Si la tendance du neutre ne vous convient plus, – ou mieux, ne vous a jamais plu – n’ayez crainte : les défilés printemps-été 2025 prouvent que le grand retour du maximalisme reprend sa place sous les projecteurs. Susie Lau, une adepte de la mode, l’analyse chez ELLE.

À 17 ans, mes camarades de classe m’ont désignée comme « la personne la plus susceptible de devenir la prochaine Donna Karan » dans notre album de fin d’études. Un choix flatteur, bien que légèrement inexact quant à mon esthétique (sans offense à l’inimitable styliste américaine, bien sûr). En réalité, ce qu’ils exprimaient, c’était mon amour indéfectible pour la mode. Ou peut-être leur incompréhension face à mes tenues, disons, audacieuses : un chemisier victorien, deux jupes à volants vintage, des jambières rayées et une paire de baskets Buffalo, portés sans complexe en cours d’histoire.
Pour moi, « plus c’est mieux c’est ». Dès que j’ai eu carte blanche sur ma garde-robe, j’ai transformé chaque pièce unie en un tourbillon arc-en-ciel. Une jupe ? Trop simple : il en fallait trois, superposées. Associer bleu poudré, vert menthe et rose bonbon dans une seule tenue ? Évidemment. Équilibrer cinq imprimés à la fois ? Toujours un grand oui. Dès que j’ai pu acheter mes propres vêtements, j’ai systématiquement privilégié les pièces les plus ornées, les palettes les plus audacieuses et les textures les plus exubérantes. S’habiller dans l’excès est devenu mon refuge face aux épreuves, à la mélancolie et aux doutes. Alors, quand la mode s’est emballée autour du « Dopamine dressing » après la pandémie de Covid-19, ma garde-robe, déjà en pleine effervescence, était prête à en donner la leçon.
De Valentino à Louis Vuitton
Avec l’arrivée d’Alessandro Michele en avril 2024 à la direction artistique de Valentino, le maximalisme a repris sa place au premier plan. L’heure est à nouveau à l’exubérance, aux superpositions inspirées du vintage et aux clins d’œil à l’héritage flamboyant de la célèbre Maison romaine, entre gros nœuds, dentelles et pois délicieusement romantiques. L’extravagance des années 1980, telle que dépeinte dans Rivals, l’adaptation télévisée du roman culte de Jilly Cooper, sert d’inspiration à cette renaissance stylistique.
Nicolas Ghesquière quant à lui, toujours aussi fidèle à son goût pour l’expression maximale, a dernièrement repoussé les limites de Louis Vuitton avec un audacieux hybride pantacourt-robe. Chez Saint Laurent, Anthony Vaccarello s’est plongé dans les archives de la maison pour en extraire l’essence du glamour, explorant des soies et des satins aux teintes de joyaux éclatants. Pendant ce temps, Jonathan Anderson a capté l’attention avec ses robes à cerceaux spécialement pensées pour le printemps-été 2025 et inspirées du 19e siècle et ses plumes laquées irisées chez Loewe. Car c’est bien là la puissance du maximalisme : cette capacité à flouter les frontières entre l’extravagance des podiums et la vie quotidienne, au point de vous faire envisager – ne serait-ce qu’un instant – de faire vos courses chez Tesco dans l’un de ces ensembles spectaculaires.

