Comment Chanel a secoué le métro de New York
Mardi, Matthieu Blazy a entraîné son univers sous terre, sur un quai de métro abandonné, pour présenter la collection Métiers d’art 2026 de la maison.
En octobre, le monde de la mode s’était levé pour applaudir les débuts de Matthieu Blazy chez Chanel. Et mardi 2 décembre au soir, sur un quai du métro new-yorkais, il s’est levé… pour laisser les portes se refermer. Le nouveau directeur artistique de la maison a entraîné toute l’industrie downtown, dans une station abandonnée, pour présenter sa première collection Métiers d’art pour la maison. Pourtant, voir les stars de couverture de ELLE — Teyana Taylor, Jessie Buckley, A$AP Rocky — aux côtés de Margaret Qualley, sa femme et héroïne de l’univers Chanel ; Tilda Swinton ; l’ambassadrice Ayo Edebiri ; et bien d’autres, tous parfaitement alignés sur ces bancs en bois, avait quelque chose de délicieusement incongru pour un parterre aussi glamour.
Quai actif ou pas, New York demeure un choix chargé de sens pour ce second défilé de Matthieu Blazy. La ville n’est ni la base historique de la maison ni une escapade européenne de carte postale, mais Chanel entretient un lien intime avec la Big Apple : de la toute première visite de Gabrielle Chanel en 1931, en route vers Hollywood, à la dernière collection Métiers d’art de Karl Lagerfeld, présentée au Metropolitan Museum of Art en 2018, deux mois seulement avant sa disparition.
Après tout, c’est bien la ténacité — et un solide sens des affaires — qui ont propulsé Gabrielle Chanel de simple fille de la campagne à couturière aguerrie. Fidèle à l’emplacement du show, tout près de Canal Street, Chanel elle-même avait embrassé le grind new-yorkais et haussé les épaules face aux copies américaines de son travail qu’elle voyait lors de ses séjours ici — un détail relevé par Janet Flanner dans son portrait de la créatrice pour le New Yorker. Chanel louait même les imitateurs pour la « publicité gratuite » qu’ils lui offraient, faisant d’elle une véritable anticonformiste face au dogme du raffinement français. On retrouve un peu de cette désinvolture dans le T-shirt « I ❤ New York » entièrement brodé de sequins qui a foulé le podium, clin d’œil évident aux graffitis devenus cultes de Karl Lagerfeld pour la collection printemps-été 2014.
Matthieu Blazy aussi a quelque chose de caméléon : sa subtilité est, paradoxalement, sa signature — et pourtant, elle fonctionne partout où il passe. Lors de ses trois années à New York, lorsqu’il travaillait sous la direction de Raf Simons chez Calvin Klein, il a manifestement absorbé l’attitude typiquement new-yorkaise. Alex Consani a déambulé sur le quai dans un costume androgyne à rayures qui semblait presque vous lancer un « Hey poupée ! ». Cette démarche, c’est Chanel qui l’a inventée, Lagerfeld qui l’a canonisée, et Blazy qui la porte aujourd’hui au pinacle.
Les imprimés animaliers étaient irrésistibles, notamment un tailleur jupe psychédélique façon girafe. So Andy Sachs dans Le Diable s’habille en Prada (2006) : « Oh, je vois, je vois, je vois. La pièce s’appelle « Urban Jungle », c’est ça ? » En réalité, c’était un clin d’œil évident aux manteaux léopard de Chanel — et ça tombe bien, puisque cet imprimé vit en ce moment une véritable renaissance urbaine.
Beaucoup des working girls imaginées par Matthieu Blazy semblaient modernes et familières : manteaux jetés sur un sac à l’épaule ou au creux du bras, pull noué à la taille, imperméable transparent rappelant les iconiques bottes de pluie translucides de Karl Lagerfeld. Matthieu Blazy réinterprète clairement des habitudes de style populaires et les applique à des silhouettes issues des archives les plus pointues, mais il travaille surtout à élever notre manière de penser l’habillement contemporain. Surtout, ni la veste à plumes et la robe rouge en sequins, ni le quart-zip camel d’ouverture associé à un jean délavé (Blazy n’a pas pu résister !) ne semblaient déplacés sur ce quai de métro. Et c’est normal — c’est ça, New York, baby.
Autrice : Alexandra Hildreth
Cet article a été traduit en français et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur elle.com. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.