Automne 2025 : pourquoi la mode de cette saison part-elle en vrille ?
Les podiums pour la prochaine saison ont révélé des looks surprenants… mais ce n’est pas forcément une mauvaise chose.
La douce et rassurante double couche de cachemire du Quiet luxury, qui nous avait bercés ces dernières saisons, a disparu. Peut-être a-t-elle été mise à l’écart. Ou déchiquetée par les chiens fous d’une industrie perpétuellement instable. Quoi qu’il en soit, ce beige apaisant et prudent a été remplacé par quelque chose de bien plus audacieux… et franchement chaotique. Les collections automne 2025 rivalisent d’incohérence fantasque, de sautes d’humeur démentielles et d’archétypes poussés à l’extrême – à un point où l’on se demande si un diagnostic médical ne serait pas approprié.
Mais que cache cette flambée de folie ? Les personnalités sont polaires et débridées : it-girls bohèmes britanniques chez Chloé, Texans richissimes chez Schiaparelli, militants colorés de l’Audubon Society chez Thom Browne, danseuses orientales éjectées du plateau de Dune chez Alaïa, vampires sensuels chez Tom Ford… et, cerise sur le gâteau, la femme Prada cette saison assume fièrement sa petite crise de nerfs.
Que se passe-t-il sur les podiums ?
« Il n’existe pas de voie unique pour l’instant », explique Rickie De Sole, vice-président et directeur de la mode chez Nordstrom. La quête d’une couleur dominante, d’une silhouette phare, d’une attitude ou d’une tendance accentue seulement l’absence de terrain commun. En cherchant un peu de logique dans ce chaos, on peut se souvenir d’une maxime attribuée au grand ordonnateur du style, Louis XIV : « La mode est le miroir de l’histoire. » Quand la société est gouvernée par le chaos, le défilé en reflète forcément les désordres.
Les collections automne 2025, présentées en février et début mars sur les podiums, ont été conçues alors que Donald Trump venait de revenir à la Maison-Blanche. Deux guerres majeures et persistantes faisaient rage, et Los Angeles venait d’être frappée par de terribles incendies. Le reste de l’actualité mondiale ne fait qu’alimenter l’angoisse générale. Dans la mode, la tempête battait aussi son plein : les directeurs créatifs de grandes maisons comme Chanel, Dior, Céline ou Gucci ont été chassés, débauchés ou licenciés dans un véritable jeu d’échecs impitoyable orchestré par les conglomérats du luxe. Pas étonnant, donc, que chaque créateur se soit replié dans son propre univers, concentré sur sa vision, en ignorant complètement ce que faisaient les autres.
« Tout semble un peu flou en ce moment », observe Nicky Campbell, commentatrice connue de TikTok pour ses critiques bien sèches des looks de tapis rouge et des défilés. « Parfait pour mon usage. » À l’ère des algorithmes, il suffit de suivre, désabonner, liker, masquer et créer son moodboard pour s’inventer une réalité bien filtrée. Dans ce chaos, l’extravagance tranche à travers le bruit ambiant et stimule l’engagement du public. « J’ai trouvé que les shows proposaient une variété qu’on ne perçoit pas forcément sur un écran », ajoute De Sole. « En réalité, cette arbitraire était assez puissante. »
Chaque créateur semble avoir imaginé son propre personnage principal, sans prêter attention à ce que font les autres. Ainsi, chez Chloé, le dernier opus de Chemena Kamali s’inspire du talent des riches it-girls britanniques pour mixer du vintage victorien avec du fourrure familiale — Tish Weinstock et Alexa Chung figurant toutes deux parmi les mannequins. Mais Kamali rend aussi hommage à son prédécesseur Karl Lagerfeld, notamment à son travail des années 1980, avec cuir à manches dolman, blouses aux épaules larges et minijupes.