Le maximalisme, plus qu’une simple tendance
Mais le maximalisme avait-il même réellement disparu ? La mode adore proclamer des tendances à grands renforts de titres emphatiques. J’ai soupiré en voyant fleurir les éloges du Quiet luxury, ce « luxe discret » supposément triomphant sous l’influence de la dernière saison de Succession. Pourtant, dès lors qu’il s’agit de citer des marques et d’empiler les couches de cachemire couleur flocon d’avoine, la discrétion devient toute relative.
Et que dire du Normcore, cette tendance née en 2013 – par une agence de tendances, rien de moins – et censée glorifier l’ordinaire ? Peut-être que la réalité est plus simple : certains sont attirés par des silhouettes épurées en cachemire neutre et des sweats à capuche minimalistes… et d’autres, tout simplement, ne le seront jamais.
À chaque proclamation d’une tendance pseudo-minimaliste ou d’un rejet de la mode ostentatoire, une réaction inverse surgit inévitablement : un attachement viscéral à tout ce que la mode a de plus riche à offrir – couleurs, imprimés, textures, tissus et silhouettes exubérantes. Après tout, ce sont ces éléments qui tissent la tapisserie vibrante de l’industrie. D’ailleurs, le maximalisme est une notion relative. Même dans l’univers de la prétendue minimaliste Phoebe Philo, des moments d’excès ont marqué les esprits – comme ses pantalons frangés aux découpes sculpturales, partis en un éclair chez Celine. Matthieu Blazy, qui a fait ses armes aux côtés de la célèbre styliste et qui est désormais à la tête des créations Chanel, a insufflé jusqu’à fin 2024 chez Bottega Veneta une approche instinctive du volume et des textures, célébrant l’artisanat avec une audace ludique. En clair, le maximalisme ne se limite pas à une esthétique ou à des labels. C’est une posture, une philosophie qui alimente la créativité et repousse sans cesse les frontières de l’expérimentation.

Résistence joyeuse
J’ai souvent plaisanté sur le fait que si je devenais acheteuse pour un grand magasin ou une boutique, je serais un véritable gouffre financier. Mon instinct me pousserait invariablement vers les pièces les plus théâtrales—celles qui défient toute logique commerciale, ces « pièces de show », comme on les appelle dans le milieu, conçues pour émerveiller plus que pour se vendre. Et pourtant, qui pourrait nier le besoin impérieux d’une mini-robe en crin rose panto signée Simone Rocha ? Heureusement, certaines personnalités ont su transformer cette vision en succès. Annie Doble, fondatrice d’Annie’s Ibiza, a bâti un empire autour du vêtement d’occasion flamboyant et des pièces vintage uniques. Dans ses boutiques d’Ibiza et de Londres, le maximalisme n’est pas une tendance, mais un mode de vie. « J’ai conçu une petite robe noire dans ma dernière collection, mais elle n’a pas trouvé preneur. Elle ne fonctionne tout simplement pas », confie-t-elle. « Mes best-sellers sont nos créations les plus extravagantes. »
Mes best-sellers sont nos pièces les plus extravagantes.
Pendant un temps, Instagram et son algorithme semblaient dicter une esthétique uniforme : une vague d’influenceurs drapés de nuances de beige, sirotant des lattes au matcha entre deux séances de sport millimétrées. Puis TikTok a bouleversé cette homogénéité, ouvrant la voie à l’irrévérence et à l’imperfection, et permettant ainsi aux style personnels de reprendre leurs droits. Parmi ceux qui incarnent ce renouveau, Eve-Lily Charlotte, autoproclamée « cat-lady maximaliste » basée à Manchester, a su fédérer une communauté sur ces réseaux sociaux grâce à son audace stylistique. Son approche décomplexée élargit le spectre souvent rigide de l’influence mode. « Je me suis toujours sentie comme une paria, et certains de mes messages préférés viennent de personnes qui pensaient ne pas pouvoir s’habiller comme elles le souhaitaient à cause de cette esthétique dominante. Elles me disent que voir mon look leur donne la confiance nécessaire pour sortir de leur coquille. », confie-t-elle.
Le maximalisme ne se limite pas aux envolées spectaculaires des podiums ou aux excentricités des tapis rouges. Ce qui peut sembler être un retour à l’opulence vestimentaire se traduit en réalité par des gestes plus subtils, des choix vestimentaires assumés, dictés avant tout par le plaisir individuel. C’est là toute la puissance du maximalisme : dans un monde marqué par l’instabilité économique, les tensions géopolitiques et une incertitude omniprésente, il incarne une forme de résistance joyeuse. Une paire de chaussures ornée de perles, une jupe en tulle à pois délicieusement vaporeuse ou l’audace de marier le rose, le rouge et l’orange en un seul look ont ce pouvoir indéniable de raviver l’humeur. Même si ce n’est que pour un instant, c’est un instant qui en vaut la peine.
Autrice: la rédaction de ELLE
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur elle.com/uk. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.