, poursuit-elle, car ils sont en pleine construction identitaire et évoluent dans l’univers des réseaux sociaux. Mais ce sont les adultes qui devraient être les premiers à réguler leur usage. Paradoxalement, ce sont ces mêmes adultes qui, aujourd’hui, en renforcent la valeur: sur le plan professionnel, ne pas être présent sur Facebook ou LinkedIn revient à ne pas exister, à devenir invisible.

Et le succès, loin de protéger contre le FOMO, peut même l’exacerber. Victoria De Angelis, bassiste du groupe Måneskin, a ainsi révélé souffrir de ce syndrome, malgré sa notoriété. Perdre en « popularité », que ce soit sur la scène publique ou au sein de son cercle d’amis, revient à se sentir exclu du système, et en un mot, seul. Une solitude qui se mue en un vide cosmique insoutenable.

La pression de la figure adulte

Une angoisse ancestrale, selon les travaux de deux éminents spécialistes du sujet. Jon Elhai, cyberpsychologue à l’université de Toledo, estime que le FOMO est étroitement lié à des états affectifs négatifs subjectifs, tandis qu’Andrew Przybylski, psychologue à l’Oxford Internet Institute, avance que le FOMO découle de besoins relationnels insatisfaits, notamment celui d’appartenance à un groupe. À l’aube de la vie — que ce soit celle de l’humanité ou celle de chaque enfant qui naît —, appartenir à un groupe serait synonyme de survie, car permettrait de partager information, nourriture et protection.

« Il est physiologique et naturel pour un jeune de rechercher la reconnaissance de son environnement, et en retour, de se sentir exclu peut entraîner des sentiments normaux de solitude, d’abandon et d’inadéquation, explique Loredana Cirillo. Mais dans une société où l’on rejette l’idée même de vivre des émotions désagréables, et où le fait d’apparaître et d’avoir des followers devient une valeur omniprésente, l’angoisse liée à la solitude, surtout après un rejet, devient insupportable. Les jeunes d’aujourd’hui sont traversés par un profond sentiment de vide. Un vide ancestral et primitif, qui ne se comble jamais: c’est l’absence du droit d’exister, de pouvoir exprimer ce que l’on ressent vraiment. »
Loredana Cirillo insiste sur le fait que ce manque de légitimité à être soi-même est aggravé par une présence constante et envahissante des figures adultes — qu’il s’agisse des parents ou de la société — prêtes à saturer toute expérience subjective authentique par des paroles ou des objets, sans laisser place à des éléments essentiels de la vie affective tels que la proximité, l’écoute, et la présence.

« J’ai sommeil, mais si je ne vais pas à ce dîner, qu’est-ce que je vais manquer? » ou encore « Quel.le looser, je suis au lit en train de lire pendant que tout le monde s’éclate »: ce ne sont que quelques exemples des pensées des utilisatrices de Mama Chat (mamachat.org), la première plateforme d’aide psychologique en ligne dédiée aux femmes. Ce service s’attèle à sensibiliser les jeunes filles à ce trouble. « Le problème naît d’un besoin de connexion », explique Margherita Hassan, psychologue, psychothérapeute et collaboratrice de Mama Chat. « On se sent obligé de garder en permanence le contrôle sur ce qui se passe autour de nous. Nombreuses sont celles qui nous disent qu’elles essaient de laisser leur téléphone de côté pour étudier, mais avouent qu’une partie de leur esprit reste constamment accrochée à l’idée de savoir ce qui se passe sur ce téléphone. »

Le téléphone devient ainsi un outil magique, capable de calmer l’angoisse d’être exclu, en nous donnant l’impression d’être là où se passent les choses — mais jamais là où nous sommes réellement, ni avec les personnes qui nous entourent. Et même quand nous sommes seuls, cela nous empêche de découvrir que passer du temps avec soi-même n’est peut-être pas si désagréable.

Autrice: Claudia Valeriani
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur 
elle.com/it. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.

Tags : téléphone · syndrome

Avez-vous déjà eu l’impression que la vie se déroulait ailleurs, dans des lieux où tout semble plus excitant, pendant que vous, vous semblez figé dans une routine dénuée de saveur? Si tel est le cas, vous avez probablement fait l’expérience du FOMO.

