Looks d’automne pour le printemps-été : que se passe-t-il à la Fashion Week ?
À Paris, les collections printemps-été 2026 présentées début octobre ont défilé sous un ciel inattendu. Plusieurs maisons ont dévoilé une pluie d’ensembles que l’on rêverait plutôt de porter durant les saisons froides. La mode perd-t-elle vraiment le nord ? Analyse.
Le public parisien avait pourtant rendez-vous avec le retour du soleil et des parasols pour cette dernière Fashion Week de l’année. Mais comme poursuivi par l’inévitable temps nuageux d’un mois d’octobre, c’est l’automne qui s’est invité dans la présentation des collections Printemps-été 2026. Pulls en cachemire, manteaux structurés, bonnets et teintes terreuses… autant d’indices visant à enfermer le corps dans la chaleur au lieu de l’en libérer ont envahi les podiums de nombreuses maisons.



À commencer par Saint Laurent. Anthony Vaccarello y a érigé les seventies en base solide pour faire la part belle aux manteaux à épaulettes – utilisant ainsi le cuir pour structurer pléthore d’autres trenchs aux couleurs terreuses. Chez Lanvin, Peter Copping a revisité l’héritage raffiné de la maison avec des silhouettes aériennes, ponctuées d’une déclinaison notable de cols roulés. Même ambiance chez Celine : malgré des couleurs évoquant la floraison printanière, Michael Rider a couvert son univers preppy de pantalons enfouis dans des bottes et d’écharpes mués en grands foulards. Fidèles à leur esprit avant-gardiste, Anrealage et Issey Miyake ont quant à elles osé des couches de layerings dont on rêve seulement pour affronter avec grâce l’hiver. Jonny Johansson a de son côté plongé le public d’Acne Studios dans un automne intense, avec collants, bottes et couleurs boisées omniprésentes. Mais alors, pourquoi la météo a semblé si erronée durant cette Fashion Week ?



Les caprices du climat
Jusqu’à il n’y a pas si longtemps que ça, dans le calendrier des défilés de prêt-à-porter, la règle était pourtant claire : en septembre, les maisons présentaient leurs collections pour l’été de l’an suivant, en mars, les lignes pour l’hiver de l’année courante. Issue la plus sure pour assurer un arrivage en magasin dans les temps. Mais depuis quelques années, ces règles se fissurent. C’est ce qu’observe chez Harper’s Bazaar Heather Gramston, acheteuse mode senior chez Browns Fashion : « Dans les défilés, les saisons ne sont plus aussi clairement définies qu’auparavant, toutes se mélangent ». De plus en plus, les looks d’automne s’invitent en effet dans les collections printanières et vice-versa. Parfois, au point de dominer l’ensemble de la ligne.
Selon la société d’analyse GlobalData, la disparition de la garde-robe saisonnière représente « une prochaine étape probable ». La raison : « les gens voyagent davantage, la météo est de plus en plus imprévisible ». Automnes prolongés, printemps tardifs, températures imprévisibles… D’après Carmen Bryan, analyste consommation, la tendance a ainsi pour conséquence de pousser les consommateurs à « moins se soucier des tendances saisonnières que de vêtements alignés à leurs valeurs, toute l’année ». Pour les maisons alors, une seule solution : adapter leurs collections à cette instabilité. Gabriela Hearst, Stella McCartney ou Eileen Fisher sont parmi les premières à avoir proposé des garde-robes trans-saisonnières : manteaux légers, costumes en lin, tricots respirants. Manière de permettre une transition fluide entre les saisons et ainsi offrir aux consommateurs une flexibilité face aux caprices de la météo. Or, l’évolution du climat interroge, dans le même temps, la logique même du calendrier de la mode.
Désormais, les consommateurs se soucient moins des tendances saisonnières que de vêtements alignés à leurs valeurs.

