Chaîne de ventre : derrière la tendance de l’été, un héritage symbolique effacé ?
Annoncée comme la touche ultra trendy de cette saison estivale, la waist chain, récemment adoptée par Hailey Bieber, s’accompagne d’une histoire bien plus ancienne et profonde qu’il n’y paraît. Décryptage et conseils d’experts pour ne pas oublier ce qu’elle raconte.

En 2025, la chaîne de ventre – aussi dit waist chain ou belly chain – s’impose comme l’accessoire phare de l’été. Le point de départ de cette nouvelle frénésie ? Une photo publiée vendredi 4 juillet sur le compte Instagram de Rhode. Vêtue d’un maillot de bain, la peau dorée par le soleil, sa fondatrice Hailey Bieber y dévoile autour de la taille une fine chaîne dorée gravée au nom de sa marque de cosmétiques. L’accessoire est orné d’une coque renfermant le tout dernier gloss Rhode « Lemontini ». La chaîne est des plus subtiles, mais suffisamment percutante pour reléguer au second plan le nouvel essentiel beauté.
En effet, en quelques minutes, les réactions se sont emballées : « Oh mon Dieu, oui !!!! Il me faut cette chaîne ! », peut-on lire parmi la centaine de commentaires encensant tout autant l’accessoire plaqué or. Dès lors, sur TikTok, les hashtags #bellychain et #waistchain cumulent plusieurs millions de vues. La presse spécialisée applaudit quant à elle ce qu’elle décrit être le summum du chic estival, tandis que les célébrités, de Rita Ora à Kim Kardashian en passant par Jennie des Blackpink, confirment toujours plus la tendance. Pour le magazine américain DC Fashion Week, porter une chaîne de ventre s’applique à un geste symbolique, « une manière de célébrer son corps, de renforcer la confiance en soi, une expression d’amour-propre. » Loin d’être inédit, cet attrait esthétique s’inscrit dans une mode qui existe depuis plusieurs années.
Porter une chaîne de ventre, c’est une manière de célébrer son corps, de renforcer la confiance en soi, une expression d’amour-propre.
La résurgence de la tendance Y2K
Bien avant d’être estampillée Rhode par Hailey Bieber, la waist chain électrisait déjà les défilés des années 1990 et 2000. Symbole d’une féminité assumée, elle se portait négligemment sur des jeans taille basse ou des bikinis millimétrés. Sous la houlette de Karl Lagerfeld, rappelle notamment Grazia, Chanel réinvente sa mythique ceinture à chaînes dans des versions plus sculpturales, n’hésitant pas à explorer des formes amplifiées, voire à s’aventurer vers des déclinaisons en plastique. Une fantaisie ultra pop qui tranche alors à l’époque avec les lignes plus fidèles de Versace – adepte des accumulations dorées et des motifs de pièces de monnaie – ou celles de Yves Saint Laurent, qui préfère souligner la taille avec une sobriété sophistiquée.
Bien avant d’être estampillée Rhode par Hailey Bieber, la waist chain électrisait déjà les défilés des années 1990 et 2000, de Chanel à Versace ou encore YSL.
Comme de nombreux autres revival exhumés au cours de ces dernières années, le port de la chaîne de ventre s’inscrit plus largement dans l’esthétique Y2K. Ce retour en grâce du style des années 2000, marqué par les jeans taille basse, les crop tops et une sensualité frontale, a, suite aux podiums, été popularisé par de jeunes icônes du R&B, telles que Christina Aguilera, Beyoncé, Aaliyah ou Rihanna. Un phénomène aujourd’hui régressif décodé chez 24 heures par Alexandra Jubé, spécialiste en stratégie de marque : « Il y a un changement de génération chez les créateurs. Pour ceux qui ont connu la mode de cette époque quand ils étaient jeunes, […] Il y a un effet madeleine de Proust avec un affect très fort et sincère. » La Y2K, c’est surtout une nostalgie esthétique à laquelle près de 40% de la génération Z s’identifie volontiers, y projetant une époque fantasmée où audace, liberté et hédonisme semblaient régner. Sauf que la tendance de la chaîne du ventre s’accompagne d’un autre débat, celui d’un héritage encore souvent méconnu.