Penser ne jamais être là où les choses se passent, là où la vie bat son plein, relève d’un phénomène bien précis et désormais omniprésent: le FOMO, « fear of missing out » en anglais, ou la peur de manquer quelque chose. Si ce syndrome touche particulièrement les digital addicts, il ne s’arrête pas aux jeunes générations. Cette angoisse puise ses racines dans une peur universelle et ancestrale: celle de ne pas exister pleinement, de ne pas être vu, reconnu, ou simplement présent à l’endroit même où il faudrait présument être.

C’est ce qu’a vécu Ilaria, 45 ans, architecte. « J’étais au dernier Salon du Design, il y avait tant d’événements que je ne savais plus où donner de la tête. Je suis allée à une conférence, mais je me sentais immédiatement tiraillée, en pensant à toutes les autres que je manquais. J’ai vu les publications Instagram de mes amis qui semblaient profiter pleinement de leur soirée, et moi, je courais d’un endroit à un autre avec cette frustration tenace, comme si je laissais filer des opportunités à travers les mailles d’un filet. » Ilaria a fait face au FOMO, ce syndrome d’anxiété qui s’infiltre subtilement dans nos vies modernes.

Ce sentiment va au-delà du simple regret de ne pas être présent: il touche à une peur plus profonde, celle d’être mis à l’écart, rejeté, de ne pas être vu. Le FOMO nourrit l’angoisse que les autres vivent des expériences plus intéressantes, qu’ils mènent une vie meilleure, plus riche, tandis que la nôtre semble fade en comparaison. Cette sensation s’intensifie à mesure que défilent les images parfaites et fragmentées sur les réseaux sociaux, où nous nous comparons aussi bien aux célébrités qu’à notre entourage immédiat. Le résultat? Un sentiment d’inadéquation, comme si nous étions des Cendrillons coincées à la maison, tandis que le bal des autres se déroule sans nous.

Surabondance de choix

Le phénomène n’est pas nouveau. Ses racines plongent dans les profondeurs de l’âme humaine, mais il a dernièrement pris une ampleur inédite à l’ère numérique, où l’être humain est constamment exposé à la vie des autres. Le terme FOMO a été popularisé en 2004 par l’entrepreneur et universitaire américain Patrick J. McGinnis, auteur de Fomo Sapiens. Impara a decidere senza farti travolgere da un mondo pieno di scelte possibili (2021). Le sous-titre de cet ouvrage en dit long (« Apprenez à décider sans vous laisser submerger par un monde plein de choix possibles »), car ce mal est intrinsèquement lié à l’éventail vertigineux des possibilités qui s’offrent à nous aujourd’hui. Cette surabondance de choix devient déconcertante, voire paralysante, lorsque nous perdons de vue ce que nous voulons réellement, nous détachant de nos émotions les plus authentiques pour nous aligner sur les attentes ou le regard des autres.

C’est pourquoi le FOMO touche particulièrement les jeunes générations. Selon une étude publiée dans le Journal of Behavioral Addictions, 63 % de la génération Z et 45 % des Millenniaux en souffriraient. Mais ce phénomène ne se limite pas aux plus jeunes: il concernerait également 20 % des adultes, qui en feraient l’expérience de manière chronique et parfois invalidante. Avouons-le: quel quadragénaire ne profite pas d’un moment d’attente dans un ascenseur pour vérifier ses notifications WhatsApp? Ou, à l’arrêt au feu rouge, ne jette pas un coup d’œil rapide aux stories Instagram? Ce faisant, nous découvrons inévitablement que, pendant que nous sommes pris dans la banalité du quotidien, les autres semblent profiter pleinement de la vie.

« C’est un sentiment de vide et de solitude qui touche à la peur de ne pas exister », explique Loredana Cirillo, psychologue et psychothérapeute au centre Minotauro de Milan.

Il ne s’agit pas de l’anxiété d’être insuffisamment performant, beau ou couronné de succès, mais bien de l’angoisse de ne pas exister du tout, de l’absence d’une base sûre permettant de rester en contact avec soi-même.