Chez Alaïa, Pieter Mulier a d’abord posé une base solide de succès avec ses ballerines en mesh cultes et ses sacs Le Teckel et Le Click. Fort de ce moteur commercial, il s’est senti assez libre pour explorer des silhouettes à la fois sci-fi et multiculturelles : jupes gypsy épicées, tops façon collants enveloppant la tête d’une capuche matelassée. Oui, ça évoquait vaguement… des préservatifs. Après le défilé, Mulier a précisé : « L’idée de codes de beauté hors du temps et de la géographie, sans frontières, est indissociable de la philosophie d’Alaïa, de notre identité. »
Chez Schiaparelli, Daniel Roseberry a mêlé l’audace texane des années 80 (il a grandi à Plano) à la finesse parisienne. Pantalons et jupes en cuir, denim et robes du soir ornées de perles se combinaient avec des ceintures western volontairement dépareillées. Les coupes sur mesure valorisaient les courbes grâce à des trompe-l’œil façon corset. Roseberry a confié aux journalistes qu’il imaginait un monde débarrassé du regard masculin, où les femmes pourraient elles-mêmes embrasser des archétypes masculins.
En février, le défilé de Marc Jacobs à la New York Public Library offrait trois minutes plongées dans l’esprit d’un créateur de moins en moins lié – et de moins en moins intéressé – par les contraintes commerciales ou les calendriers de la mode. Puisée au plus profond de son être, sa vision était à la fois rigoureuse et pure. Il imaginait ses mannequins comme de magnifiques poupées inquiétantes, les cheveux relevés en boucles romantiques et désordonnées, avec de petites pastilles rouges collées sur la bouche comme des tétines. Exagérées jusqu’à la caricature, ces poupées semblaient vêtues de vêtements trop grands pour elles : robes de soirée sculpturales à sequins, mailles matelassées, pantalons plissés évasés ; bottes dont les orteils se recourbaient en cornes d’elfe. « Courage », résumaient les notes du défilé. « Avec cette précieuse liberté, nous rêvons et fantasmons sans limites… pas pour fuir la réalité, mais pour l’aider à naviguer, la comprendre et l’affronter. »
Personnalités féminines extrêmes
Les femmes inquiétantes en vêtements oversize étaient également à l’honneur chez Prada, où Miuccia Prada et Raf Simons ont exploré le code maison du laid/beau pour donner vie à l’image d’une femme qui en a assez. Elle ne voulait plus être un petit détail discret au service du patriarcat : elle lâche prise, les cheveux en bataille, vêtue d’une robe de maison triste à imprimé tapisserie criard. La perversité géniale de Prada réside dans le fait que ce qui symbolise le rejet et la rébellion acquiert souvent son propre charme, même lorsqu’il s’agit d’une chemise volontairement froissée et d’une jupe mal ajustée à taille en papier.
Les femmes adopteront-elles cet automne ces personnalités féminines extrêmes vues sur le podium ? « J’adore », confie Becky Malinsky, styliste et auteure de 5 Things You Should Buy sur Substack. « Ça rend le shopping à nouveau excitant. » Elle apprécie la diversité des options disponibles, adaptées aux besoins variés de ses clientes. « Chacune a ses préférences et ses névroses. Avec le normcore, on n’avance pas. » De plus, maintenant que les marques s’appuient fortement sur leurs niches, les acheteuses se sentent peut-être de nouveau encouragées à explorer l’identité d’une maison et à expérimenter avec confiance.
Pour celles qui ne sont pas encore prêtes à se libérer complètement de la tyrannie du Quiet luxury, De Sole prédit une approche « microdosée ». « On peut en prendre un peu, sans s’y consacrer entièrement », explique-t-elle. Plutôt que d’opter pour la version Prada de Diary of a Mad Housewife, les clientes peuvent d’abord choisir une seule belle paire d’escarpins. Et au lieu de s’entourer de six ceintures Schiaparelli, commencez par une seule. Et voyez ensuite ce que ça fait.
Autrice : Jessica Iredale
Cet article a été traduit et adapté pour la Suisse après avoir initialement été publié sur elle.com/nl. Retrouvez tous les autres articles de cette édition sur le site web officiel.