Pourquoi privilégier l’argent dans une relation amoureuse mène toujours à l’échec

Le dernier film de Celine Song, Materialists, suscite la polémique avec sa prétendue « propagande du mec fauché » — mais choisir l’amour plutôt que la richesse est‑il vraiment une idée si radicale ?

Avant même d’envisager une relation, le revenu d’un homme peut souvent entrer en ligne de compte. Il n’est en effet pas rare que des femmes se tournent vers leurs ami.e.s pour se plaindre d’avoir dû partager l’addition ou régler l’intégralité d’un rendez-vous. Car depuis quelque temps déjà, ne pas contribuer aux dépenses lors des rencontres ou dans une relation semble, lorsque l’on est une femme, de nouveau aller de soi.

Et cette logique imprègne désormais nos représentations. En regardant Materialists (2025) de Celine Song, avec Dakota Johnson, Pedro Pascal et Chris Evans, on peut se demander si l’on ne s’est pas inconsciemment habitué au dernier fléau du dating moderne : les relations transactionnelles.

Dans Materialists, la question centrale est simple : passion ou prospérité ? Lucy (Dakota Johnson) est une entremetteuse professionnelle qui a fait carrière en mettant en relation des individus fortunés, parfaitement conscients de ce qu’ils recherchent. Son approche de l’amour reflète son modèle professionnel : calculée, transactionnelle, et profondément ancrée dans la conviction que sécurité et statut sont les objectifs ultimes. Elle ne recherche pas l’étincelle — elle recherche la stabilité. Elle cherche un homme riche et accompli, capable d’offrir la vie qu’elle souhaite. Harry (Pedro Pascal), riche, intelligent et séduisant, entre en scène et, comme Lucy le lui rappelle sans cesse, représente une « licorne » rare dans la jungle des rencontres.

Mais alors que tout semble parfaitement s’aligner pour le couple, Lucy croise son ex, John (Chris Evans), qui en est le parfait opposé. Acteur en difficulté, travaillant comme serveur occasionnel pour des traiteurs, John a été quitté par Lucy cinq ans plus tôt à cause de problèmes financiers. Il apparaît alors clairement que John ressent encore la frustration de ne pas avoir pu offrir à Lucy la vie qu’elle désirait.

Le film tend un miroir au dating moderne, où richesse et statut sont souvent considérés comme les qualités les plus importantes. Pourtant, à la fin, Lucy doit se confronter à l’idée que l’amour n’est pas quelque chose que l’on peut acheter ou offrir.

C’est précisément pour cette raison que Materialists, ainsi que Celine Song elle-même, ont été critiqués pour ce que certains spectateurs et critiques qualifient de « propagande du mec fauché ». Il s’agirait d’une tendance récente dans les médias à romancer des hommes émotionnellement disponibles mais financièrement instables, souvent au détriment de l’ambition, des standards ou de la sécurité matérielle des femmes.

Bien sûr, choisir Harry présente de nombreux avantages pour Lucy. Il offre un somptueux penthouse à Manhattan, une pluie de cadeaux et des dîners dans des restaurants cinq étoiles. Ses raisons de rester avec lui sont le reflet évident de ce que les réseaux sociaux incitent aujourd’hui les femmes à rechercher.

L’hypergamie 2.0

Instagram et TikTok regorgent de contenus encourageant à sortir avec des hommes fortunés, sous des formats multiples. Un simple coup d’œil suffit pour tomber sur les trad wives, qui idéalisent l’abandon du travail salarié au profit de la cuisine, du ménage et de la garde d’enfants à plein temps, ou sur les soft-life girls, qui misent sur les hommes pour financer un style de vie extravagant.

Des « coachs en féminité » et autres gourous du dating, à l’image de la youtubeuse SheraSeven (plus connue sous le nom de Sprinkle Sprinkle Woman), prodiguent leurs conseils pour y parvenir. La recette : activer son « énergie féminine » ou devenir une « femme de grande valeur » afin d’obtenir un « traitement de princesse ». La récompense ? Un homme de plus d’1m80, aux revenus confortables dans la finance (idéalement avec un trust fund), censé tomber tout droit dans vos bras.

« Si l’on sort avec quelqu’un uniquement pour son argent, il vaudrait peut-être mieux ne pas sortir du tout avec lui », affirme la journaliste et autrice Olivia Petter. « Les relations durables se construisent sur la confiance, la compatibilité émotionnelle et l’attirance physique. L’argent peut être séduisant à court terme, mais il ne donnera jamais ce dont on a réellement besoin sur le long terme. »

Céder à la dernière tendance lifestyle peut arriver à tout le monde, mais renoncer totalement à ses convictions sur les rôles de genre dans une relation et s’engager dans l’hypergamie (le fait de rechercher un partenaire d’un statut socio-économique ou social plus élevé) ne se fait pas du jour au lendemain.

Derrière le vernis du confort, les rapports de force

Sur les réseaux, les femmes qui adoptent ce type de relation sont rapidement condamnées, taxées de « michtonneuse » ou jugées rétrogrades. Pourtant, même à une époque où les femmes n’ont jamais été aussi indépendantes des hommes, pour beaucoup, atteindre une véritable sécurité financière par leurs propres moyens reste hors de portée.

