« Moi qui t’aimais » : un biopic qui n’aime pas la ressemblance
Marina Foïs et Roschdy Zem incarnent, sans jamais leur ressembler, Simone Signoret et Yves Montand dans un film retraçant les dernières années du couple légendaire. Étrange.

« On ne quitte pas Simone Signoret », lance Yves Montand (Roschdy Zem) au sujet de sa femme, incarnée par Marina Foïs, dans Moi qui t’aimais, film consacré au couple mythique du cinéma français, sorti mercredi 1er octobre en Suisse romande. Mais face à l’écran, on a surtout envie de crier : « On n’imite pas non plus Simone Signoret ! »
Simone Signoret, l’actrice au jeu magnétique et d’une immense finesse, disparue à 64 ans le 30 septembre 1985. Une figure féminine forte de la France de l’après-guerre à l’ère Mitterrand, une intellectuelle engagée, passée par le communisme avant de s’en distancer. Simone Signoret encore, qui avait gardé jusqu’au bout la splendeur hypnotisante de son regard félin, son aura lumineuse, malgré les rides creusées avant l’heure par une tristesse souvent noyée dans l’alcool, nourrie des drames d’une vie : la mort d’un premier enfant dans sa jeunesse, deux fausses couches avec Yves Montand, les nombreuses infidélités de ce dernier, la disparition brutale d’un petit frère adoré, la cruauté d’un show-business qui met très vite au chômage les femmes qui prennent de l’âge.
Marina Foïs a beau s’emparer du rôle avec tout son talent, elle ne parvient jamais à nous faire oublier que l’on n’est pas face à celle qui, en 1960, devint la deuxième Française à décrocher l’Oscar de la meilleure actrice (25 ans après Claudette Colbert et 48 ans avant Marion Cotillard). Sa composition, solide, serait en revanche irréprochable si elle jouait une autre femme, dans une histoire qui ne prétendrait pas raconter l’union, jusqu’à ce que la mort les sépare, des interprètes de Casque d’or (1952) et du Milliardaire (1960).

Pour une raison évidente : Marina Foïs ne ressemble pas à Simone Signoret, et Roschdy Zem pas davantage à Yves Montand. Presque rien n’est tenté pour les rapprocher physiquement de leurs modèles. Et pour cause : l’œuvre veut parler d’eux plutôt que de les imiter. Une mise en abyme, en début de film, montrant les deux acteurs se glisser dans la peau de leurs personnages, l’annonce clairement.
Casting improbable
Mais n’est-ce pas précisément dans la similitude physique de l’interprète et du modèle que se construisent déjà les premières émotions d’un biopic ? Se réjouir de découvrir comment Rami Malek allait devenir Freddie Mercury, comment Jérémie Renier redonnerait vie à Claude François ou comment Julia Garner jouera bientôt de sa ressemblance avec Madonna pour retracer son parcours fait déjà partie du plaisir, avant même de découvrir le résultat.
La réalisatrice Diane Kurys — pourtant aguerrie au biopic, avec Les Enfants du siècle (1999) et Sagan (2008) — surprend donc avec ce choix, qui nous laisse parfois empreints de la même gêne qu’on éprouverait face à ces statues de cire d’artistes aux traits méconnaissables et pour lesquelles on peine à imaginer que personne, à aucun moment de la création, n’ait suggéré de corriger le tir.
On perd donc une bonne partie du film à se demander comment on en est arrivé là. Et c’est dommage, car on risque de manquer l’essentiel : la plongée proposée dans l’intimité de ce couple, les dessous d’une relation passionnelle, complexe et toxique, les émotions de la complicité et de l’amour tissés dans les décennies de vie commune.

