Le retour de Donald Trump est un problème pour la condition des femmes

La victoire du candidat républicain à l’élection présidentielle américaine est préoccupante à plus d’un titre. Edito.

« Où étiez-vous lorsque la machosphère de Donald Trump a gravé son empreinte dans les livres d’histoire? » C’est la question que nous poseront les générations à venir. Elles s’interrogeront non seulement sur le nombre supérieur d’hommes qui ont voté pour Trump par rapport aux femmes, mais sur l’ampleur abyssale de cet écart. Elles voudront savoir si ces électeurs masculins avaient conscience des propos que le 47e président des Etats-Unis avait tenus sur les femmes, des politiques qu’il avait promues pour éroder les avancées féministes. Et nous, que répondrons-nous? La victoire de Trump ne doit étonner personne. Débarrassé des chaînes de l’autorité présidentielle, il s’est façonné en agent du changement, celui que de nombreux Américains estiment être l’antidote à leurs maux actuels. Mais il serait malhonnête de nier que, en élisant Trump – et en écartant Kamala Harris, une femme – les États-Unis ont donné un élan inédit à l’archétype du mâle alpha toxique, propulsé dans l’imaginaire collectif (avec la force d’un vaisseau SpaceX).

En 2020, le président Joe Biden avait devancé Trump chez les électeurs masculins de moins de 45 ans ; cette fois-ci, ce dernier a surpassé la vice-présidente Kamala Harris dans ce même segment. Si Trump avait toujours bénéficié d’un soutien massif des hommes blancs lors des trois dernières élections, il a cette année marqué des avancées significatives chez les hommes latino-américains et noirs. D’après les sondages réalisés à la sortie des urnes par CNN, Trump a remporté 55 % des suffrages masculins latino-américains et 21 % des voix masculines noires. Dynamiser l’électorat masculin était au cœur même de la stratégie de campagne du candidat républicain. Une étude de 2021 a montré que l’un des indicateurs les plus fiables du soutien à Trump, au-delà des critères d’affiliation politique, de sexe, de race et de niveau d’éducation, était la croyance en une « masculinité hégémonique », soit l’idée selon laquelle les hommes devraient occuper des postes de pouvoir, être « forts mentalement, physiquement et émotionnellement » et rejeter tout ce qui est perçu comme féminin ou homosexuel.

L’aide de podcasteurs masculinistes

On raconte que Trump a commencé à collaborer avec des créateurs de contenu influents dans le domaine masculin sur les conseils de son fils Barron, alors âgé de 18 ans, qui lui avait recommandé certains podcasts et créateurs jugés pertinents. Dix jours avant le scrutin, Trump est apparu sur le podcast de Joe Rogan, où il a tenu une conversation de trois heures. L’émission, The Joe Rogan Experience, est le podcast le plus écouté au monde, avec une audience composée à 81 % d’hommes.

Cet échange a accumulé 46 millions de vues sur YouTube. Spotify avait auparavant discrètement retiré certains anciens épisodes de l’animateur après des propos polémiques, notamment lorsqu’il avait affirmé qu’Angelina Jolie avait probablement un « une ch*tte de fou » et décrit Lauren Sanchez, compagne de Jeff Bezos, comme une « femelle prédatrice alpha » à la « ch*tte probablement incroyable ». Rogan n’était pas le seul podcasteur masculin avec lequel Trump s’était associé: l’entretien de Trump avec Logan Paul a attiré près de sept millions de vues, tandis que l’épisode de Theo Von, où il échangeait avec Trump sur la sobriété, a été visionné 14 millions de fois. Ces créateurs partagent une audience majoritairement masculine.

L’influence d’Elon Musk

La campagne de Trump a également bénéficié du soutien de l’homme le plus riche du monde, Elon Musk, propriétaire de X (anciennement Twitter), qui a participé au podcast de Joe Rogan la veille des élections. Depuis sa prise de contrôle du réseau social en 2022, le célèbre magnat a levé l’interdiction qui frappait Trump et rétabli les comptes d’autres utilisateurs précédemment bannis. Des analyses ont révélé que 60 % des utilisateurs de X sont des hommes et que, dans la période précédant les élections, le contenu conservateur sur la plateforme bénéficiait d’une amplification plus importante que le contenu libéral.

