« A Big Bold Beautiful Journey » : la grande et belle aventure promise n’a pas lieu
Réunis pour la première fois à l’écran, Margot Robbie et Colin Farrell embarquent pour un road movie mêlant des éléments fantastiques à une esthétique somptueuse, mais où l’alchimie et la surprise restent sur le bas-côté de la route.

David (Colin Farrell) doit se rendre au mariage d’un ami et choisit d’effectuer le long trajet en voiture. Son véhicule étant sur le point d’être emmené à la fourrière, il se rabat sur une agence qui ne propose que deux vieilles Saturn SL noires à la location. L’endroit est lugubre et les personnes qui l’accueillent (Phoebe Waller-Bridge et Kevin Kline) inspirent plus de méfiance que de confiance. Pendant que le protagoniste du film A Big Bold Beautiful Journey, du réalisateur américain d’origine sud-coréenne Kogonada, s’interroge sur l’étrange endroit où il a atterri, on se demande surtout comment un acteur tel que Kevin Kline a accepté un rôle si insignifiant et Phoebe Waller-Bridge un rôle aussi agaçant, adoptant un accent allemand insupportablement caricatural et noyant chacune de ses tirades, déclamées avec un immense sourire, sous une avalanche de « fuck ». Heureusement, après avoir accepté les conditions abracadabrantes de l’agence, y compris la location forcée d’un mystérieux GPS, David quitte vite les lieux.

Rencontre sous la pluie
Au mariage, il repère Sarah (Margot Robbie) lors d’une des plus belles scènes du film, sous une averse, dans un ballet de parapluies qui n’est pas sans rappeler l’ouverture des Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy, dont Kogonada semble d’ailleurs avoir tiré une part de son inspiration pour sa palette très colorée.
Sarah et David se retrouvent ensuite pendant la soirée et se livrent à un dialogue à la répartie si parfaite qu’il paraît totalement déconnecté de la réalité. Et c’est bien le gros bémol du film : un script pas toujours au niveau et une retenue apparemment imposée aux deux acteurs, qui affichent une impassibilité déroutante pour une comédie romantique. Résultat : malgré ces deux pointures du cinéma, aucune alchimie ne se dégage entre Sarah et David et on peine à croire à leur histoire. Et ce, avant même que le fantastique ne fasse son apparition.
Le road trip des souvenirs
Après s’être confiés l’un à l’autre sur leurs difficultés à s’engager dans une relation sérieuse, ils repartent chacun de leur côté, avant de se recroiser dans le même restaurant d’une célèbre chaîne de fast-food. Sarah avait en effet loué la seconde Saturn SL pour se rendre au mariage et leurs GPS les ont tous deux menés à cette adresse.
Ils prennent de nouveau congé. En voiture, le GPS (voix de Jodie Turner-Smith) demande à David s’il est prêt à vivre « a big bold beautiful journey » (un grand, audacieux et beau voyage). Il accepte (sans se poser trop de questions). L’appareil le renvoie alors au fast-food et lui demande d’emmener Sarah, dont la voiture est — évidemment — en panne. De là, la voix les guide vers une prairie, où se dresse une porte rouge. Ils la franchissent (sans se poser trop de questions non plus) et se retrouvent sur un phare, souvenir d’un voyage que David avait fait seul autrefois.

Exploration des blessures
Tout au long de leur road trip, ils sont invités à ouvrir ainsi des portes de leur passé, en dévoilant à l’autre des expériences et des blessures qui ont fait d’eux ce qu’ils sont aujourd’hui : des personnes incapables de laisser entrer l’amour dans leur vie. On pense parfois aux retours en arrière de Eternal Sunshine of the Spotless Mind (2004), mais sans en retrouver la géniale magie ; ou à l’ouverture de la porte qui lance la grande aventure de Suzume (2022), mais sans la puissance de son épopée.
Le film de Kogonada (qui avait déjà réuni Colin Farrell et Jodie Turner-Smith dans After Yang en 2021) se distingue pourtant aussi par le grand soin et la poésie portés à l’image, souvent sublimée par la pluie. Mais l’ensemble, desservi par un scénario qu’il ne signe pour la première fois pas lui-même, ressemble au final à un enchaînement de splendides séquences au contenu très irrégulier.

Un concept original, mais inégal
Si l’originalité du concept aurait pu faire décoller ce feel-good movie, il n’en a trop souvent même plus la force tant certains souvenirs que les deux personnages revivent sont fades. Si souffrir de sa solitude en vacances ou avoir vécu un amour non réciproque à l’adolescence suffisait à lancer un tel périple, il y aurait foule sur leurs routes. Dès la deuxième porte, on sent monter l’ennui et l’envie de trouver rapidement l’issue de secours. Mais le GPS n’en donnera pas les coordonnées avant 1h49 de voyage.
Heureusement, quelques escales ouvrent ensuite de rares parenthèses d’émotion, lorsque les « aventuriers » se retrouvent seuls face à leurs parents — notamment David face à Hamish Linklater, qui incarne son père et livre une prestation bouleversante, malheureusement trop courte. Étonnamment, c’est dans ces scènes, lorsqu’ils ne sont pas ensemble, que Margot Robbie et Colin Farrell brillent. On se laisse aussi emporter par le talent pétillant de ce dernier lorsqu’il rejoue la comédie musicale de son lycée, dont il tenait le premier rôle à 15 ans.

Dommage qu’un film d’une telle beauté et au casting si prometteur ne parvienne pas à nous embarquer dans la grande aventure survendue dans son titre, faute d’exploiter davantage ses moments forts. Ils ne font alors qu’éclairer faiblement une route dont la destination finale se devine, de plus, dès le départ.
A Big Bold Beautiful Journey, 1h49, de Kogonada, avec Colin Farrell, Margot Robbie, Phoebe Waller-Bridge, Kevin Kline, Hamish Linklater et Lily Rabe.