La réalisatrice de Diabolo Menthe (1977) a en effet choisi de mettre en lumière le crépuscule du couple Signoret-Montand, tous deux nés en 1921. Le récit s’ouvre en 1973 et se referme avec la disparition de l’actrice. Lui s’éteindra en 1991. Un choix pertinent, qui évite l’écueil des biopics fleuves survolant une vie entière. Car Signoret et Montand, c’est une histoire née dans l’éclat d’un coup de foudre en 1949. Un tourbillon d’amour qui emportera tous les écueils, toutes les infidélités du chanteur, y compris sa liaison ultramédiatisée avec Marilyn Monroe, qui brisera Signoret, mais pas leur mariage. « Quand tu vis avec quelqu’un depuis aussi longtemps, tu ne sais plus si c’est ta femme, ta meilleure amie, ta pire ennemie… Tu sais juste que tu ne peux pas vivre sans elle », explique Yves Montand dans le film.

Benjamin Castaldi en colère
Une controverse s’est aussi invitée au projet : l’animateur Benjamin Castaldi, petit-fils de Simone Signoret et d’Yves Montand (sa mère, Catherine Allégret, née du premier mariage de Signoret, ayant été adoptée par Montand), a descendu le film en flèche dans une tribune publiée en juin dans Paris Match. « Moi qui t’aimais réécrit l’histoire en s’autorisant tous les raccourcis émotionnels d’un féminisme devenu dogmatique, écrit-il notamment. À l’ombre du mouvement #MeToo – que je respecte profondément dans ce qu’il a permis de révéler – le film s’autorise un glissement insidieux : faire de Simone une éternelle victime silencieuse, et de Montand un prédateur mondain, lisse et fuyant, quasi manipulateur. (…) Mon grand-père n’était pas un salaud. (…) Il n’a jamais été ce “mâle toxique” taillé pour plaire à une époque qui réécrit tout à travers le prisme de la faute masculine. »
Ce film ne montre rien de ce qui faisait de [Simonde Signoret] une actrice hors pair, une intellectuelle libre, une femme de combat.
Et de poursuivre au sujet de sa grand-mère : « Simone est dépeinte comme une femme éteinte, mélancolique, recluse dans son salon d’Auteuil. Mais où est passée sa puissance ? Sa voix rauque et lucide ? Son humour ravageur ? Son intelligence politique ? Ce film ne montre rien de ce qui faisait d’elle une actrice hors pair, une intellectuelle libre, une femme de combat. Il n’en reste qu’une silhouette douce, docile, usée par l’homme et trahie par la vie. »
La réalisatrice insultée
Dans Le Point, Diane Kurys précise avoir montré son film en amont à Carole Amiel, dernière compagne d’Yves Montand et mère de leur fils Valentin, et répond aux attaques de Benjamin Castaldi : « Il a dû s’aider de ChatGPT pour rédiger cela. Il n’a pas utilisé les bons arguments pour me dézinguer. On ne va pas nous accuser d’avoir fait le très beau portrait d’un salaud. » Pourtant, son film (tout comme la tribune de Benjamin Castaldi) n’aborde pas les accusations d’abus portées par Catherine Allégret contre Montand dans son livre Un monde à l’envers, paru en 2004.
On ne va pas nous accuser d’avoir fait le très beau portrait d’un salaud.
La passe d’armes s’est encore aggravée fin septembre, lorsque Benjamin Castaldi a traité la réalisatrice d’« idiote » dans une story Instagram.
Une filmographie essentielle
Quarante ans après la disparition de Simone Signoret, Moi qui t’aimais aurait pu être un hommage puissant. Pourtant, on en ressort avec le sentiment de ne pas être réellement allés à sa rencontre. On en ressort aussi, c’est l’avantage, avec une furieuse envie de (re)voir La Vie devant soi, Casque d’or, Les Diaboliques, Les Chemins de la haute ville, L’Armée des ombres, Le Chat, Les Sorcières de Salem ou La Veuve Couderc (la liste est encore longue). L’envie aussi de laisser la parole à Simone Signoret elle-même à travers ses interviews, ses autobiographies La Nostalgie n’est plus ce qu’elle était (1976) et Le lendemain, elle était souriante (1979), ou son roman Adieu Volodia (1985). C’est ainsi, finalement, que nous qui l’aimons aujourd’hui pourrons la célébrer au mieux.