Retrouver la liberté créatrive
Entre les Fashion Weeks printemps-été et automne-hiver, divisées par collections de prêt-à-porter et de haute couture, elles-mêmes affinées pour la gente masculine et féminine, sans compter les collections croisières ou autres défilés spéciaux, la mode vit à un tempo effrené. « Certaines marques présentent jusqu’à six collections par an », souligne Liliane Jossua auprès de Fashion Network. C’est par exemple ce à quoi est confronté Jonathan Anderson, depuis qu’il est devenu en 2025 le directeur artistique de l’ensrmble des lignes de la Maison Dior. Or, un tel rythme à des inconvénients concrets, illustre lla fondatrice du concept store haut de gamme Montaigne Market : « Les produits ont de moins en moins de temps pour être vendus… Certaines collections d’été sont expédiées en octobre. »
Certaines collections d’été, expédiées en octobre, incluent un nombre croissant de manteaux et de pulls, comme si nous avions sauté un an et demi.
Face à cette frénésie, plusieurs figures de la création choisissent de se détacher du calendrier traditionnel : « Le rythme est devenu tellement intense qu’il serait sage de le réduire », estimait déjà en 2020 le directeur artistique de Marni Francesco Risso, dans un panel réalisé par Vogue. Ce constat remonte même à plus tôt : dès 2018, Alexander Wang avait annoncé se libérer des dates officielles pour ne présenter plus que deux collections par an. Quelques mois plus tard, Burberry décidait à son tour de quitter le calendrier britannique, suivi par Vivienne Westwood, Jonathan Anderson – à l’époque à la tête des créations de Loewe – et plusieurs griffes parisiennes, dont Berluti. Plus que la praticité, s’émanciper des règles de la Fashion Week devient aussi un manifeste : celui d’une liberté créative retrouvée. La maison Jacquemus, par exemple, s’est affranchie entre 2020 et 2024 du calendrier officiel. Un choix qu’il lui a permis d’orchestrer ses défilés selon ses règles – au gré de la saison, du lieu et de l’ambiance qui l’inspiraient le plus. Cette stratégie lui a ainsi permis de cultiver une identité singulière. À cela s’ajoute alors une autre remise en question : et si le problème était tout simplement l’attente entre chaque étape d’une collection ?
L’ode à l’immédiateté
Habituellement, une collection de prêt-à-porter défilant à la Fashion Week prend six mois avant d’arriver en magasins. Sauf que pour Patrick Connors, vice-président senior des partenariats de marque mondiaux chez IMG Fashion, un changement s’impose : « Auparavant, le contenu des Fashion Weeks était réservé à l’industrie, mais aujourd’hui, nous devons également penser aux consommateurs », explique-t-il chez Vogue. C’est dans ce contexte qu’a notamment émergé le « See Now, Buy Now » (SNBN) – littéralement « Voir maintenant, acheter maintenant » : en d’autres termes, la pièce aperçue sur le podium doit pouvoir être acquise dans la foulée. L’objectif ? Satisfaire la jeune clientèle, toujours plus connectée, toujours plus impatiente de consommer, à l’instar de ce que lui offrent internet et ses algorithmes. C’est ce que démontre chez Luxury Tribune, Reto Hofstetter, professeur de marketing digital à l’Université de Lucerne : « Le shopping en un clic facilite et même encourage les achats plus émotionnels et ponctuels. » Et les résultats sont payants. En 2016, Burberry devient la première maison de mode a vendre la totalité de sa collection printanière infusée d’air automnal dès le lendemain de son défilé. Un succès qui conduit à des ruptures de stocks dans de nombreuses boutiques Burberry, révèle chez WWD le directeur de la création Christopher Bailey.
Auparavant, le contenu des Fashion Weeks était réservé à l’industrie, mais aujourd’hui, nous devons également penser aux consommateurs.
Ce modèle a d’autant plus trouvé d’écho durant la période Covid. Comme le note Marie-Claire, les présentations en streaming et les collections révélées avant tout sur les réseaux sociaux ont amplifié la logique d’immédiateté. En 2025, sous Demna Gvasalia, Gucci pousse même la stratégie du SNBN encore plus loin en dévoilant des collections sur les réseaux sociaux avant même le défilé officiel. Résultat : la marque italienne enregistre jusqu’à 53 % de ventes supplémentaires en boutique, rapporte Reuters.

La stratégie du SNBC trouve en réalité son origine bien plus loin que l’on ne pense. Au 19e siècle, le père de la haute couture Charles Frederick Worth présentait ses créations dans son salon parisien : les clientes pouvaient acheter les pièces vues sur-le-champ, transformant le défilé en point de vente direct. Puis le modèle a progressivement évolué vers des présentations spectaculaires, éloignées de la vente immédiate puisqu’on ne parlait jusqu’alors que de couture pour la Haute société. Le changement radical survient en 1973 : la Fédération de la haute couture et de la mode (FHCM) codifie le calendrier des défilés avec des collections séparées, saisons respectées, à mesure que la mode s’ouvre au grand public qui, au-delà de l’esthétisme demande de la praticité. Et ne plus respecter ces codes, tels que le SNBN le prévaut, entraîne des contraintes logistiques importantes. Une étude de l’Université de Manchester (2019) souligne que cela exige plus précisément de revoir entièrement la chaîne de production, le merchandising et la logistique, avec des cycles plus courts et des fournisseurs ultra-réactifs. Dior, Hermès et Chanel refusent d’ailleurs catégoriquement de céder à la pression de l’immédiateté, estimant que le temps reste un luxe et que la qualité des collections ne se négocie pas.
L’automne brouillé dans les collections Printemps-été 2026 est en somme le signe qu’un nouveau paradigme s’installe. En s’émancipant du calendrier et des codes traditionnels, la mode amorce une transformation plus profonde : celle d’un système en quête de sens et d’agilité. Reste à savoir jusqu’où cette hybridation peut aller, et si, demain, les saisons de la mode ne finiront pas par, tout simplement, disparaître.