Un héritage lointain et sacré
De plus en plus de voix dénoncent l’oubli – voire l’effacement – d’une histoire bien plus profonde que celle de la pop culture. Sur les forums, au-delà de la lubie stylistique, certains rappellent que la chaîne de ventre se trouve d’abord être un objet culturel d’Afrique porté depuis le 15e siècle. Un article du Guardian Nigeria apporte un éclairage plus précis : dans la tradition de l’Egypte ancienne et de l’Afrique de l’Ouest, ces ornements sont censés « garantir la protection des ancêtres ou même soulager les douleurs rénales ».
Dans la tradition de l’Egypte ancienne et en Afrique de l’Ouest, ces ornements sont censés garantir la protection des ancêtres ou même soulager les douleurs rénales.
Ancrage rituel que le le Dr. Jared Meacham confirme chez Healthline : « Dans de nombreuses traditions ouest-africaines, les mères attachent des chaînes de ventre à leurs filles lors de leurs premières menstruations pour marquer leur passage à l’âge adulte. » Chaque perle, chaque couleur, chaque matériau est ainsi porteur d’un sens personnel, spirituel ou communautaire. Certaines études ethnographiques – menées notamment auprès des communautés Bemba du Malawi et de Zambie – ajoutent que ces chaînes « symbolisent la sensualité, la féminité, la fertilité, voire la spiritualité », et servaient de médiateurs dans les rites prénuptiaux. Face à cet enracinement culturel, la récupération de l’objet par l’industrie occidentale soulève pour beaucoup des interrogations sociales voire politiques.
De la tradition au détournement ?
C’est ce qu’a notamment rapporté le Daily Mail à la suite de la nouvelle campagne de Rhode. Nombreux ont été celles et ceux à rappeler « l’importance historique » de la chaîne de ventre, jugée eclipsée par les ambitions esthétiques de sa célèbre fondatrice. Hailey Bieber n’y a, jusqu’alors, jamais répondu. Cette controverse a pourtant ravivé des préoccupations déjà exprimées par le passé, notamment dans une tribune relayée par le Ghana Business News : « La mode est en train de dénaturer la signification culturelle des perles traditionnelles africaines », regrette une commerçante locale, pointant du doigt l’effacement progressif de leurs fonctions ancestrales au profit d’une récupération occidentale.
Alors que la question de l’appropriation culturelle se dessine, le Dr Chris Drew, chercheur spécialisé en éducation et auteur pour Helpful Professor, appelle toutefois à nuancer le débat. Pour lui, tout dépend surtout du contexte et de l’intention : « Porter des chaînes de ventre n’est pas systématiquement une appropriation culturelle. Cela dépend du niveau de compréhension du porteur concernant l’histoire de ces objets, ainsi que de son engagement à soutenir les créateurs et commerces afro-descendants. » Il suggère alors quelques pistes concrètes pour éviter tout malentendu : « Si vous achetez vos chaînes auprès d’une entreprise éthique qui travaille avec des artisans africains ou que vous prenez le temps d’en comprendre les traditions, vous vous inscrivez davantage dans une logique d’appréciation culturelle plutôt que d’appropriation. »
Porter des chaînes de taille n’est pas systématiquement une appropriation culturelle. Cela dépend du niveau de compréhension du porteur concernant l’histoire de ces objets.
L’opportunité d’une revalorisation
Si la waist chain fait aujourd’hui le tour des plages et des réseaux sociaux, elle n’en resterait pas moins un marqueur identitaire et spirituel fort. Bien plus qu’un accessoire tendance, la chaîne de ventre raconte une histoire – intime, collective, politique – qui mérite, pour beaucoup, d’être reconnue et transmise, y compris au sein de la mode occidentale. Raison pour laquelle notamment, pour Ashley Wells le débat sur l’appropriation culturelle ne doit pas être vu comme un frein, mais comme une opportunité.
Dans les colonnes de Teen Vogue, l’experte en diversité au sein du gouvernement américain affirme que l’appropriation culturelle, lorsque celle-ci est interrogée et contextualisée, peut devenir un levier de transformation : une manière de visibiliser les récits afro-descendants et de revaloriser des savoir-faire artisanaux toujours vivants : « A travers ces mesures, nous oeuvrons tous collectivement à bâtir une société plus inclusive, respectueuse et ouverte à la richesse des cultures du monde. »