Le paradoxe de Boss : déranger sans dérailler
Jeudi, à la Fashion Week de Milan, la célèbre Maison allemande a questionné la rencontre entre l’ordre et le désordre. La réponse s’est déployée sur un podium aux allures de sable humide, avec des silhouettes drapées de volumes oversize et sublimées par du cuir d’anguille.

Dès l’arrivée sur le lieu du défilé, ce jeudi 25 septembre, le ton est donné : l’ensemble des spectateurs est vêtu de noir, gris, beige, ou encore… noir. Notre sac vert citron n’avait clairement pas reçu d’invitation. En ce troisième jour de la Fashion Week de Milan, nous nous retrouvons dans l’écrin industriel de la Fonderia Macchia pour assister au défilé printemps-été 2026 de Boss.

Dans la salle, les femmes rivalisent d’allure en tailleurs puissants, talons, cravates et lunettes oversize. Un instant, la scène évoque un déjà-vu de la collection Saint Laurent de l’an dernier, en version plus ajustée. Quoi qu’il en soit, l’effet est saisissant : confiance et pouvoir irradient de chaque silhouette. Exactement ce que promet Boss à ses adeptes : présence, allure et contrôle.
Chaos calculé et prudente continuité
Alors que le public attend l’arrivée de David Beckham, le show débute en retard. Soudain, le papier aluminium recouvrant le podium se soulève en vagues argentées. Sans musique, les premiers mannequins défilent sur une piste révélée, semblable à du sable humide. Un contraste presque violent avec les looks impeccablement affûtés du public. Cette collection, marquée par le relâché et la disruption, assume le thème du défilé : « Boss Paradox », l’interaction entre ordre et désordre.

Cravates nouées de travers, cols de blazer tordus : la maison allemande, réputée pour sa rigueur en matière de tailoring, introduit une dose de chaos dans ses coupes et son stylisme. Les pièces, quasi toutes oversize et drapées, brouillent les codes du genre. Boss prouve une nouvelle fois sa maîtrise des proportions, marquant la taille et allongeant les silhouettes par des pantalons, jupes et robes fluides jusqu’au sol.


Alors que d’autres labels ressuscitent le slim, Boss dit non. Mais la question demeure : est-ce vraiment disruptif ou un chaos savamment orchestré ? Car si les changements sont nouveaux, ils ne choquent pas. Fidèle à sa stratégie de rebranding, la maison séduit une clientèle plus jeune tout en rassurant ses fidèles. La palette chromatique illustre cette prudence : beige sable, brun terreux, lavande passée, gris bleuté et noir profond. Dans cet univers feutré, les pièces couleur pain d’épice paraissent presque flamboyantes.
Point de révolution, mais de réjouissantes promesses
Ce qui frappe surtout, ce sont les matières et leurs associations. Une robe en cuir d’anguille ? Regardez le look 52. Du latex marié à de la soie ? Voyez le look 60. Si les vêtements osent, les sacs jouent l’uniformité : tous en cuir. Bonne nouvelle pour les amateurs et collectionneurs : presque chaque silhouette, parmi les 64 présentées, portait un sac. De la pochette souple au cabas XXL capable de contenir la vie entière de son propriétaire, chacun décliné dans les teintes de la saison. Une décision stratégique claire, puisque Boss mise désormais sur la maroquinerie comme levier de croissance, à l’instar de nombreuses maisons premium et luxe.




Cette saison encore, Boss ne réinvente pas la roue, mais pousse intelligemment ses codes hors de leur zone de confort. Les expérimentations tactiles, les coupes revisitées et les collaborations artistiques – comme l’installation mouvante de Boris Acket ou les visuels confiés à quatre artistes numériques travaillant avec l’intelligence artificielle – renforcent le fil conducteur de l’ordre et du désordre. Était-ce avant tout décoratif ? Peut-être. Mais l’ensemble restait fidèle à l’ADN Boss : une scénographie millimétrée, un front row de stars et créateurs de contenu, et une collection à la fois fraîche et fidèle à la maison.
Alors, pas besoin d’être révolutionnaire pour marquer les esprits. Plus que le cuir d’anguille ou les cravates asymétriques, ce qui reste en mémoire est ce paradoxe : Boss a appris à laisser respirer ses coutures sans perdre sa structure. Un équilibre fragile mais prometteur. Reste à savoir jusqu’où la maison osera pousser cette dynamique. Quant à nous, peut-être un rappel : le power dressing ne se limite pas à des lignes nettes et impeccables. Parfois, il s’agit de laisser s’effilocher juste assez les bords… pour rendre le tout captivant.