En septembre 2024, le milliardaire, dont la fortune s’est accrue de 26,5 milliards de dollars (20 milliards de livres sterling) grâce à l’élection de Trump, a partagé un tweet de « Autism Capital » affirmant que « les femmes et les hommes à faible taux de testostérone » ne peuvent pas penser de manière autonome parce qu’ils « ne peuvent pas se défendre physiquement ». Selon ce même message, seules « les personnes alpha à forte teneur en testostérone » et les individus neuroatypiques peuvent penser librement, d’où l’idée qu’une République d’hommes de haut rang serait la meilleure pour la prise de décisions. Une démocratie, certes, mais limitée à ceux qui possèdent cette liberté de pensée. Parmi les comptes rétablis par Elon Musk figuraient ceux de théoriciens du complot comme Alex Jones, ainsi que des provocateurs aux propos racistes et sexistes tels que le Nick Fuentes. « Ton corps, c’est mon choix. Pour toujours », a écrit ce dernier le soir du mardi 5 novembre, une phrase qui s’est rapidement propagée sur les réseaux sociaux.

La vérité est que la masculinité est extrêmement fragile.

J.D. Vance, colistier de Donald Trump et nouveau vice-président, avait déjà suscité la controverse avec des déclarations remontant à 2021, lorsqu’il avait affirmé sur le plateau de l’éditorialiste Tucker Carlson que les principaux dirigeants démocrates étaient « une bande de femmes à chats sans enfants ». Ces propos ont fait sensation lorsqu’ils ont refait surface plus tôt cette année. En réponse, un porte-parole de Kamala Harris a dénoncé Vance et Trump, affirmant qu’ils n’étaient « pas favorables à la famille, mais anti-femmes », avant d’ajouter: « Les femmes sont attentives et utiliseront leur pouvoir aux urnes ». Mais ce qui s’avère d’autant plus préoccupant, c’est que cet électorat féminin n’a pas mobilisé sa puissance de manière significative. Bien que Harris ait bénéficié du soutien de 53 % des femmes contre 46 % pour Trump, cette marge s’est révélée inférieure à celle obtenue par Joe Biden. En effet, alors que ce dernier avait surpassé Trump de 15 points parmi les femmes en 2020 et qu’Hillary Clinton l’avait emporté de 13 points en 2016, Harris n’a devancé son adversaire que de 10 points, selon les chiffres de CNN.

Les tendances TikTok

Le retour progressif de Donald Trump s’est opéré dans un climat où l’essor des « femmes tradi » et la régression apparente de l’égalité des femmes suscitent de plus en plus d’inquiétudes. Selon l’un des créateurs de contenu les plus influents du mouvement, une « tradwife » (abréviation anglaise d’épouse « traditionnelle ») désigne une femme, généralement chrétienne conservatrice, qui privilégie un rôle traditionnel ou ultra-traditionnel dans le mariage, estimant que la place de la femme est avant tout au foyer. Cette résurgence a alimenté la popularité des « copines au foyer » sur TikTok, où le hashtag #LifeAsAStayAtHomeGirlfriend cumule près de 40 millions de publications. Parallèlement, #CleanTok, qui met en scène des créatrices consacrant leur quotidien au nettoyage méticuleux de leur maison, a réuni 4,8 millions de publications à la date de cet article. Le lien entre ce mouvement social-conservateur et le trumpisme apparaît tout aussi explicite.

Une récente étude a révélé que le principal public consommateur du contenu #tradwife était en réalité constitué d’hommes de droite. L’analyse de Media Matters, qui a codé et examiné 327 vidéos suggérées après des interactions avec ce type de contenu, indique que l’algorithme de TikTok enrichit rapidement la page « Pour Toi » de vidéos qui évoquent des théories du complot et des contenus alarmistes, représentant près d’un tiers des recommandations. L’étude note également que, suite à des interactions avec les vidéos de « tradwives », TikTok a proposé « 19 vidéos mettant en scène des figures médiatiques d’extrême droite », telles qu’Alex Jones et Nick Fuentes.

L’ultra masculinisme s’impose comme une force incontournable, influençant de plus en plus le contenu que nous consommons et la politique qui régit nos vies. La réalité est que le concept de masculinité demeure fragile, une fragilité qui se manifeste par une « violence » anti-féminine silencieuse, mais exprimée dans les urnes — un phénomène que les démocrates auraient dû anticiper. Sous la houlette de Donald Trump, le parti républicain s’est transformé en un véritable carnaval de masculinité toxique. L’évolution de ce carnaval, soutenue par un pouvoir quasi illimité — les républicains ayant conquis le Sénat et semblant prêts à s’emparer également de la Chambre des représentants —, ainsi qu’un mandat fort de l’électorat, est presque effrayante à envisager. Quant au projet de « redonner à l’Amérique sa grandeur? » Cela reste à prouver.

Autrice: Naomi May
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur elle.com/uk. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.

