Vendredi, une vingtaine de collections du département mode de la HEAD ont révélé à Genève le travail de couturiers en herbe à la créativité décomplexée. Entre expérimentations textiles et récits personnels, un dialogue majestueux a illuminé l’événement. Retour sur la 17e édition de l’un des défilés les plus suivis de Suisse.

Lumières tamisées et voiles dansants haut perchés se déploient en douceur au cœur du « Cube », ce vendredi 15 novembre. Dans le public, plus de 2000 regards se croisent. Ils oscillent entre curiosité et fascination face à une scénographie mystique digne des grands défilés de Fashion Week. Cette dernière est pensée par les étudiant.e.s du Master Espace et Communication de la HEAD (Haute école d’art et de design de Genève).

La musique s’enclenche alors ; c’est le départ d’un tout nouveau défilé annuel à travers lequel l’école de renom propose, comme à son habitude, un théâtre où la mode cesse d’être une simple discipline pour devenir un show passionnant. Si l’audace a formé le fil rouge de cette soirée, les 26 collections de diplômes Bachelor et Master, elles, se sont chacune succédées dans leur propre dimension intime: tantôt confession, tantôt poème, parfois cri viscéral, en tout temps impressionnantes de talent.

Jeremiah, la classe sans frontières

A commencer par Jeremy Currat, dont le savoir-faire lui a permis d’obtenir un rôle d’envergure: ouvrir le bal du défilé de la HEAD en tant qu’ancien étudiant. Une première. Avec Teenage Business (2024), le fondateur de la jeune marque Jeremiah a donné le ton: celui d’une génération qui se refuse aux cases et s’affirme dans l’entre-deux. Prolongement de sa collection avec La Redoute, son vestiaire a, ici, encore mieux redéfini les codes de l’élégance entre cols doublés, ballerines portées par la gente masculine et cravates/foulards. Dans le même temps, les matières répondaient à des coupes chirurgicales, dessinant une adolescence en équilibre entre apathie et revendication. C’est l’histoire en somme d’un créateur, tout droit sorti de Genève et son ouverture au monde, qui délivre à chaque collection, un art convainquant toujours mieux les passionné.e.s de la classe intemporelle.

La fluidité récompensée

Parmi les collections les plus marquantes de la soirée, celle d’Hippolyte Laporte a également été célébrée. Behind the curtain (2024) a incarné une vision encore plus viscérale de la fluidité des genres. Et magistralement. Les tulles éthérés ont côtoyé des détails presque provocants, tandis que des pièces fragmentées ont, elles, évoqué un prisme baroque teinté d’influences à la Alessandro Michele. A travers sa maîtrise des volumes et des textures, le jeune designer a traduit le brouillage des frontières en fête. Lequel s’est ainsi vu récompensé par le Prix Image et Direction Artistique du Bal des Créateurs. Concept Store qui a par ailleurs accordé une mention spéciale inattendue au masterisé Xavier Weber pour sa collection Wercors (2024). Ce jeune couturier a sublimé la laine et redonné vie à la grisaille hivernale en proposant un point de vue avant-gardiste du streetwear masculin.

L’intangible qui émeut

D’autres distinctions ont marqué le défilé. Ils ont récompensé l’émotion au travers de l’intangible: comme celui du Prix Bachelor Bongénie 2024 remis à Thibaut Barraud. Le couturier français a offert un moment d’une rare intensité avec sa collection Vivre avec… (2024). On y retiendra tout particulièrement la tenue noire, architecturale, laquelle a transcendé la fonctionnalité du vêtement pour devenir une allégorie des souvenirs brisés. Chaque élan de la tenue semblant évoquer tant un fardeau émotionnel qu’une tentative de libération. De même qu’Alan Clerc qui, primé pour [InProcess] (2024), a exploré la beauté de la création en devenir. Une veste blanche aux coutures apparentes, a à ce titre incarné l’instant fragile d’une idée qui prend forme. Il n’en fallait pas plus pour percuter dans l’œil du jury qui a remis au Genevois le prix de La Redoute et donc – comme son prédécesseur Jeremy Currat – la promesse d’une collection capsule à quatre mains avec la marque française.

Les détails qui tuent

Marie Boutin a tout autant reçu de mérites. Avec Superlike (2024), la designer a interrogé les dynamiques de désir dans les relations de séduction soumis aux « likes » des réseaux sociaux. Une collection toute de rouge vêtue, mêlant explosion de détails, transparences, latex et layerings – des tendances éprises par le public privilégié de l’ère numérique, la génération Z. Au cœur de cette proposition, le « MB corset » a alors rendu ses lettres de noblesse à une féminité ultra-connotée imposée par le patriarcat pour en faire une force réappropriée. Une œuvre puissante sur la réinterprétation du corps féminin qui a en toute logique valu à la masterisée le Prix Master ASWE (Association des femmes suisses et de l’autonomisation) 2024. La Fondation Vahabzadeh, nouvellement venue parmi les organismes à distinguer les étudiants, a, quant à elle, déclaré sa flamme aux créations de Loris Narduzzi. Sa collection Andiamo a funghi (2024), ode à la 3D, a particulièrement excellé dans sa maîtrise de l’accessoire, replaçant cet élément au centre du design mode.

Sous le regard avisé d’un jury international, la HEAD a une fois de plus affirmé son rôle de tremplin pour les talents de demain. Parmi les personnalités à avoir rendu leurs votes figuraient Serge Carreira (Fédération de la Haute Couture et de la Mode), Baron Osuna (LVMH), ou encore Lele Scherrer (Balenciaga), garants d’une exigence qui a élevé le travail de cette jeunesse à un niveau professionnel dès leurs premières collections. Mais au-delà des trophées et des distinctions, le défilé 2024 de cette école de renom a montré que la mode, quand elle est pensée comme une expression intime, dépasse les podiums. Chaque silhouette portait en elle un fragment de rêve ne pouvant être offert que par l’œil candide d’un jeune designer à la découverte de ses propres capacités. Et à chaque édition, le niveau monte d’un cran.

Vivement l’année prochaine.

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