Jusqu’à dimanche, cette mobilisation internationale investit à nouveau les quatre coins de l’Helvétie avec l’ambition de révolutionner le secteur de la mode. Mais quels sont les véritables enjeux de cette transformation dans le pays ? Quelle est la responsabilité des consommateurs suisses ? Et surtout, est-il possible d’investir dans une mode plus ambitieuse sans se ruiner ? Les réponses de Jamil Mohkhtar, coordinateur de l’événement depuis Zurich.

Alors qu’en mars dernier, la Fashion Week parisienne clôturait les tendances internationales qui domineront l’hivernale saison des fashionistas, une autre semaine de la mode, bien plus discrète mais toute aussi déterminée, a récemment pris son envol. Depuis le 21 avril et ce jusqu’au 27 avril, la Fashion Revolution Week déferle sur la planète avec un objectif : transformer l’une des industries les plus polluantes au monde en un secteur résolument réparateur. Fondée en 2013 par Carry Somers et Orsola de Castro, cette mobilisation invite citoyens, créateurs, ONG, étudiants et marques à repenser à l’échelle mondiale tout un système. Et depuis son arrivée en Suisse, en 2016, la mobilisation ne cesse de prendre de l’ampleur.
Des ateliers au plus près de la population suisse
« Même si nous sommes un petit pays, notre consommation de la mode est immense », affirme Jamil Mohkhtar, coordinateur de l’antenne helvétique de la Fashion Revolution. Avec son parcours d’économiste agricole, il incarne cette génération de faiseurs qui ne conçoit plus la mode sans conscience. Car si le pays figure régulièrement en tête des classements internationaux en matière de durabilité, seuls 6 % des vêtements achetés par la population sont issus de filières durables, selon les données de Fashion Revolution. Pour notre interlocuteur, cette contradiction résulte de plusieurs facteurs : « Le pouvoir d’achat élevé, la disponibilité permanente de vêtements bon marché, et surtout les régulations législatives qui permettent encore trop souvent à la fast fashion de prospérer ».
Pour 2025, le thème Penser global, agir local résonne ainsi comme une urgence particulière au cœur de la Fashion Révolution Week. En Suisse, où la tradition textile s’effrite sous la pression de l’outsourcing, les initiatives locales semblent ainsi devenir des bastions de résistance. De la Suisse romande, au côté alémanique jusque dans la partie tessinoise du pays, la mobilisation investit toute sorte de lieux publics (musées, foires, manifestations). Le but, explique Jamil Mohkhtar, étant d’engager le dialogue avec le grand public, de manière inclusive et pédagogique, notamment autour des conséquences d’une telle consommation.

Même si nous sommes un petit pays, notre consommation de la mode est immense.
Conséquences écologiques et humaines néfastes
Ce n’est aujourd’hui plus un secret. Parmi les matériaux qui posent le plus de problèmes, le polyester règne en maître. Léger, peu coûteux à produire et omniprésent dans le sportswear et la fast fashion, il continue de séduire malgré son impact écologique, face auquel les consommateurs semble encore manquer d’information, souligne Jamil Mohkhtar. Or, selon Le Journal du Textile, chaque lavage de ce matériau libère des microparticules plastiques qui se retrouvent dans les océans, exacerbant la pollution marine. Et les conséquences ne s’arrêtent pas là.

Selon Planet Care, le polyester présente également des risques pour la santé humaine. Lorsqu’il est porté, il peut libérer des microplastiques pouvant pénétrer dans la peau, provoquant allergies, infections cutanées et perturbations du système endocrinien. Face à ces dangers, Jamil Mohkhtar insiste sur l’importance de l’éducation des consommateurs. « Il faut comprendre d’où viennent nos vêtements », lance-t-il, en reprenant le mantra de la Fashion Revolution : « Who made my clothes? ». Interroger les marques sur la transparence de leurs chaînes d’approvisionnement devient alors « crucial ». Et de rappeler qu’une simple étiquette peut en dire long sur les pratiques d’une marque. « Autrement, il y a toujours cette astuce ultime : prendre soin de ses vêtements préférés en les entretenant, en les raccommodant, ou en les recyclant. Ces gestes peuvent paraître anodin dans notre petit pays, mais ont un impact mondial. »
La mode durable, une affaire de riche ?
Si la Suisse peut compter sur ces actions croissantes, le pays bénéficie également de la mise en lumière de plus en plus de créateurs natifs. Kevin Germanier en est l’incarnation la plus percutante. Le designer valaisan, aujourd’hui basé à Paris depuis qu’il est passé maître dans l’art de sublimer les paillettes responsables, brille à l’internationale. Pour le coordinateur suisse de la Fashion Revolution Week, son rôle est essentiel : « Le côté cool compte énormément. Germanier prouve que la mode durable n’est pas forcément fade. Son succès est un moteur d’inspiration pour de nombreux autres créateurs en Suisse et au-delà ».
Germanier prouve que la mode durable n’est pas forcément fade. Son succès est un moteur d’inspiration pour de nombreux autres créateurs en Suisse et au-delà.
Mais à force de tutoyer les hautes sphères de la mode, ne risque-t-on pas de confiner encore plus la mode durable à un carcan élitiste ? Sachant qu’acheter local, choisir des marques éthiques ou chiner dans des friperies de qualité peut déjà parfois se révéler hautement coûteux et pousser des consommateurs, qui bien que conscients des enjeux écologiques, se rabattent – faute de moyens – sur la fast fashion. Un constat que Jamil Mohkhtar reconnaît tout en insistant sur le fait que le but de la Fashion Revolution Week n’est pas de pointer du doigt les consommateurs. Il répond toutefois à ce questionnement par ce qu’il estime être de la logique : « Mieux vaut acheter un seul vêtement de qualité à 90 francs que cinq jupes à 19 francs qui s’usent rapidement » et d’interroger à son tour : « Et, au final, avons-nous vraiment besoin de suivre chaque micro-tendance ? Ou pouvons-nous nous réapproprier notre style avec moins, mais mieux ? »
Dans ce contexte, les géants de la fast-fashion, à l’image de Shein, ont récemment commencé à subir une pression croissante de la part de l’Union européenne, laquelle a imposé dès 2024 des contrôles renforcés. « Il était temps », souffle Jamil Mohkhtar. « Le modèle de ces entreprises repose sur le polyester, la violation des droits d’auteur, et une exploitation humaine systémique. Mais le véritable tournant pourrait surgir avec l’introduction de taxes d’importation sur les produits en provenance de la Chine. » Un changement nécessaire, qui n’est, selon lui , pas qu’une question de régulation économique. Il s’agit également d’un changement de mentalité : « Ce que vous portez compte. Soyez audacieux, amusez-vous avec la mode, mais n’oubliez jamais de vous renseigner sur l’origine de vos vêtements. Chaque choix, même le plus petit, peut participer à un avenir plus responsable ».
La Fashion Revolution Week a lieu jusqu’à dimanche 27 avril en Suisse Romande, en Suisse alémanique ainsi qu’en Suisse italienne. De nombreux projets, ateliers et manifestations sont proposés. Voici la liste des événements restants.