La crise du coût de la vie frappe particulièrement les femmes. En Suisse, le taux de pauvreté est légèrement plus élevé chez les femmes que chez les hommes, selon le dernier rapport de la Confédération. Des organismes de crédit comme Salad Money ou Great Western Credit Union rapportent que 60 % de leur clientèle est féminine — et lorsque l’on prend en compte les mères, en particulier celles qui élèvent seules leurs enfants, les écarts se creusent encore. Comme le souligne Olivia Petter, « nous sommes nombreuses à nous trouver dans des situations financières précaires où l’argent est devenu une préoccupation plus pressante que jamais ».

Il apparaît donc compréhensible qu’une femme cherche une certaine sécurité financière à travers une relation. Mais les créateurs de contenus qui promeuvent ces dynamiques passent souvent sous silence la réalité de ces couples où l’homme gagne significativement plus — et les déséquilibres de pouvoir que le fait de « sortir pour l’argent » peut engendrer.

Nombreuses sont celles qui peuvent témoigner de la manière dont l’écart financier devient un outil de contrôle dans une relation. Au fil du temps, une forme d’incitation monétaire peut s’installer : un comportement jugé « bon », autrement dit « féminin », est parfois récompensé par des cadeaux ou des virements imprévus, tandis qu’un écart par rapport aux valeurs du partenaire entraîne un retrait d’affection et, inévitablement, de soutien financier.

Se reconnecter à ses propres valeurs

Une telle dynamique amène à s’interroger : quels gestes et comportements correspondent réellement à ses propres valeurs et convictions, et lesquels sont dictés par le besoin inconscient de s’adapter à une relation inégalitaire ? Dans bien des cas, cela conduit à se retenir, à s’exprimer moins librement ou à éviter la confrontation.

Corinne Low, autrice de Femonomics, aborde ce point dans son ouvrage. Elle encourage les femmes à privilégier leurs propres désirs plutôt que de se conformer à ceux imposés par la société. « L’une des erreurs que nous commettons est de rester trop longtemps avec certaines personnes », écrit-elle.

Généralement, la relation prend fin au moment où la peur de ne pas retrouver un partenaire aussi stable financièrement a été surmontée. « Ce n’est pas parce qu’une personne nous attire qu’elle n’est pas stable économiquement, et inversement », explique Corinne Low. « Une façon d’apaiser la tension entre intimité émotionnelle et stabilité financière consiste à élargir notre définition de la stabilité : si un partenaire soutient votre carrière et s’investit dans la vie domestique, les femmes peuvent très bien prendre en charge leur propre sécurité financière. »

Si la solution ne réside ni dans la soumission à des dynamiques de couple rétrogrades, ni dans l’adhésion à une soi-disant « propagande du mec fauché », alors vers quoi une femme célibataire peut-elle se tourner ? Un juste milieu doit bien exister, sans pour autant nier l’importance de la connexion humaine ou des préoccupations financières bien réelles.

Il n’existe sans doute pas de solution universelle, mais les experts s’accordent à dire qu’augmenter ses chances de rencontrer la bonne personne commence par une réflexion sur ce que l’on désire vraiment — et non sur ce qu’une application ou les réseaux sociaux dictent comme idéal.

Olive Uniacke, fondatrice de Olive’s List, la nouvelle soirée la plus sélective de Londres réservée aux célibataires, estime que trouver des espaces choisis, favorisant des liens réels et sans filtre, constitue un excellent point de départ.

« Dans la vraie vie, on n’a pas un choix infini. On est dans une pièce, quelqu’un attire notre attention, et soit on agit, soit on n’agit pas. » C’est cette présence qui manque dans un monde dominé par les applications de rencontres. La curation, dans ce contexte, n’a rien à voir avec le contrôle ou l’établissement de cases à cocher liées au statut ou à la richesse, mais plutôt avec la création d’un environnement où la présence et la connexion sont au premier plan.

Privilégier la présence et la connexion réelle

Pour Corinne Low, mettre en lumière ce que l’on valorise vraiment est essentiel pour se « désinfluencer » : « Suivre des scripts préconçus qui nous sont imposés peut souvent entrer en conflit avec notre bonheur, car cela nous pousse à courir après des choses que d’autres désirent, au lieu de celles qui nous rendent réellement heureuses. »

« Dans mon livre, j’encourage à faire différents exercices — comme créer un vision board amoureux — afin de se reconnecter à ce que l’on veut et à ce dont on a besoin dans la vie, plutôt qu’à ce que l’on nous dit de vouloir », explique-t-elle. « Le matérialisme est l’un de ces éléments qui peuvent nous égarer profondément — vers l’endettement, vers de mauvaises relations. Il faut se rappeler que l’argent n’achète qu’une partie de ce dont nous avons besoin pour être heureux, et que tout le reste se trouve dans le temps, les relations, les liens que nous cultivons. »

Avec Materialists, Celine Song remet en question l’idée que l’amour puisse s’acheter, et invite à repenser les relations au-delà des incitations matérielles. Comme elle le résume elle-même : « Tout le film parle de la lutte contre la manière dont le capitalisme tente de coloniser nos cœurs et de coloniser l’amour. » La véritable connexion, suggère-t-elle, n’est pas une marchandise — contrairement à ce que laissent croire les réseaux sociaux ou les applications — mais repose sur la compatibilité émotionnelle, la confiance et des valeurs partagées. Naviguer dans l’univers des rencontres modernes exige de l’intention, pas des calculs financiers.

Autrice : Panashe Nyadundu
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur elle.com/uk. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.

Tags : amour · couple · relations · argent
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