Amanda Knox reprend la main sur son récit dans une série intense
The Twisted Tale of Amanda Knox retrace la saga judiciaire qui a vu l’Américaine condamnée à 26 ans de prison pour le meurtre de sa colocataire en Italie avant d’être définitivement acquittée.

Encore Amanda Knox ? C’est ce qu’on pourrait se dire en découvrant la nouvelle mini-série de Disney+. Encore cette étudiante américaine qui, à 20 ans, en 2007 à Pérouse, avait été accusée, avec son petit ami Raffaele Sollecito, d’avoir pris part au viol et au meurtre de sa colocataire Meredith Kercher. Condamnés à 26 ans et 25 ans de prison, ils avaient été libérés en 2011, recondamnés en 2014 puis définitivement acquittés l’année suivante.

Encore, car l’affaire – suivie dans le monde entier – a déjà été racontée sous toutes les coutures : documentaire Netflix, mémoires d’Amanda Knox (J’aimerais qu’on m’entende en 2013, Free en mars 2025) et productions hollywoodiennes (Les Deux visages d’Amanda, L’Affaire Jessica Fuller, Stillwater). Son cas a même inspiré Justine Triet pour Anatomie d’une chute, Palme d’or en 2023.
Encore, aussi, parce que la famille de Meredith Kercher a déploré l’arrivée de cette série qu’elle estime être une nouvelle exploitation de leur tragédie.
Et pourtant, malgré la controverse et cette surexposition dont ne profitent presque jamais les autres victimes d’erreurs judiciaires, The Twisted Tale of Amanda Knox, créée par K. J. Steinberg, ex-scénariste de This Is Us, parvient à captiver.
Pourquoi? Parce que pour la première fois, Amanda Knox tient les commandes d’une fiction racontant sa vie et livre sa vérité. Elle a coproduit la série avec Monica Lewinsky, autre femme broyée par la presse, devenue son amie. Objectif: reprendre possession d’un récit trop souvent déformé, montrer ce qu’elle a vécu derrière les portes closes d’une situation kafkaïenne, se défaire de l’image négative dans laquelle elle reste emprisonnée près de deux décennies après les faits et rappeler qu’un autre, Rudy Guede (condamné à 16 ans de prison, libéré en 2021), a bien été reconnu coupable, tandis qu’elle et Sollecito, accusés de complicité, avaient été innocentés.
Mais la véritable force de cette série, c’est Grace Van Patten (Nine Perfect Strangers, Tell Me Lies) qui incarne Amanda avec un jeu désarmant de naturel et de sensibilité. Un rôle qui lui a beaucoup appris, explique l’actrice en conférence de presse : « Parler avec Amanda Knox et Monica Lewinsky m’a énormément inspirée. Elles ont été diabolisées très jeunes par la presse et pourtant, elles n’ont pas peur de continuer à être présentes médiatiquement. Elles ne se sont pas laissées détruire et je trouve leur force incroyable. »