Loredana Cirillo, psychologue et psychothérapeute

Les jeunes sont naturellement plus impliqués, poursuit-elle, car ils sont en pleine construction identitaire et évoluent dans l’univers des réseaux sociaux. Mais ce sont les adultes qui devraient être les premiers à réguler leur usage. Paradoxalement, ce sont ces mêmes adultes qui, aujourd’hui, en renforcent la valeur: sur le plan professionnel, ne pas être présent sur Facebook ou LinkedIn revient à ne pas exister, à devenir invisible.

Et le succès, loin de protéger contre le FOMO, peut même l’exacerber. Victoria De Angelis, bassiste du groupe Måneskin, a ainsi révélé souffrir de ce syndrome, malgré sa notoriété. Perdre en « popularité », que ce soit sur la scène publique ou au sein de son cercle d’amis, revient à se sentir exclu du système, et en un mot, seul. Une solitude qui se mue en un vide cosmique insoutenable.

La pression de la figure adulte

Une angoisse ancestrale, selon les travaux de deux éminents spécialistes du sujet. Jon Elhai, cyberpsychologue à l’université de Toledo, estime que le FOMO est étroitement lié à des états affectifs négatifs subjectifs, tandis qu’Andrew Przybylski, psychologue à l’Oxford Internet Institute, avance que le FOMO découle de besoins relationnels insatisfaits, notamment celui d’appartenance à un groupe. À l’aube de la vie — que ce soit celle de l’humanité ou celle de chaque enfant qui naît —, appartenir à un groupe serait synonyme de survie, car permettrait de partager information, nourriture et protection.

« Il est physiologique et naturel pour un jeune de rechercher la reconnaissance de son environnement, et en retour, de se sentir exclu peut entraîner des sentiments normaux de solitude, d’abandon et d’inadéquation, explique Loredana Cirillo. Mais dans une société où l’on rejette l’idée même de vivre des émotions désagréables, et où le fait d’apparaître et d’avoir des followers devient une valeur omniprésente, l’angoisse liée à la solitude, surtout après un rejet, devient insupportable. Les jeunes d’aujourd’hui sont traversés par un profond sentiment de vide. Un vide ancestral et primitif, qui ne se comble jamais: c’est l’absence du droit d’exister, de pouvoir exprimer ce que l’on ressent vraiment. »
Loredana Cirillo insiste sur le fait que ce manque de légitimité à être soi-même est aggravé par une présence constante et envahissante des figures adultes — qu’il s’agisse des parents ou de la société — prêtes à saturer toute expérience subjective authentique par des paroles ou des objets, sans laisser place à des éléments essentiels de la vie affective tels que la proximité, l’écoute, et la présence.

« J’ai sommeil, mais si je ne vais pas à ce dîner, qu’est-ce que je vais manquer? » ou encore « Quel.le looser, je suis au lit en train de lire pendant que tout le monde s’éclate »: ce ne sont que quelques exemples des pensées des utilisatrices de Mama Chat (mamachat.org), la première plateforme d’aide psychologique en ligne dédiée aux femmes. Ce service s’attèle à sensibiliser les jeunes filles à ce trouble. « Le problème naît d’un besoin de connexion », explique Margherita Hassan, psychologue, psychothérapeute et collaboratrice de Mama Chat. « On se sent obligé de garder en permanence le contrôle sur ce qui se passe autour de nous. Nombreuses sont celles qui nous disent qu’elles essaient de laisser leur téléphone de côté pour étudier, mais avouent qu’une partie de leur esprit reste constamment accrochée à l’idée de savoir ce qui se passe sur ce téléphone. »

Le téléphone devient ainsi un outil magique, capable de calmer l’angoisse d’être exclu, en nous donnant l’impression d’être là où se passent les choses — mais jamais là où nous sommes réellement, ni avec les personnes qui nous entourent. Et même quand nous sommes seuls, cela nous empêche de découvrir que passer du temps avec soi-même n’est peut-être pas si désagréable.

Autrice: Claudia Valeriani
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur 
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