Tags : etats-unis · politique · femmes · hommes

La victoire du candidat républicain à l’élection présidentielle américaine est préoccupante à plus d’un titre. Edito.

« Où étiez-vous lorsque la machosphère de Donald Trump a gravé son empreinte dans les livres d’histoire? » C’est la question que nous poseront les générations à venir. Elles s’interrogeront non seulement sur le nombre supérieur d’hommes qui ont voté pour Trump par rapport aux femmes, mais sur l’ampleur abyssale de cet écart. Elles voudront savoir si ces électeurs masculins avaient conscience des propos que le 47e président des Etats-Unis avait tenus sur les femmes, des politiques qu’il avait promues pour éroder les avancées féministes. Et nous, que répondrons-nous? La victoire de Trump ne doit étonner personne. Débarrassé des chaînes de l’autorité présidentielle, il s’est façonné en agent du changement, celui que de nombreux Américains estiment être l’antidote à leurs maux actuels. Mais il serait malhonnête de nier que, en élisant Trump – et en écartant Kamala Harris, une femme – les États-Unis ont donné un élan inédit à l’archétype du mâle alpha toxique, propulsé dans l’imaginaire collectif (avec la force d’un vaisseau SpaceX).

En 2020, le président Joe Biden avait devancé Trump chez les électeurs masculins de moins de 45 ans ; cette fois-ci, ce dernier a surpassé la vice-présidente Kamala Harris dans ce même segment. Si Trump avait toujours bénéficié d’un soutien massif des hommes blancs lors des trois dernières élections, il a cette année marqué des avancées significatives chez les hommes latino-américains et noirs. D’après les sondages réalisés à la sortie des urnes par CNN, Trump a remporté 55 % des suffrages masculins latino-américains et 21 % des voix masculines noires. Dynamiser l’électorat masculin était au cœur même de la stratégie de campagne du candidat républicain. Une étude de 2021 a montré que l’un des indicateurs les plus fiables du soutien à Trump, au-delà des critères d’affiliation politique, de sexe, de race et de niveau d’éducation, était la croyance en une « masculinité hégémonique », soit l’idée selon laquelle les hommes devraient occuper des postes de pouvoir, être « forts mentalement, physiquement et émotionnellement » et rejeter tout ce qui est perçu comme féminin ou homosexuel.

L’aide de podcasteurs masculinistes

On raconte que Trump a commencé à collaborer avec des créateurs de contenu influents dans le domaine masculin sur les conseils de son fils Barron, alors âgé de 18 ans, qui lui avait recommandé certains podcasts et créateurs jugés pertinents. Dix jours avant le scrutin, Trump est apparu sur le podcast de Joe Rogan, où il a tenu une conversation de trois heures. L’émission, The Joe Rogan Experience, est le podcast le plus écouté au monde, avec une audience composée à 81 % d’hommes.

Cet échange a accumulé 46 millions de vues sur YouTube. Spotify avait auparavant discrètement retiré certains anciens épisodes de l’animateur après des propos polémiques, notamment lorsqu’il avait affirmé qu’Angelina Jolie avait probablement un « une ch*tte de fou » et décrit Lauren Sanchez, compagne de Jeff Bezos, comme une « femelle prédatrice alpha » à la « ch*tte probablement incroyable ». Rogan n’était pas le seul podcasteur masculin avec lequel Trump s’était associé: l’entretien de Trump avec Logan Paul a attiré près de sept millions de vues, tandis que l’épisode de Theo Von, où il échangeait avec Trump sur la sobriété, a été visionné 14 millions de fois. Ces créateurs partagent une audience majoritairement masculine.

L’influence d’Elon Musk

La campagne de Trump a également bénéficié du soutien de l’homme le plus riche du monde, Elon Musk, propriétaire de X (anciennement Twitter), qui a participé au podcast de Joe Rogan la veille des élections. Depuis sa prise de contrôle du réseau social en 2022, le célèbre magnat a levé l’interdiction qui frappait Trump et rétabli les comptes d’autres utilisateurs précédemment bannis. Des analyses ont révélé que 60 % des utilisateurs de X sont des hommes et que, dans la période précédant les élections, le contenu conservateur sur la plateforme bénéficiait d’une amplification plus importante que le contenu libéral.

