Que dit le retour de la tendance « Working girl » de notre société ?

En 2025, le bureau continue de fasciner les créateurs, même si l’idée-même d’un tel lieu devient de plus en plus inaccessible pour la jeune génération. Comment cette tendance continue-t-elle de faire fantasmer ? Analyse d’hier à aujourd’hui.

En assistant au défilé Stella McCartney lors de la Fashion Week de Paris automne-hiver 2025-2026, difficile de savoir où poser le regard. Entre photocopieuses et fontaines à eau installées sur le podium, des pole danseuses se mêlaient aux mannequins, toutes parées de versions scintillantes du vestiaire corporate. « De l’ordinateur portable au lap dance », a résumé la créatrice. Bref, un savant mélange entre Anora et la suite Adobe. Une performance si audacieuse qu’elle aurait de quoi donner des sueurs froides à n’importe quel responsable RH.

Mais si la fétichisation du monde de l’entreprise par Stella McCartney a sans doute été la plus littérale – et la plus audacieusement suggestive – elle est loin d’avoir été la seule à céder aux sirènes du « corporate cosplay » cette saison. Le casse-tête éternel du « Que porter au bureau ? » s’est également joué sur les podiums de la Fashion Week de New York, où Calvin Klein, Michael Kors et Carolina Herrera ont chacun proposé leur interprétation de la working girl contemporaine. Pour son grand retour sur les podiums depuis 2018, Calvin Klein, sous l’impulsion de Veronica Leoni, a revisité les essentiels minimalistes des années 1990. Chez Michael Kors et Carolina Herrera, place à une exubérance assumée : tailleurs revisités, silhouettes sophistiquées, de quoi transformer un trajet matinal en tapis rouge urbain.

Cette tension irrigue également la pop culture. Dans des films et séries comme Babygirl (2025), Industry ou Severance, les bureaux d’apparence banale deviennent les décors d’intrigues sulfureuses, de drames intenses, voire de pulsions sexuelles inattendues. Même les vacanciers oisifs de la dernière saison de The White Lotus ne parviennent pas à échapper aux fantômes du travail : le personnage de Jason Isaacs, Timothy, est rattrapé par un scandale financier en gestation, tandis que Laurie (interprétée par Carrie Coon) rumine son amertume après avoir été écartée d’une promotion dans son cabinet d’avocats.

Cette fascination pour l’univers corporate s’inscrit dans une tendance culturelle plus large : celle du retour en grâce des codes de « l’Establishment » : on veut s’habiller comme l’ancienne aristocratie, adopter le style des « coastal grandmothers », et, apparemment, se réinventer en muse de bureau. Dans un contexte d’instabilité économique, de peur face à l’intelligence artificielle (IA) et de chaos géopolitique, le simple fait d’avoir un emploi devient un symbole de stabilité – un capital en soi. Même si, au fond, cela reste du travail.

Il suffit de regarder comment la culture populaire représentait la vie de bureau dans les années 1990 et 2000 : les cris du cœur de la Gen X comme Reality Bites (1994), 35 heures, c’est déjà trop (1999), American Beauty (1999), Fight Club (1999) ou même The Office dénonçaient l’aliénation provoquée par un monde corporate alors perçu comme oppressant – et qui semble aujourd’hui presque douillet. La carrière à vie, sécurisée par une pension, s’est évaporée… tout comme le regard cynique porté sur l’open space. A tel point que, comme le rapporte le New York Times, les influenceurs utilisent désormais des bureaux anonymes comme toile de fond pour leurs vidéos « Outfit of The Day (OOTD) » (autrement dit, « Tenue du jour »).

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Voilà déjà un moment que la mode flirte avec le bureau. En 2022, alors que le télétravail dictait encore une grande partie de nos garde-robes et que le « Quiet Quitting » (le fait de réaliser le strict minimum au boulot) faisait fureur, de nombreux articles de ELLE dérivaient la manière dont les designers commençaient à tourner en satire les basiques du vestiaire de bureau : tailleurs coupés, chemises raccourcies, voire costumes façon Office Space revisités en post-its géants, entre performance arty et clin d’œil à Stop Making Sense (1984). Il y avait une forme d’ironie joyeuse, presque burlesque, dans cette manière de tourner en dérision les uniformes du pouvoir (« Le costume a toujours été une forme de déguisement », avait alors glissé l’autrice Sarah Jaffe à l’époque.)

L’année suivante, alors que les injonctions au retour au bureau se faisaient plus pressantes, la directrice beauté de ELLE Kathleen Hou publiait un manifeste sur le style « businesswoman special » : un look hybride pensé pour le travail à mi-temps au bureau, mi-temps ailleurs – blazer XXL, tailleurs déstructurés et jeans larges en étendard. Une esthétique à mi-chemin entre boardroom et dancefloor, adoptée même par les non-corporate girls comme Hailey Bieber ou Kendall Jenner. La preuve, s’il en fallait, que les codes de l’office wear conservent tout leur prestige… même quand on n’a jamais mis un escarpin dans une tour en verre.

Peu à peu, les silhouettes de tailleurs vues comme de simples toiles vierges ont disparu du paysage. L’ère de la girlboss est derrière nous, et les symboles plus littéraux du pouvoir, empruntés au vestiaire masculin, opèrent un retour en force, aussi bien sur les podiums que dans nos dressings. Chez Stella McCartney, les blazers se portent volontairement trop grands, avec revers et manches qui traînent, à mi-chemin entre costume d’homme et jean boyfriend. Tiffany Hsu de MyTheresa confiait d’ailleurs avec humour à Kristen Bateman, dans notre numéro de mars, qu’elle rêve de s’habiller comme Patrick Bateman, le Golden Boy glaçant d’American Psycho (2000), remis au goût du jour grâce à l’adaptation en cours signée Luca Guadagnino.

Et si Severance pousse à l’extrême – façon dystopie science-fiction – le fantasme (et l’impossible promesse) d’un véritable équilibre entre vie professionnelle et vie privée, cette tension semble bel et bien inspirer les créateurs. A une époque où nos vies personnelles, tout comme nos fils Instagram, peuvent être monétisées – ou du moins servir à se démarquer dans l’économie de l’attention pour décrocher un job —, la frontière entre « tenue de travail » et « tenue de vie » devient floue. C’est sans doute pourquoi des designers comme Stella McCartney ou Jane Wade cherchent à habiller pensés autant pour la sphère privée que professionnelle.

Autrice : Véronique Hyland
Cet article a été traduit et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur elle.com. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.

Tags : Emploi · travail · femmes
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