Deux mois pour parler italien
Remplaçant au pied levé Margaret Qualley qui avait quitté le projet en 2024, Grace Van Patten n’a eu que deux mois pour se préparer, apprendre suffisamment d’italien pour rendre ce rôle bilingue crédible et se documenter sur l’affaire : «J’ai lu et regardé tout ce que je pouvais, mais surtout j’avais accès à Amanda, à la source. Entendre son histoire directement d’elle, c’était une bénédiction.» Ce qui l’a le plus frappée? «Les failles de l’enquête: la contamination des preuves et surtout l’absence de preuves contre elle.»
L’actrice de 28 ans n’avait jamais joué quelqu’un de réel et s’est mise beaucoup de pression pour qu’Amanda Knox, présente sur le plateau en fin de tournage, se reconnaisse dans son interprétation. «C’était beaucoup plus important pour moi de transmettre ce qu’elle a ressenti que d’essayer de l’imiter, ajoute-t-elle. J’avais vraiment à cœur de retranscrire ses émotions, car c’est précisément ça qui n’a jamais été médiatisé. Tout le monde sait ce qui s’est passé, mais personne ne sait vraiment comment elle, elle l’a vécu.»
Sa performance donne brillamment corps aux coulisses de l’affaire : à l’immaturité d’Amanda, à son désarroi durant les interrogatoires, au traumatisme de l’incarcération et du jugement, à sa difficulté à retourner à la vie normale. Mais, malgré le port de lentilles bleues, elle ne parvient pas à capturer le regard énigmatique d’Amanda Knox que les tabloïds avaient à l’époque baptisée l’Ange au regard de glace, prétextant carrément voir dans ses yeux une… preuve de sa culpabilité !
Un air d’Amélie Poulain
Le premier des huit épisodes (deux épisodes sont disponibles sur Disney+, puis un chaque mercredi) s’ouvre en 2022 : Amanda Knox, mariée et jeune maman, retourne incognito à Pérouse pour un entretien avec «son» procureur, Giuliano Mignini (Francesco Acquaroli), dans l’espoir de pouvoir enfin tourner la page. «Amanda n’en veut à personne, ce que je trouve magnifique, commente Grace Van Patten. J’ai tellement appris de sa capacité à rester pleine d’espoir et à pardonner. Je pense que c’est la raison pour laquelle elle a pu avancer: elle ne nourrit ni ressentiment ni rancœur. Elle accepte que chacun pensait faire son travail. Je ne peux pas imaginer avoir un tel état d’esprit dans une situation pareille.»
L’histoire effectue ensuite un bond de quinze ans en arrière et se colore de teintes nostalgiques, empruntant son esthétique au Fabuleux destin d’Amélie Poulain. «Ce film a été une énorme inspiration visuelle pour la série, souligne Grace Van Patten, parce qu’en 2007, c’était le film préféré d’Amanda et aussi son alibi: au moment du crime, elle était chez son ami à regarder ce film avec lui. Cette esthétique permet de montrer l’essence même d’Amanda, son individualité, sa façon de voir la vie, avec tout cet espoir, cette naïveté qu’elle avait.» Ce début désinvolte et sucré perturbe tant il détonne avec l’horreur du crime à venir. D’autant plus que la victime est presque effacée de la série.
Après le meurtre de l’étudiante le 1er novembre 2007, le monde rêvé d’Amanda, avec son prince charmant Raffaele (Giuseppe De Domenico), rencontré seulement cinq jours plus tôt, vole en éclats, la narration s’accélère, Pérouse s’assombrit. La série a beau se perdre par instants dans des flashbacks un peu caricaturaux retraçant l’enfance des personnages pour expliquer leur comportement, elle reste prenante grâce au soin apporté à documenter les procès, aux nombreux rebondissements méconnus, à l’évolution d’Amanda Knox, ainsi qu’à d’excellents seconds rôles: Giuseppe De Domenico, Francesco Acquaroli, ou encore, plus furtivement, Francesca Alice Antonini dans le rôle de Filomena Romanelli, la colocataire d’Amanda et de Meredith. Pour l’anecdote, on notera aussi que la véritable sœur cadette de Grace, Anna Van Patten, incarne à l’écran Deanna Knox, la sœur de l’accusée.

Lynchage médiatique
Validée par Amanda Knox, la série n’occulte toutefois pas certaines de ses propres erreurs ou maladresses, comme ce baiser échangé avec Raffaele devant la maison du crime, alors même que la police procédait à la levée du corps, un geste qui scellera leur réputation de «monstres insensibles». Plus rien, pas même l’arrestation de Rudy Guede, ne calmera dès lors la frénésie médiatique pour la jeune Américaine dont l’image en Une faisait vendre. Affublée du surnom péjoratif de «Foxy Knoxy», elle est dépeinte par la presse comme une prédatrice.
Sous pression, au cours d’interrogatoires interminables, sans avocat et souvent sans interprète, dans un italien dont elle ne saisissait alors que les grandes lignes, Amanda Knox finira aussi par accuser Patrick Lumumba (Souleymane Seye Ndiaye), le gérant du bar où elle travaillait comme serveuse, avant de se rétracter. Incarcéré durant deux longues semaines alors qu’il ne se trouvait même pas à Pérouse le soir du meurtre, il sera disculpé, puis attaquera son ex-employée en diffamation et obtiendra gain de cause. Il s’agit de la seule condamnation toujours en vigueur contre elle, confirmée une nouvelle fois en appel en 2024.

«L’histoire d’Amanda Knox est très polarisante, conclut Grace Van Patten. J’espère que la série permettra enfin aux gens de se faire un avis fondé sur ce qui s’est réellement passé, et non sur les gros titres d’autrefois.»