En septembre 2024, le milliardaire, dont la fortune s’est accrue de 26,5 milliards de dollars (20 milliards de livres sterling) grâce à l’élection de Trump, a partagé un tweet de « Autism Capital » affirmant que « les femmes et les hommes à faible taux de testostérone » ne peuvent pas penser de manière autonome parce qu’ils « ne peuvent pas se défendre physiquement ». Selon ce même message, seules « les personnes alpha à forte teneur en testostérone » et les individus neuroatypiques peuvent penser librement, d’où l’idée qu’une République d’hommes de haut rang serait la meilleure pour la prise de décisions. Une démocratie, certes, mais limitée à ceux qui possèdent cette liberté de pensée. Parmi les comptes rétablis par Elon Musk figuraient ceux de théoriciens du complot comme Alex Jones, ainsi que des provocateurs aux propos racistes et sexistes tels que le Nick Fuentes. « Ton corps, c’est mon choix. Pour toujours », a écrit ce dernier le soir du mardi 5 novembre, une phrase qui s’est rapidement propagée sur les réseaux sociaux.

La vérité est que la masculinité est extrêmement fragile.

J.D. Vance, colistier de Donald Trump et nouveau vice-président, avait déjà suscité la controverse avec des déclarations remontant à 2021, lorsqu’il avait affirmé sur le plateau de l’éditorialiste Tucker Carlson que les principaux dirigeants démocrates étaient « une bande de femmes à chats sans enfants ». Ces propos ont fait sensation lorsqu’ils ont refait surface plus tôt cette année. En réponse, un porte-parole de Kamala Harris a dénoncé Vance et Trump, affirmant qu’ils n’étaient « pas favorables à la famille, mais anti-femmes », avant d’ajouter: « Les femmes sont attentives et utiliseront leur pouvoir aux urnes ». Mais ce qui s’avère d’autant plus préoccupant, c’est que cet électorat féminin n’a pas mobilisé sa puissance de manière significative. Bien que Harris ait bénéficié du soutien de 53 % des femmes contre 46 % pour Trump, cette marge s’est révélée inférieure à celle obtenue par Joe Biden. En effet, alors que ce dernier avait surpassé Trump de 15 points parmi les femmes en 2020 et qu’Hillary Clinton l’avait emporté de 13 points en 2016, Harris n’a devancé son adversaire que de 10 points, selon les chiffres de CNN.

Les tendances TikTok

Le retour progressif de Donald Trump s’est opéré dans un climat où l’essor des « femmes tradi » et la régression apparente de l’égalité des femmes suscitent de plus en plus d’inquiétudes. Selon l’un des créateurs de contenu les plus influents du mouvement, une « tradwife » (abréviation anglaise d’épouse « traditionnelle ») désigne une femme, généralement chrétienne conservatrice, qui privilégie un rôle traditionnel ou ultra-traditionnel dans le mariage, estimant que la place de la femme est avant tout au foyer. Cette résurgence a alimenté la popularité des « copines au foyer » sur TikTok, où le hashtag #LifeAsAStayAtHomeGirlfriend cumule près de 40 millions de publications. Parallèlement, #CleanTok, qui met en scène des créatrices consacrant leur quotidien au nettoyage méticuleux de leur maison, a réuni 4,8 millions de publications à la date de cet article. Le lien entre ce mouvement social-conservateur et le trumpisme apparaît tout aussi explicite.

Une récente étude a révélé que le principal public consommateur du contenu #tradwife était en réalité constitué d’hommes de droite. L’analyse de Media Matters, qui a codé et examiné 327 vidéos suggérées après des interactions avec ce type de contenu, indique que l’algorithme de TikTok enrichit rapidement la page « Pour Toi » de vidéos qui évoquent des théories du complot et des contenus alarmistes, représentant près d’un tiers des recommandations. L’étude note également que, suite à des interactions avec les vidéos de « tradwives », TikTok a proposé « 19 vidéos mettant en scène des figures médiatiques d’extrême droite », telles qu’Alex Jones et Nick Fuentes.

L’ultra masculinisme s’impose comme une force incontournable, influençant de plus en plus le contenu que nous consommons et la politique qui régit nos vies. La réalité est que le concept de masculinité demeure fragile, une fragilité qui se manifeste par une « violence » anti-féminine silencieuse, mais exprimée dans les urnes — un phénomène que les démocrates auraient dû anticiper. Sous la houlette de Donald Trump, le parti républicain s’est transformé en un véritable carnaval de masculinité toxique. L’évolution de ce carnaval, soutenue par un pouvoir quasi illimité — les républicains ayant conquis le Sénat et semblant prêts à s’emparer également de la Chambre des représentants —, ainsi qu’un mandat fort de l’électorat, est presque effrayante à envisager. Quant au projet de « redonner à l’Amérique sa grandeur? » Cela reste à prouver.

Autrice: Naomi May
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur elle.com/uk. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.

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